n a tendance à opposer ces deux
courants ("traditionalisme malbar" et "renouveau tamoul") ; les
principaux intéressés ou ceux qui sinstituent leurs champions sont eux-mêmes
enclins à cultiver au moins par intermittences un antagonisme culturel,
sociopolitique
et religieux dont on pourrait retenir les conséquences stimulantes sil
nentraînait pas également un cortège de rivalités individuelles ou claniques
malsaines et de mesquineries stériles. Ce nest quun
ZOreille
qui sexprime ici et qui ne saurait avoir loutrecuidance de se poser en donneur
de leçons, pourtant il me semble que le modèle indien, auquel on est amené à se
référer directement ou non, pourrait donner lexemple de la pluralité harmonieuse
et du voisinage constructif de la tradition et de la modernité. Ne serait-ce quen
théorie
en cette époque où la violence simpose pour certains Indiens comme
un nouveau modèle de comportement.
Je crois en tout cas, et oublions les modèles
extérieurs, que lon gagnerait beaucoup à considérer avec tolérance et intérêt
les voies différentes choisies par autrui. Nul ne saurait sestimer détenteur
dune Vérité unique, en matière spirituelle plus quen toute autre ; partant,
qui oserait alors mépriser en toute bonne foi celui qui sefforce à sa manière,
avec ses moyens et ses contraintes, de suivre son propre chemin, pourvu que ce soit
sincèrement ? Loserait-on au nom de lauthenticité ?
Lobservation des réalités réunionnaises ma
convaincu que la situation locale est telle quil nexiste pas
dauthenticité légitime absolue, ce qui revient à dire que diverses attitudes
culturelles, au sens le plus large, peuvent de manière égale et légitime prétendre à
une authenticité relative. Toujours est-il que lon ressent un réel besoin de
valeurs, nous lavons déjà dit, tant la déculturation est dévorante.
En simplifiant énormément, on dira que le
traditionalisme
malbar
peut se prévaloir dhabitudes façonnées puis installées depuis cent cinquante
ans, de la conservation de rituels que lInde moderne elle-même a oubliés. Mais ses
tenants doivent admettre que ces habitudes nont pu être perpétuées quau
prix de certaines concessions, dans la forme et surtout le fond. Les partisans du
renouveau
tamoul,
pour leur part, visent à restaurer des valeurs justement épurées de ces concessions, et
ils vont les puiser à des sources toujours vives sur le sous-continent. Mais ils doivent
admettre que cette démarche, dans sa nature comme dans sa réalisation, a quelque chose
dinévitablement artificiel... quand elle ne traduit pas un simple mouvement
matérialiste très occidental de "consommation des signes", des symboles
brillants et valorisants de lInde prestigieuse
(a).
Saurait-on blâmer les uns ou les autres ?
Nous aborderons ultérieurement le très important domaine
de la religion. Auparavant, attardons-nous sur quelques aspects marquants de la culture
indo-réunionnaise. Certains contribuent dailleurs, et parfois de manière profonde,
à la culture de lensemble de la population, tandis que dautres, plus
difficilement perceptibles, constituent de véritables traits spécifiques.
u chapitre des premiers, comme pour le
cas des
ZArabes,
lart culinaire occupe une place de choix. Tout un vocabulaire dorigine tamoule
a de plus, par ce biais, fait son entrée dans la langue créole. Symbole significatif de
linfluence tamoule sur les habitudes alimentaires réunionnaises : le cari.
Dans la langue ancestrale, le terme désigne un plat, à base de légume, viande, poisson
ou ufs - le buf étant bien sûr exclu, pour raisons religieuses -
caractérisé surtout par une sauce généralement courte, rendue haute en couleur et en
saveur par un mélange dépices et aromates. Chaque cuisinière a bien sûr son
propre tour de main. A la Réunion, le cari importé par les premiers engagés a pris
quelques teintes légèrement françaises, par exemple avec lutilisation courante du
thym et lomission presque aussi fréquente de la feuille de cari elle-même. Les
caris de légume se sont faits rares, on leur préfère le porc, le poulet, voire le
tangue et les bichiques
(b).
Le cari ne saurait être servi autrement que sur son
"piton" de riz, aliment de base que lon doit lui aussi aux engagés
malbars. Autre plat emblématique : le
massalé.
Aujourdhui en train de se populariser parmi les différentes composantes ethniques
de lîle, il a longtemps été frappé dune mauvaise réputation, peut-être
due au fait quil est lié dans les esprits à la pratique du sacrifice des cabris
et, de là, à la vieille réputation de sorcellerie. Il existe dailleurs encore
quelques personnes chez qui la perspective de manger à la table dun Malbar suscite
une véritable frayeur, celle dingurgiter on ne sait quoi dinconnu et de
maléfique !
Notons que le mot massalé désigne au départ tout type de
mélange, sucré ou salé. Le sens réunionnais est donc très limitatif puisquil ne
sapplique plus quà la préparation épicée de certaines viandes.
On pourrait citer encore le
rougail,
les
brèdes
de toutes sortes, le
payassam,
le bouillon
larson,
le
caloupilé le
kadou et le
cotonmili,
ou encore le
mourongue et les
bringelles
Et puis tout un état desprit et une manière de faire attachés à lacte
alimentaire, avec notamment le fait de manger en sabstenant de converser et, au
moins pour les repas faisant suite aux cérémonies, oublier fourchettes et couteaux et
utiliser le bout des doigts de la main droite pour porter à la bouche la nourriture
présentée sur des feuilles de bananier.
A lire les lignes précédentes, on comprend que le
végétarianisme, associé aux clichés sur lhindouisme, ne fait pas partie des
pratiques locales ; seule la viande bovine est véritablement évitée. Il faut savoir que
les engagés recevaient leur salaire partiellement sous forme de viande de porc salée ;
étant donnée la difficulté à se nourrir en ces temps difficiles, on comprend
quil eût été mal venu de faire la fine bouche. Les habitudes végétariennes, si
jamais elles existaient chez ces représentants de basses castes
(c), ont donc été vite abandonnées. Sest instituée
par contre une pratique du carême, dont nous parlerons dans le contexte religieux qui est
le sien. Quant aux partisans du ressourcement tamoul, ils sont généralement favorables
à ce quils considèrent - peut-être pas à raison - comme un des signes du retour
à de plus pures origines : la stricte non consommation de viande. (Photo1,
photo2,
photo3,
photo4,
photo5,
photo6,
photo7,
photo8).