t lInde ?...
Il ne lui reste guère que deux bastions, assiégés et
fragiles. Tout dabord les habitudes vestimentaires : le
sari
et le
punjabi
conservent une place certaine mais contestée dans la garde-robe féminine. On connaît
bien le premier, vêtement emblématique de la femme indienne, que lon drape et plie
selon des variantes régionales subtiles. Le second, appelé aussi
bazou
ou
saroual, est composé dun ample pantalon
resserré aux chevilles, le
tiouss,
et dune tunique descendant au-dessous du genou. Plus "pratique" que le
sari, il garde la préférence de nombreuses femmes, qui le portent toujours avec le long
châle léger cachant élégamment la chevelure et encore parfois appelé
bouri.
(Photo1,
photo2).
Les jeunes filles préfèrent les vêtements à
loccidentale, et le succès des robes colorées ou des jeans ne se dément pas. Dans
certaines familles, par contre, cest linfluence saoudienne qui domine. On
rapporte dun pèlerinage à La Mecque de grandes "capes" noires ou
blanches et lidée quil sied à la femme musulmane de ne sortir
quentièrement voilée. Si bien que lon rencontre parfois, au hasard des
travées dun grand magasin, dénigmatiques silhouettes qui ne dépareraient
pas dans le décor du désert dArabie. Se devine seulement, au-delà de la résille
pudique dun étroit rectangle horizontal, lombre dun regard.
Les hommes, pour leur part, ont presque tous oublié
lusage de latchkhan, sorte de longue redingote typique du
Gujerat. Pour eux aussi, lalternative se situe entre le "pantalon chemise"
à leuropéenne et la longue tunique saoudienne ou la
kourta. Celle-ci sassortit dune imposante barbe qui varie du noir profond au blanc
immaculé, selon les âges. La calotte basse - "bonnet" ou "topi"
- ne saurait être oubliée par ladulte qui se rend à la mosquée ni par le jeune
garçon à la
médersa.
Les périodes de fête sont toujours loccasion de
revêtir ce que lon oublie ordinairement au fond des penderies et des tiroirs les
autres jours. Lhabit, à létoffe plus riche, aux broderies plus travaillées,
devient alors marque didentité et signe de reconnaissance quon arbore non
sans fierté. Cest aussi le moment de ressortir les bijoux des aïeules - mais là
aussi les modèles occidentaux ou internationaux prennent une place grandissante - et de
retrouver le chemin des maquillages traditionnels, avec une façon toute indienne
dappliquer le henné : à loccasion des mariages, les mains féminines se
parent de motifs fleuris, véritables petites œuvres dart. Les yeux
senfoncent précieusement dans lécrin sombre du
soulma.
(Photo3,
photo4).
Le second domaine où la déculturation ne sest que
partiellement exercée est évidemment celui des pratiques alimentaires. La cuisine
réunionnaise, comme celle des Antilles par exemple, unit dans sa diversité les
influences, les ingrédients et les arômes de trois continents pour le moins. Nul doute
que les immigrants gujerati ont, comme dautres, contribué à loriginalité de
la gastronomie locale.
Certains de leurs apports se sont même imposés comme des
incontournables. Pensons en particulier à ces deux friandises salées, aux saveurs
stimulantes, que sont le
samoussa
et le
bonbon
piment. On les déguste, on les croque à toute heure, pour tromper
une petite faim ou aiguiser les appétits. Le premier se présente sous la forme dun
petit triangle de fine pâte frite, fourrée dune farce relevée doignon vert,
dail et de
massalé... que parfument, au choix, les légumes, le poulet, le crabe... ou même le fromage.
Englouti dune bouchée ou grignoté à petits coups de dents par les enfants, on
lachète partout, et plus volontiers dans la rue même, au comptoir de petites
guérites grésillantes de fritures ou à celui des inévitables camions-bars.
Le bonbon piment joue à peu près sur le même registre
des amuse-gueule. Un épais cercle de pâte granuleuse traditionnellement à base de
farine de lentilles ou de pois du Cap se referme sur un centre à peine évidé, et le
gros piment vert haché, dune espèce qui a oublié le feu de ses cousines, donne
son goût et son nom à la petite pâtisserie obtenue, agrémentée de gingembre et de
cotonmili.
Si ce sont très vraisemblablement les
ZArabes
qui ont introduit ces deux spécialités sur lîle, elles leur ont, depuis,
échappé pour entrer dans le patrimoine commun de tous les Réunionnais, qui savent
souvent aussi bien les confectionner que les savourer, tout comme par exemple les non
moins représentatifs "bouchons"
(a),
dorigine chinoise.
Si lon veut trouver des spécialités plus typiques,
de celles qui restent surtout lapanage des mères de famille, on parlera peut-être
du
biryani,
internationalement connu mais agrémenté dans chaque foyer du tour de main particulier de
la cuisinière. Le plat est convivial, à base de riz au yaourt, abondamment garni de
viande - agneau, poulet... - ou de poisson mariné dans une sauce épicée ; ajoutez
raisins secs, noix diverses, quelques légumes, la chaude couleur du "safran
pays"... et vous obtiendrez un mets riche et savoureux, que lon déguste,
dabord du bout des doigts, lors des repas de fête ou, dans une version simplifiée,
en des occasions plus ordinaires. (Photo5).
Terminons avec les innombrables douceurs, écho sirupeux
des pâtisseries pimentées qui ont ouvert lappétit, et avec linimitable
"thé indien", parfumé de cardamome et autres arômes exotiques, allongé de
lait et généreusement épaissi de sucre. Il semblerait que cette façon de préparer ce
breuvage, commune à une grande partie de lInde, ait bel et bien été elle aussi
importée par les ZArabes à la Réunion. Il est vrai quelle ny connaît
quun succès bien limité, tout comme la culture de larbuste thé lui-même ne
fut quun épisode éphémère, en son temps, dans lhistoire agricole de la
colonie.
Lévocation des pratiques alimentaires indo-musulmanes ne saurait se
passer de celle des interdits. On le sait, lIslam proscrit à ses fidèles la
consommation de la viande de porc et celle des boissons alcoolisées. Les viandes ne
peuvent être consommées que sous certaines conditions dabattage, dont le verset 3
de la cinquième Sourate du Coran - Al-ma-idah : La table servie - donne les
principes : "Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de
porc, ce sur quoi on a invoqué un autre nom que celui dAllah, la bête étouffée,
la bête assommée ou morte dune chute ou morte dun coup de corne, et celle
quune bête féroce a dévorée...". Il va de soi que ces règles sont
respectées de tout croyant.
(a) Raviolis à la vapeur.