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veut une introduction illustrée aux cultures indiennes à la Réunion, et le premier
emblème dune culture est communément reconnu dans la langue qui la façonne et
lexprime. Désillusion ! Qui parle tamoul ou gujerati sur lîle ? Une poignée
danciens, dont les enfants et les petits-enfants nont pas jugé bon de
reprendre le flambeau. Quelques passionnés à la recherche de racines perdues, tel ce
bijoutier de Saint-Pierre dont les fréquents "pèlerinages" sur les terres
ancestrales sont autant doccasions de renouer avec la langue des aïeux.
Jai entendu dans les temples lire et psalmodier des
pages entières des livres sacrés ; jai vu, dans la clarté incertaine dun
ashram, le soir venu, des femmes dévouées recopier les prières tamoules quon
chanterait aux cérémonies ; jai trouvé, sur les rayons des boutiques, des
brochures et des cassettes importées de Madras ou de Bombay... Et pourtant, ceux qui
chantaient ou copiaient, ceux qui écouteront ces cassettes, se contentent de déchiffrer
ou de se laisser porter par le son dune voix... sans comprendre, ou si peu. Partout
et par tous le parler créole est ressenti comme langue maternelle - mais il est
dailleurs lui-même de plus en plus menacé, dans son essence et dans son statut,
par le français qui seul est à même de garantir une promotion sociale. Le vocabulaire
créole, composite, a toutefois accueilli sa part de vocables issus des langues indiennes,
on en trouvera quelques éléments dans le lexique qui est
loin de les rassembler tous. Si lon veut citer déjà quelques exemples
significatifs, on se tournera spécialement vers le domaine de la gastronomie
réunionnaise, où les populaires samoussas (du hindi "sambosa")
côtoient linévitable cari et le rougail aux saveurs de feu (deux mots
directement pris à la langue tamoule). Parcourir simplement les pages de lannuaire
est déjà aussi un voyage en terre indienne, à travers ces patronymes dont la présence
à côté des Payet et autres Rivière a quelque chose dexotique : Latchoumy
(du nom de la déesse Lakshmî), Govindin (de lun des noms de Krishna), Tangatchy
(dun mot tamoul signifiant "petite sur"), Catapoullé ou Virapoullé
(dun suffixe venant du mot "pillaï", "enfant", et propre à une
jâti (a) de propriétaires
terriens)
Notons que Jean-Régis Ramsamy a placé en annexe de son ouvrage déjà
cité
(b) une fort intéressante "Etymologie des noms
Tamoul" (sic).
Autre pilier de la culture : les croyances
religieuses. Cest un point sur lequel nous reviendrons longuement plus loin, tant on
aborde cette fois quelque chose dessentiel. Contentons-nous dès à présent de
quelques grands traits. La situation concernant la communauté dorigine gujerati est
claire : la religion musulmane est de règle, à quelques exceptions près. Religion
partagée, du reste, avec les immigrants comoriens beaucoup plus récemment arrivés. Pour
ce qui est des Malbars, le cas le plus répandu est celui des individus, ou plutôt des
familles entières qui pratiquent, et de plus en plus ouvertement, à la fois le culte
catholique et les rites "malbars" ou "tamouls" - entendons :
hindous, avec des nuances que nous apporterons ultérieurement. Si lesprit
occidental peut y voir une aberration, il ny a là rien danormal au regard de
lhindouisme : souvenons-nous du rapport
sur la Mission Indienne, cité plus haut (Photo).
Il faut toutefois noter deux types dévolution
largement opposés selon les communautés : les pratiques islamiques, qui ont toujours
été au moins tolérées à la Réunion, ont tendance aujourdhui à perdre de leur
rigueur et de leur vigueur chez certains représentants des jeunes générations, tandis
que dautres sont en quête dune profondeur quils cherchent davantage
dans lIslam "arabe" quaux sources indiennes qui sont pourtant les
leurs. Lémergence de tendances intégristes depuis lépoque de la Révolution
Iranienne ne va d'ailleurs pas sans susciter quelques inquiétudes, au sein même de la
communauté.
(a) Dans l'Inde traditionnelle :
catégorie socioprofessionnelle, souvent confondue à tort avec la caste.
(b)
Jean-Régis Ramsamy : Histoire des bijoutiers indiens à l'île de la
Réunion (Azalées Editions, 1999).