La fête du Dîpavalî est devenue depuis quelques années la manifestation phare de la communauté tamoule à la Réunion, et plus particulièrement dans la ville de Saint-André. Grandiose ou dérisoire ? Éclatant coup de pub politique ou glorification religieuse ? Vitrine culturelle ou célébration commerciale ?... A chacun de choisir !
Saint-André, donc. Mi octobre... ou mi novembre. Un "village indien" a installé ses tréteaux au cur de la ville : vente de pâtisseries, d'images saintes hindoues, brocante... Les établissements scolaires se transforment en salles de conférences, le cinéma indien retrouve le chemin des toiles et le grand podium est foulé par le pas tintant des danseuses ou par celui, félin, de mannequins occasionnels. Le palais des touristes se délecte de saveurs concoctées par le cuisinier droit venu du pays des Marathes, ou par l'aubergiste malbaraise.
Dernier jour. Après-midi. Chaque association se prépare pour le défilé qui, ce soir, drainera vers les rues du centre ville l'attention de dizaine de milliers d'yeux. Cours de temples ou gymnases se transforment en coulisses du grand spectacle. Des gramounes (personnes âgées) chenus, galurins et savates, nouent des fleurs de papier aux poignets de Râma et Sîtâ. Valises de toile et cantines vert bouteille s'éventrent sur des trésors factices : masques de carton et tiares de bois doré, guirlandes de Noël... Visages, mains et chevelures s'éclairent de fantaisies brillantes, les yeux s'allongent d'indolores épines noires et les estomacs se lestent d'un ou deux sandwichs-coca. Les mères plient et replient le luxe des saris de fête sur le ventre des princesses. Une déesse prend sa "guitare" postiche, elle ne sait pas qu'elle est Sarasvatî...
Le jour s'achève. Le défilé va doucement serpenter dans la cité, dans le vacarme des tambours et des haut-parleurs nasillant des chansons tamoules. Un éléphant de carton clignote dans le noir ; sur des brouettes de chantier les brûlots réchauffent et retendent les peaux des percussions. On ne s'y trompe pas : Dîpavalî est bien la Fête de la Lumière. La Lumière sacrée est présentée au maire tandis que les journalistes se gargarisent de symbolisme primaire, la victoire du Bien sur le Mal...
Mais il n'y a pas que Saint-André! Il y a la plupart des communes réunionnaises, qui organisent aussi leurs festivités, plus modestes. Il y a surtout l'autre dimension du Dîpavalî : la célébration religieuse.
On cite plusieurs origines légendaires pour cette fête : les noces de Lakshmî et de Vishnu, la naissance de Lakshmî (la déesse est particulièrement vénérée pour le Dîpavalî) ou encore le retour triomphant de Râma dans sa ville d'Ayodhyâ au bout de quatorze années d'exil et après avoir défait le démon Râvana qui régnait sur l'île de Lanka. Les habitants de la ville auraient accueilli le héros, incarnation du dieu Vishnu, son épouse Sîtâ (enlevée par le démon) et son frère Lakshmana, en illuminant leurs maisons de leurs lampes à huile.
Dans le sud de l'Inde, la version peut-être la plus répandue est liée à Narasimha, l'homme-lion, Quatrième incarnation de Vishnu. Le roi-démon Hiranyakashiputhe était injuste, cruel et quasi-invincible grâce à un don qu'il tenait de Brahmâ. Il ne pouvait être tué ni par un homme, ni par un animal ; ni à l'intérieur, ni à l'extérieur ; ni pendant le jour, ni pendant la nuit... C'est donc sous cette forme ni humaine, ni animale que le dieu s'attaqua au démon, de ses crocs et de ses griffes, dans la cour du palais, juste avant le lever du jour. Évidemment il vainquit !
Autre légende très fréquemment associée à la Fête des Lumières : la victoire de Krishna (encore un avatâr de Vishnu) sur un autre démon : Narakâsura. Celui-ci régnait alors sur l'actuel Assam et était devenu, par ses pouvoirs, une menace pour les hommes et les dieux. Krishna dut faire route depuis le Gujerat où il séjournait alors, il détruisit l'imposante armée de Narakâsura puis le démon lui-même. La population ainsi libérée se réjouit et seize mille femmes gardées en captivité devinrent des épouses du dieu, celui-ci leur rendant ainsi leur dignité. Krishna se purifia alors par un bain d'huile et, à la demande de la mère du démon vaincu - elle n'était autre que la Terre - il institua cette fête pleine de joie qui se perpétue encore de nos jours.
Le bain d'huile matinal est toujours pratiqué par les fidèles en Inde du Sud. C'est aussi la coutume de revêtir des habits neufs, de se réjouir et de fraterniser, de tirer, le soir venu, des feux d'artifice symbolisant la défaite du démon, et bien sûr d'allumer de nombreuses lampes à huile. Le mot Dîpavalî signifie d'ailleurs "rangée de lampes". Une partie de ces traditions sont pratiquées dans certaines familles réunionnaises et tendent à être remises à l'honneur plus systématiquement. Nul doute que ce chemin, pour retrouver la dimension spirituelle de la Fête de la Lumière, pourrait seul éloigner les Indo-Réunionnais de la direction parfois contestable qu'elle emprunte parfois aujourd'hui.
Il est intéressant de remarquer que le Dîpavalî, ou Diwali, est populaire dans la quasi totalité de la diaspora indienne. Nous citerons quelques exemples :
Aux Fidji, le Diwali est l'occasion d'une fête en famille et entre amis, mais aussi celle de manifester son esprit de tolérance et d'ouverture envers les autres communautés de l'archipel. Lampes à huile et bougies sont bien sûr à l'honneur.
En Malaisie, où les hindous représentent environ 8% de la population, la fête est appelée Hari Diwali, et elle l'occasion d'un jour férié au cours duquel Malais, Chinois et descendants d'Indiens tendent à fraterniser. Prières à l'autel familial et au temple, hommage rendu aux aînés, bain d'huile, constituent des traditions héritées de l'Inde, notamment du Tamil Nâdu. A noter toutefois que les feux d'artifices et autres pétards sont exclus, par respect des lois locales.
Au Sri Lanka, île dont l'histoire est profondément liée à la mythologie du Râmâyana, la fête est aussi fort importante. La déesse Lakshmî est particulièrement honorée, les illuminations ne sont pas oubliées, et l'aspect alimentaire est un des plus appréciés de la population, puisque le Diwali est l'occasion d'un repas de fête, mais aussi celle de s'amuser avec des figurines de sucre que l'on consomme comme des bonbons.
A Trinidad, le "Festival of Lights" (la Fête des Lumières) est jour de congé national où les diverses communautés de cette société multiculturelle se retrouvent pour partager leur joie. Lors des semaines précédant la fête, les hindous reconstituent par des représentations théâtrales populaires certaines des légendes d'où la fête tire son origine. Le soir du jour J, maisons et rues s'illuminent de milliers de lampes à huile en terre appelées localement "diyas".
A Maurice, la fête commémore toujours la victoire de Râma sur le démon Râvana, autant que celle de Krishna sur cet autre démon, Nârakâsuram, mais elle marque aussi le début de la saison chaude. La tradition veut que l'on mette ses comptes à jour, notamment dans le commerce, car le jour du Diwali est spécialement propice à cette activité. Ici aussi, la fraternisation des diverses communautés d'origines ethniques variées est un des aspects incontournables de la fête.
Mais le Dîpavalî se célèbre aussi un peu partout, du Guyana à l'Afrique du Sud, du Népal à la Grande-Bretagne ou de l'Australie au Kenya, autant de pays où vivent des groupes indiens de plus ou moins grande importance démographique.
En Inde même, les traditions varient selon les régions, avec notamment des différences entre le nord et le sud. La période du Diwali correspond généralement à cinq jours de célébrations.
Dans le nord, les festivités débutent le jour de
Dussehra. L'illumination de nombreuses lampes à huile, l'usage de pétards
destinés à chasser le mal, et l'échange ou la distribution de cadeaux tels
que bonbons et fruits secs sont des traditions vivaces. On interprète aussi
la Râma-lîlâ - retraçant la victoire du héros sur le démon Râvana - dans les
rues, et les commerçants restent ouverts jusqu'à la mi-journée, cherchant à
s'attirer le bénéfice de bonnes affaires tout au long de l'année à venir en
vendant le plus possible en ce jour faste.
On remarquera aussi, par exemple, les hindous du Bengale
font de la Fête des Lumières une célébration davantage destinée à la déesse
Kâlî qu'à Lakshmî. Kâlî est notamment vénérée lors du deuxième jour des
festivités. Contrairement à d'autres états, les traditions consistant à se
vêtir et se parer de neuf, où à continuer les affaires commerciales, ne sont
pas présentes au Bengale.
Tel n'est pas le cas au Gujarât, où le quatrième jour de la
fête, le jour de Govardhan Puja, est même considéré comme le Nouvel An
local. La tradition du sathia,ou rangoli, équivalent de ce que l'on appelle
kolam
en pays tamoul, est particulièrement vivace. A noter aussi que les cinq
jours de la fête sont ici dédiés à Lakshmî.
Dans le sud, la pratique du
kolam
est aussi, bien sûr, très importante, de même par exemple que celle du bain
d'huile du matin. Une légende explique que le démon Naraka (Narakâsura), sur
le point d'être tué par Krishna, reçut de celui-ci la possibilité de
réaliser un dernier souhait. Le démon demanda que son dernier jour soit
l'occasion pour lui d'une grande fête... qui s'est donc perpétuée jusqu'à
nos jours par le Dîpavalî.
Au Tamil Nâdu, la tradition veut que, la veille des
festivités, on nettoie le four de la maison, on le purifie avec du jus de
citron, on le décore de quatre ou cinq
pottu(s)
et on y place de l'eau. Dans la pièce où se déroule la
pûjâ
on dispose des feuilles et des noix de bétel, de la pâte de santal, de la
poudre de curcuma, des fleurs, des bananes, de l'huile de sésame, etc. sans
oublier les vêtements neufs et les pétards, placés sur un plateau. Le jour
même du Dîpavalî débute, comme il a été dit, par le bain d'huile, qui passe
pour être aussi spirituellement efficace qu'un bain dans le Gange sacré.
Habillé de neuf, on prend un petit déjeuner où les plats sucrés ont le beau
rôle, par exemple le petit gâteau appelé ukkâri. La journée se poursuit avec
diverses réjouissances et cérémonies, en particulier dans la pièce destinée
à la pûjâ,
où la grande lampe à huile de laiton a été allumée. Une banane, une feuille
et une noix de bétel sont offertes à chaque membre de la famille.
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