Les
documents complémentaires présentés ici correspondent aux
séquences suivantes :
SÉQUENCE 3 : Paulina 1880
de Pierre Jean JOUVE Objet d’étude principal :
Le personnage de roman, du XVIIe
siècle à nos jours.
Cette séquence, au
cours desquelles notre attention se porte sur le personnage
principal du roman de Pierre Jean Jouve, a pour objectif
d'explorer et d'essayer de comprendre la complexité d'un
être féminin particulièrement troublé par ses tendances
incompatibles. Largement inspiré par la psychanalyse, le
roman de Jouve est aussi l'occasion de découvrir ce domaine
qui s'intéresse de près à l'inconscient humain.
Problématique principale pour la séquence 3 : En quoi le
personnage de Paulina dans le roman de Jouve est-il profond
et complexe
?
Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux
de tout le monde, et l'on doit croire que c'était une
beauté parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans
un lieu où l'on était si accoutumé à voir de belles
personnes. Elle était de la même maison que le Vidame de
Chartres et une des plus grandes héritières de France.
Son père était mort jeune, et l'avait laissée sous la
conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien, la
vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir
perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans
revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait
donné ses soins à l'éducation de sa fille ; mais elle ne
travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa
beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à
la lui rendre aimable. La plupart des mères s'imaginent
qu'il suffit de ne parler jamais de galanterie devant
les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de
Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait
souvent à sa fille des peintures de l'amour ; elle lui
montrait ce qu'il a d'agréable pour la persuader plus
aisément sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ;
elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs
tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques
où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir,
d'un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie
d'une honnête femme, et combien la vertu donnait d'éclat
et d'élévation à une personne qui avait de la beauté et
de la naissance ; mais elle lui faisait voir aussi
combien il était difficile de conserver cette vertu, que
par une extrême défiance de soi-même et par un grand
soin de s'attacher à ce qui seul peut faire le bonheur
d'une femme, qui est d'aimer son mari et d'en être
aimée.
Marie-Madeleine de LA
FAYETTE - La Princesse de Clèves - 1678
Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore,
j'étais vouée par état au silence et à l'inaction, j'ai
su en profiter pour observer et réfléchir. Tandis qu'on
me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la
vérité les discours qu'on s'empressait à me tenir, je
recueillais avec soin ceux qu'on cherchait à me cacher.
Cette utile curiosité, en servant à m'instruire,
m'apprit encore à dissimuler : forcée souvent de cacher
les objets de mon attention aux yeux de ceux qui
m'entouraient, j'essayai de guider les miens à mon gré ;
j'obtins dès lors de prendre à volonté ce regard
distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par
ce premier succès, je tâchai de régler de même les
divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque
chagrin, je m'étudiais à prendre l'air de la sérénité,
même celui de la joie ; j'ai porté le zèle jusqu'à me
causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant
ce temps l'expression du plaisir. Je me suis travaillée
avec le même soin et plus de peine, pour réprimer les
symptômes d'une joie inattendue. C'est ainsi que j'ai su
prendre sur ma physionomie cette puissance dont je vous
ai vu quelquefois si étonné.
J'étais bien jeune encore, et presque sans intérêt :
mais je n'avais à moi que ma pensée, et je m'indignais
qu'on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma
volonté. Munie de ces premières armes, j'en essayai
l'usage : non contente de ne plus me laisser pénétrer,
je m'amusais à me montrer sous des formes différentes ;
sûre de mes gestes, j'observais mes discours ; je réglai
les uns et les autres, suivant les circonstances, ou
même seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment,
ma façon de penser fut pour moi seule, et je ne montrai
plus que celle qu'il m'était utile de laisser voir. Ce
travail sur moi-même avait fixé mon
attention sur l'expression
des figures et le caractère des physionomies ; et j'y
gagnai ce coup d'œil pénétrant, auquel l'expérience m'a
pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui,
en tout, m'a rarement trompée.
Je n'avais pas quinze ans, je possédais déjà les
talents auxquels la plus grande partie de nos Politiques
doivent leur réputation, et je ne me trouvais encore
qu'aux premiers éléments de la science que je voulais
acquérir.
Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles,
je cherchais à deviner l'amour et ses plaisirs : mais
n'ayant jamais été au Couvent, n'ayant point de bonne
amie, et surveillée par une mère vigilante, je n'avais
que des idées vagues et que je ne pouvais fixer ; la
nature même, dont assurément je n'ai eu qu'à me louer
depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit
qu'elle travaillait en silence à perfectionner son
ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je ne désirais pas
de jouir, je voulais savoir ; le désir de m'instruire
m'en suggéra les moyens.
Pierre CHODERLOS de
LACLOS - Les Liaisons dangereuses. Lettre
81 - 1782
Dès le commencement de
juillet, elle compta sur ses doigts combien de semaines
lui restaient pour arriver au mois d'octobre, pensant
que le marquis d'Andervilliers, peut-être, donnerait
encore un bal à la Vaubyessart. Mais tout septembre
s'écoula sans lettres ni visites.
Après l'ennui de cette déception, son cœur, de
nouveau, resta vide, et alors la série des mêmes
journées recommença.
Elles allaient donc maintenant se suivre à la file,
toujours pareilles, innombrables, et n'apportant rien !
Les autres existences, si plates qu'elles fussent,
avaient du moins la chance d'un événement. Une aventure
amenait parfois des péripéties à l'infini, et le décor
changeait. Mais, pour elle, rien n'arrivait, Dieu
l'avait voulu ! L'avenir était un corridor noir, et qui
avait au fond sa porte bien fermée.
Elle abandonna la musique. Pourquoi jouer ? Qui
l'entendrait ? Puisqu'elle ne pourrait jamais, en robe
de velours à manches courtes, sur un piano d'Érard, dans
un concert, battant de ses doigts légers les touches
d'ivoire, sentir comme une brise, circuler autour d'elle
un murmure d'extase, ce n'était pas la peine de
s'ennuyer à étudier. Elle laissa dans l'armoire ses
cartons à dessins et la tapisserie. À quoi bon ? À quoi
bon ? La couture l'irritait.
« J'ai tout lu », se disait-elle.
Et elle restait à faire rougir les pincettes, ou
regardant la pluie tomber.
Comme elle était triste, le dimanche, quand on
sonnait les vêpres ! Elle écoutait, dans un hébétement
attentif, tinter un à un les coups fêlés de la cloche.
Quelque chat sur les toits, marchant lentement, bombait
son dos aux rayons pâles du soleil. Le vent, sur la
grande route, soufflait des traînées de poussière. Au
loin, parfois, un chien hurlait : et la cloche, à temps
égaux, continuait sa sonnerie monotone qui se perdait
dans la campagne.
Cependant on sortait de l'église. Les femmes en
sabots cirés, les paysans en blouse neuve, les petits
enfants qui sautillaient nu-tête devant eux, tout
rentrait chez soi. Et jusqu'à la nuit, cinq ou six
hommes, toujours les mêmes, restaient à jouer au
bouchon, devant la grande porte de l'auberge.
L'hiver fut froid. Les carreaux, chaque matin,
étaient chargés de givre, et la lumière, blanchâtre à
travers eux, comme par des verres dépolis, quelquefois
ne variait pas de la journée. Dès quatre heures du soir,
il fallait allumer la lampe. Gustave FLAUBERT
- Madame Bovary. Première partie - 1857
Bouche sage. Bouche aux
douceurs en promesse. Pureté qui tient à la candeur
irradiante de l'extrême jeunesse que teinte, la
renforçant, le charme trouble d'une sensualité qui ne se
connaît pas encore. Quelles tendresses aurait-on pour
l'approcher ! Quelle presque dévotion ! Pénitent, je me mets à tes genoux, ô Immaculée ;
je te consacre aujourd'hui mes yeux, mes oreilles, ma
bouche, mon cœur et tout de moi-même. Rosier sans épines. Pourpre jaillissante du
Fleuve Noir. Je suis l'émigrant à la poursuite de ta
lumière. Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon. Mais viendra la séparation. Je serai seul. Je me griserai, je me repaîtrai à
cette solitude, enseveli en elle. Je m'y aveuglerai.
ECCE VIRGO Louis CALAFERTE -
Rosa
Mystica, chapitre 61 - 1968
Bientôt une nouvelle claque retentit, mais cette fois
entre les omoplates d'Awu. Elle en identifia l'auteur
par sa voix. C'était une belle-sœur du village qui
faisait du zèle : - Attrape ça pour avoir bien profité de mon frère. Tu
n'as pas de coépouse ! Tu es logée comme une reine dans
une case en dur avec des ouvertures en bois massif ! Tu
as ça chez toi ? Hein ? Alors que moi, la propre sœur d'Obame,
je vis dans une maison en écorce. Qu'est-ce que tu as de
plus que nous pour avoir mérité tout ça ? Fais encore la
fière ! J'espère que toutes ces taloches vont te
rabattre le caquet ! Pendant près d'une semaine, les sévices succédèrent
aux sévices. Awu reçut des soufflets pour tous les
cadeaux qu'elle avait reçus de son mari et pour tous les
rires aux éclats dont elle avait égayé son foyer pendant
les jours heureux. Elle reçut des coups de pied au flanc
pour avoir trôné a une belle table; des coups de coude
sur la colonne vertébrale pour avoir régné dans une
belle case. Elle reçut des flots d'injures. Elle reçut
des flots d'insultes. A plusieurs reprises, il fallut
payer pour être restée en vie. La mère d'Awu n'avait
cessé d'exhorter sa fille a l'endurance, car, ne
cessait-elle d'expliquer, en subissant toutes les
épreuves docilement, elle honorerait et sa famille et la
mémoire de son mari. Elle lui avait même dit qu'Awu
devait s'estimer heureuse d'être l'objet de tant
d'acharnement, car, après la période de veuvage, elle
retrouverait une sérénité certaine. Alors que si elle
refusait de subir le veuvage, ou que pour une raison ou
pour une autre sa belle-famille décidait de ne pas le
lui faire subir, la veuve serait condamnée, non pas à
mourir, mais à une folie certaine. En somme subir ce
rituel exorcisait le mal et apaisait l’esprit du
conjoint disparu. Justine MINTSA -
Histoire d'Awu- 2000
Images
Marina Vlady dans le rôle de la Princesse
de Clèves
Film de Jean Delannoy - 1961
La
Vérité chasse Merteuil -
Gravure sur cuivre de Charles Monnet - 1796
Jaquette de DVD pour le film de Claude Chabrol de 1991
Affiche du film Paulina 1880, de
Jean-Louis Bertuccelli -1972