Les
documents complémentaires présentés ici correspondent aux
séquences suivantes :
SÉQUENCE
L2A : Du Dom Juan de MOLIÈRE
à La Nuit de Valognes, d'E.-E. SCHMITT
SÉQUENCE L2B : Dénouements de Don Juan : le sens du mythe
bouleversé. Objet d’étude principal :
Les réécritures, du XVIIe siècle à nos
jours.
Ces deux séquences
permettent de découvrir une des figures les plus connues
du monde littéraire et artistique, en partant des œuvres
fondatrices de Tirso de Molina et Molière jusqu'à des
reprises récentes telles que celle d'Eric-Emmanuel Schmitt, en
passant par des auteurs, des arts et des genres variés, de
la nouvelle à l'opéra, du théâtre à la peinture. Don Juan,
emblématique du libertinage, apparaît sous divers visages et
divers éclairages, faisant de lui un personnage
finalement ambigu, en particulier sur le plan moral.
Problématique principale
pour la séquence L2A
: Comment le personnage mythique de Don Juan est-il
construit ou reconstruit par Molière et E.-E. Schmitt ? Problématique principale pour la séquence
L2B
: En quoi les dénouements sont-ils révélateurs de
significations très différentes données au mythe ?
(Dénouement. Dans la chapelle funéraire, où Don Juan a
répondu à la contre-invitation du Commandeur : ce sera
la troisième apparition du Mort, offrant à son invité un
repas noir et parodique de scorpions et de vinaigre,
repas immangeable pour le vivant. (Don Gonzale est le
Commandeur, Catherinon le valet de Don Juan).
DON GONZALE. - Tel est le vin qui sort de nos pressoirs.
(On chante :) Que le bras justicier se prépare à faire exécuter la
vengeance de Dieu, car il n'est pas de délai qui
n'arrive, ni de dette qui ne se paie.
CATHERINON. – Oh ! la la ! ça va mal. Par le Christ.
J'ai compris ce refrain, et qu'il parle de nous.
DON JUAN. - Mon cœur se glace à en être brûlé.
(On chante :) Tant qu'en ce monde on est vivant, il n'est pas
juste que l'on dise : Bien lointaine est votre échéance
! alors qu'il est si bref le temps du repentir.
CATHERINON. - Qu'est-ce qu'il y a dans ce petit ragoût ?
DON GONZALE. - Des griffes.
CATHERINON. - II doit se composer de griffes de
tailleur, si c'est un ragoût d'ongles.
DON JUAN. - J'ai fini de souper. Dis-leur de desservir.
DON GONZALE. - Donne-moi cette main, n'aie pas peur,
donne-moi donc la main.
DON JUAN. - Que dis-tu ? Moi ! Peur ? Ah ! je brûle ! ne
m'embrase pas de ton feu !
DON GONZALE. - C'est peu de chose au prix du feu que tu
cherchas. Les merveilles de Dieu, Don Juan, demeurent
insondables, et c'est ainsi qu'il veut que tu paies tes
fautes entre les mains d'un mort, et si tu dois ainsi
payer, telle est la justice de Dieu : « Œil pour œil,
dent pour dent ».
DON JUAN. – Ah ! je brûle ! Ne me serre pas tant ! Avec
ma dague je te tuerai. Mais... Ah !... Je m'épuise en
vain à porter des coups dans le vent. Je n'ai pas
profané ta fille. Elle avait démasqué ma ruse avant que
je...
DON GONZALE. - II n'importe, puisque tel était bien ton
but.
DON JUAN. - Laisse-moi appeler quelqu'un qui me confesse
et qui me puisse absoudre.
DON GONZALE. - Il n'est plus temps, tu te repens trop
tard.
DON JUAN. –Ah ! je brûle ! Mon corps est embrasé ! Je
meurs !
(Il tombe mort.)
CATHERINON. - Il n'y a personne qui puisse s'échapper :
ici je vais mourir, moi aussi, pour t'accompagner.
DON GONZALE. - Telle est la justice de Dieu : « Œil pour
œil, dent pour dent
(Le sépulcre s’enfonce avec fracas, engloutissant Don
Juan et Don Gonzale, tandis que Catherinon se sauve en
se traînant.)
CATHERINON. - Dieu me protège ! Qu'est ceci? Toute la
chapelle est en flammes...
Tirso de MOLINA - Le Trompeur de Séville ou le
convive de pierre - 1630
DON
GIOVANNI
De quelque part que je tourne mes regards curieux,
Je vois briller la majesté de l’Ibérie.
Mais aucune rare beauté et capable de m’enchaîner
Ne s’est encore présentée à mes yeux.
Les chaînes de l’amour sont pour moi un jouet,
J’aime, mais sans jamais être fidèle.
J’aime pour autant qu’un désir neuf
Me favorise et je n’apprécie une beauté
Que tant que j’espère m’en emparer.
Donna Isabella m’a plu un jour ; elle m’a presque
Inspiré de l’amour, contre mes habitudes ;
Mais tandis qu’elle croyait, l’imprudente, à mes
soupirs,
J’ai su n’être l’amant que de ma liberté.
De même pour la bergère, et pour cent autres
Dont je me suis joué…Mais quel objet
Se présente à mes yeux ? Ou je délire,
Ou donna Isabella en habits d’homme
A l’audace de me poursuivre. Oui, c’est elle !
Fuyons cette rencontre ! Il se dispose à partir.
Carlo GOLDONI - Don Giovanni Tenorio ou le
débauché - Acte III, scène 5 - 1736
LEPORELLO
Chère madame, voici le catalogue
Des belles qu'a aimées mon maître ;
C'est un catalogue que j'ai fait moi-même ;
Regardez, lisez avec moi.
En Italie six cent quarante,
En Allemagne deux cent trente et une,
Cent en France, en Turquie quatre-vingt-onze,
Mais en Espagne elles sont déjà mille trois.
Il y a parmi celles-ci des paysannes,
Des femmes de chambre et des bourgeoises,
Il y a des comtesses, des baronnes,
Des marquises, des princesses
Et des femmes de tout rang,
De toute forme, de tout âge.
Chez la blonde, il a coutume
De louer la gentillesse ;
Chez la brune, la constance ;
Chez la grisonnante, la douceur.
Il recherche en hiver la grassouillette,
En été la maigrelette ;
La grande est majestueuse,
La petite toujours coquette ;
Des vieilles il ne fait la conquête
Que pour le plaisir de les coucher sur la liste ;
Mais sa passion prédominante
Est la jeune débutante.
Il n'a cure qu'elle soit riche,
Qu'elle soit laide, qu'elle soit belle :
Pourvu qu'elle porte jupe
Vous savez ce qu'il fait.
(Il sort.)
Lorenzo DA PONTE - Don Giovanni (musique
de Mozart) - 1787
Don Juan de Maraña a préparé l'enlèvement d'une
religieuse ; il attend, de nuit, dans une rue déserte,
quand une étrange procession funéraire vient à sa
rencontre.
Deux longues files de pénitents portant des cierges allumés
précédaient une bière couverte de velours noir et portée
par plusieurs figures habillées à la mode antique, la
barbe blanche et l'épée au côté. La marche était fermée
par deux files de pénitents en deuil et portant des
cierges comme les premiers. Tout ce convoi s'avançait
lentement et gravement. On n'entendait pas le bruit des
pas sur le pavé, et l'on eût dit que chaque figure
glissait plutôt qu'elle ne marchait. Les plis longs et
roides des robes et des manteaux semblaient aussi
immobiles que les vêtements de marbre des statues.
A ce spectacle, don Juan éprouva d'abord cette espèce de dégoût que
l'idée de la mort inspire à un épicurien. Il se leva et
voulut s'éloigner, mais le nombre des pénitents et la
pompe du cortège le surprirent et piquèrent sa
curiosité. La procession se dirigeant vers une église
voisine dont les portes venaient de s'ouvrir avec bruit,
don Juan arrêta par la manche une des figures qui
portaient des cierges et lui demanda poliment quelle
était la personne qu'on allait enterrer. Le pénitent
leva la tête : sa figure était pâle et décharnée comme
celle d'un homme qui sort d'une longue et douloureuse
maladie. Il répondit d'une voix sépulcrale : « C'est le
comte don Juan de Maraña. » Prosper MÉRIMÉE - Les Âmes du purgatoire
- 1834
DON
JUAN : Tu es belle ! Je viens de le découvrir…
OLYMPIA : Oh !…
DON JUAN : Belle ? Pis
que ça… J’en reste glacé . Comment te dire ? OLYMPIA : Ne dis rien.
DON JUAN, véhément : Je t’aime ! A mon tour,
je le crie…
OLYMPIA, tremblante de plaisir : Tu mens !
Dis-le encore…
DON JUAN, hors de lui, du moins en apparence :
Je t’aime ! Le voilà, ce dernier geste ! Sois ma
femme. Je te désire. Je ne suis plus un autre,
affublé d’un prénom, d’un costume… Je suis le petit
bourgeois en ribote qui t’a foutu le coup de foudre,
l’insignifiant petit frisé… mais avec des sens de
caniche ! Je t’ai dans le sang, comme tu l’affirmas
… Eh bien, soit !
Il se lance sur Olympia et l’étreint frénétiquement.
La femme étouffe dans cette étreinte et se débat. OLYMPIA : Juan ? Cesse…
DON JUAN : Oh ! déesse ! Oh ! beauté !
Mais Olympia repousse le galant et titube, la bouche
ouverte. Don Juan, loin de lui porter aide, recule
apeuré. La femme cherche à se raccrocher aux tables
et tombe brusquement sur les genoux, la tête rentrée
dans les épaules et les mains arrachent les linges
de son torse. Olympia ? Que fais-tu ? (Silence) Excuse-moi.
J’exagérais. Montons au salon, on y sera mieux
qu’ici, pour tout ça. (Silence. Il devient agité)
Mon amour ? Veux-tu m’apeurer ? C’est très bien.
Je te savais une incomparable amoureuse, d’un
tempérament… d’autant que tu n’as pas connu l’amour…
et que je suis … (Il frissonne) Tout à
l’heure, je mourais pour toi ; maintenant, c’est ton
tour. Tu vois bien que nous étions faits pour nous
comprendre ! (Il se met à trembler) Il fait
froid, viens ? Le jour va se lever. Ton fiancé
t’appelle. (Silence. Et Don Juan frappe du talon)
Oh merde, à la fin !…
Avec décision, il se penche et prend la femme à bras
le corps, la soulevant et la plaçant sur une chaise.
Inerte, Olympia s’affale contre une table et reste
immobile et raide, comme une momie. Elle semble
morte, aussi peu humaine d’aspect que le mannequin
démantibulé qui gît tout près. Les voiles se sont
dénoués, découvrant le visage : masque cadavérique,
raviné, replâtré, mais dont la lividité est couverte
de taches violettes. La bouche est un trou noir. Les
yeux, dans un cerne profond, restent vitreux et
coulants. Et la gorge dévoilée est un cou de vieil
oiseau de proie déplumé. Celle que Don Juan
contemple avec stupeur, dans l’éclairage
impitoyable, c’est une septuagénaire que la mort
vient de casser net ; à qui la mort a posé son
propre masque sur le visage. Don Juan veut ramener
les voiles sur ce masque, et, comble d’horreur, la
chevelure flamboyante d’Olympia roule sur le sol. Et
la perruque tombée, il voit que la femme a la crâne
chauve. Cette fois un rire aigre jaillit, l’horreur
confinant au comique. Il ramasse la perruque et la
remet de guingois sur la tête. Puis, il se place
près de la morte et, après avoir jeté des regards
rapides tout autour, fouille les linges du torse. Il
parle, pour se donner une contenance. Ton cœur, n’est-ce pas ? La joie t’a terrassée, pauvre
chérie ! Et c’est moi… (Il ramène le
portefeuille, qu’il glisse dans sa veste, et
soupire, délivré) Nous allions être heureux.
J’ai fait le geste, enfin, je l’ai fait ; qu’ai-je à
me reprocher ? (Il recule) Pardon… Il fait
vraiment sinistre ici. Et qu’est-ce que je resterais
faire ici ? T’aimer ? Je t’aimais ! Tu es morte ! La
Beauté, morte, en vérité, qu’est-ce que je puis
rester faire ici ? (Il
a le hoquet)
Quelle ignominie !… (Il ramasse le drap du
mannequin et en recouvre le corps d’Olympia . Puis
il place la bougie sur la table à côté d’elle)
Tout est bien fini. Ma légende. Le reste regarde le
commissaire de police .
Il est allé au commutateur et a fait l’obscurité. Le
tableau est tragique. Don Juan revient lentement,
contemple le cadavre et murmure, tout en allant à
reculons vers la porte, à droite : Adieu ! Les poètes le disent… On se retrouve là-haut… dans
les constellations !
Michel de GHELDERODE - Don Juan.
Acte III - 1928
Les Don Juan
Ce
qu'il faut dire de fadaises
Pour voir enfin du fond de son lit
Un soutien-gorge sur une chaise
Une paire de bas sur un tapis
Nous les coureurs impénitents
Nous les donjujus, nous les don Juan.
Mais chaque fois que l'on renifle
La piste fraîche du jupon
Pour un baiser, pour une gifle
Sans hésiter nous repartons
La main frôleuse et l'œil luisant
Nous les donjujus, nous les don Juan.
Le seul problème qu'on se pose
C'est de séparer en deux portions
Cinquante-cinq kilos de chair rose
De cinquante-cinq grammes de nylon
C'est pas toujours un jeu d'enfant
Pour un donjuju, pour un don Juan.
Le mannequin, la manucure
La dactylo, l'hôtesse de l'air
Tout est bon pour notre pâture
Que le fruit soit mûr ou qu'il soit vert
Faut qu'on y croque à belles dents
Nous les donjujus, nous les don Juan.
Mais il arrive que le cœur s'accroche
Aux épines d'une jolie fleur
Ou qu'elle nous mette dans sa poche
Sous son mouchoir trempé de pleurs
C'est le danger le plus fréquent
Pour un donjuju, pour un don Juan.
Nous les coureurs du tour de taille
Nous les gros croqueurs de souris
Il faut alors livrer bataille
Ou bien marcher vers la mairie
Au bras d'une belle-maman
Pauvres donjujus, pauvres don Juan
Nous tamiserons les lumières
Même quand la mort viendra sonner
Et nous dirons notre prière
Sour un chapelet de grains de beauté
Et attendant le jugement
Nous les donjujus, nous les don Juan.
Claude NOUGARO - Le Cinéma - 1962
Images
Le Naufrage de Don Juan ou La Barque - Eugène DELACROIX -
1840
Don Juan - Charles Ricketts - 1911
Vidéos
Don Giovanni de MOZART - Aria de Leporello : le catalogue
des conquêtes de Don Giovanni.
Don Juan 73 ou Si Don Juan était une femme, de Roger
VADIM - 1973
Avec Brigitte Bardot et Maurice Ronet.
Pour aller plus
loin
Réminiscences de Don Juan
(musique disponible sur internet) - Franz Liszt - 1841
Le Plus Bel Amour de Don Juan
- Jules Barbey d'Aurevilly - 1867
"Don Juan" - Chanson de Georges
Brassens, tirée de l'album Trompe la mort - 1976
Don Juan - Film de Joseph
Losey d'après l'opéra de Mozart - 1979