Les
documents complémentaires présentés ici correspondent aux
séquences suivantes :
SÉQUENCE
2A : Poésie et humour
SÉQUENCE 2B : Les Fleurs du
Mal,
« Spleen et idéal », de Charles BAUDELAIRE Objet d’étude principal :
Écriture poétique et quête du sens, du
Moyen Âge à nos jours.
Ces deux séquences
ont pour but d'avoir un modeste aperçu de l'extraordinaire
diversité de l'univers poétique, elle-même reflet de la
diversité des rapports qui s'instaurent entre cet homme (ou
cette femme) qu'est le poète, et le monde. Cet aperçu pourra
nous sensibiliser d'une part à un aspect souvent méconnu de
la démarche poétique : le recours à l'humour. D'autre part
nous découvrirons un des auteurs les profonds et les plus
influents dans l'histoire de la poésie française : Charles
Baudelaire.
Problématique principale
pour la séquence 2A : Comment l'humour s'invite-t-il
dans la poésie ? Problématique principale pour la séquence 2B : En quoi les
notions de spleen et d'idéal nous permettent-elles de mieux
comprendre le sens que Baudelaire donne au monde qui
l'entoure ?
Si je me souviens bien,
tu avais quatre dents, Aelia.
Une quinte de toux en a fait tomber deux, et une autre
quinte, deux autres.
Désormais tu peux tousser en sécurité pendant des jours
entiers :
Une troisième quinte de toux n’a plus rien à expulser.
- - -
Thaïs a les dents noires, Laecania, blanches. Quelle en
est la raison ?
C’est que cette dernière les a achetées, l’autre a les
siennes.
MARTIAL - Epigrammes
- Ier s.
Vieille
ha ha, vieille hou hou,
Vieille chouette, vieil hibou,
Vieille grimace de marotte,
Vieille gibecière de Juif,
Vieux chandelier noirci de suif,
Vieille robe pleine de crotte.
Vieille
guisarme de sergent,
Vieille pantoufle de régent,
Vieux rouet mangé de la rouille,
Vieille arquebuse de forêts
Vieux baril de harengs sorets
Vieille revendeuse d'andouille,
Vieille
barbe de vérolé, Vieille trogne de cul pelé,
Vieille chaudière à cuire trippes,
Vieille marchande d'almanachs
Vieille tripière, vieil cabas,
Vieille receleuse de nippes,
Vieille serpentine d'amour,
Vieille corratière de Cour,
Vieille étrille toute édentée,
Vieille porte-malle du temps,
Vieille dépouille de serpents,
Vieille carrosse démontée,
Vieille marmite de couvent,
Vieille bourse pleine de vent
Vieille borgne, vieille tortue,
Vieille couenne de lard punaisé,
Vieille qui mord avec le nez,
Vieille de qui le regard tue,
Vieille grille, vieux chaudron,
Vieille mule, vieux chaperon,
Vieille calotte de nourrice,
Vieille mule de médecin,
Vieux traquenard plein de farcin,
Vieille braguette de suisse,
Vieille
pique de râtelier, Vieille braie de cordelier,
Vieille moustache d'empirique,
Vieille empoisonneuse d'enfants,
Vieille morve de dix ans,
Vieille moutarde de boutique, […]
Les
chiens, les tigres et les loups,
Les cirons, les tignes, les poux,
Les punaises, les vers, les puces,
Les chauves-souris, et les chats
Les sauterelles, et les rats,
Te puissent ronger les prépuces !
MONTGAILLARD -
Gaillardises - 1606
Le crapaud
Un chant dans une nuit sans air...
La lune plaque en métal clair
Les découpures du vert sombre.
...Un chant ; comme un écho, tout vif
Enterré, là, sous le massif...
– Ca se tait : Viens, c'est là, dans l'ombre...
– Un crapaud ! – Pourquoi cette peur,
Près de moi, ton soldat fidèle !
Vois-le, poète tondu, sans aile,
Rossignol de la boue... – Horreur ! –
... Il chante. – Horreur !! – Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière...
Non : il s'en va, froid, sous sa pierre.
.................................................................
Bonsoir – ce crapaud-là c'est moi.
Tristan CORBIÈRE - Les Amours jaunes - 1873
La môme
néant
Quoi qu'a dit ? – A dit rin. Quoi qu'a fait ? – A fait rin. A quoi qu'a pense ? – A pense à rin.
Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qu'a fait rin ?
Pourquoi qu'a pense à rin ?
– A' xiste pas.
Jean TARDIEU - Monsieur Monsieur - 1951
Marquise
Marquise si mon visage à
quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu'à mon âge vous ne vaudrez guère mieux
Marquise si mon visage à quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu'à mon âge vous ne vaudrez guère mieux
Le temps aux plus belles choses se plait à faire un
affront
Il saura faner vos roses comme il a ridé mon front
Le temps aux plus belles choses se plait à faire un
affront
Il saura faner vos roses comme il a ridé mon front
Le même cours des planètes règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes vous serez ce que je suis
Le même cours des planètes règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes vous serez ce que je suis
Peut-être que je serai vieille répond Marquise cependant
J'ai vingt-six ans mon vieux Corneille et je t'emmerde
en attendant
J'ai vingt-six ans mon vieux Corneille et je t'emmerde
en attendant
Pierre CORNEILLE et Tristan BERNARD - XVIIe et XXe s.
Le plus beau vers de la
langue française
"Le geai
gélatineux geignait dans le jasmin"
Voici, mes zinfints
Sans en avoir l'air
Le plus beau vers
De la langue française.
Ai,
eu, ai, in
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin...
Le
poite aurait pu dire
Tout à son aise :
"Le geai volumineux picorait des pois fins"
Eh bien ! non, mes zinfints.
Le poite qui a du génie
Jusque dans son délire
D'une main moite
A écrit :
"C'était l'heure divine où, sous le ciel gamin,
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin."
Gé,
gé, gé, les gé expirent dans le ji.
Là, le geai est agi
Par le génie du poite
Du poite qui s'identifie
A l'oiseau sorti de son nid
Sorti de sa ouate.
Quel
galop !
Quel train dans le soupir !
Quel élan souterrain !
Quand vous serez grinds
Mes zinfints
Et que vous aurez une petite amie anglaise
Vous pourrez murmurer
A son oreille dénaturée
Ce vers, le plus beau de la langue française
Et qui nous vient tout droit du gallo-romain :
"Le
geai gélatineux geignait dans le jasmin."
Admirez comme
Voyelles et consonnes sont étroitement liées
Les zunes zappuyant les zuns sur leurs zailes.
Admirez aussi, mes zinfints,
Ces gé à vif
Ces gé sans fin
Tous ces gé zingénus qui sonnent comme un glas :
Le geai géla… "Blaise ! Trois heures de retenue.
Motif :
Tape le rythme avec son soulier froid
Sur la tête nue de son voisin.
Me copierez cent fois :
"Le geai gélatineux geignait dans le jasmin."
René de OBALDIA - Innocentines - 1969
Papa
mambo
Ton
œil profond d'hidalgo tango, Tes joues creusées, oh guérillero, L'tourbillon des belles danseuses rêveuses Que la révolution rend nerveuses, Mais l'estomac y tient pas le tempo. Tombe de haut, gringo, pistolero, Dans la crème chantilly, les gâteaux. {2x}
Le gros bibendum que t'as dans l'cœur, Tu l'as trouvé beau dans le temps, petite sœur. Soixante kilos d'échevelé poète, Tout livide au milieu des tempêtes Mais l'estomac y tient pas la rime. L'albatros patauge dans l'ice cream. Nous voilà jolis, nous voilà beaux, Tout empâtés, patauds, par les pâtés les gâteaux. Nous voilà beaux, nous voilà jolis, Ankylosés, soumis, sous les kilos de calories.
On est foutu on mange trop. {3x}
{Refrain:} Mais qu'est-ce qu'on fera quand on sera gros ? Papa Mambo !
{Refrain 3x}
Roulait des hanches en douceur le chanteur, Dans son habit cœur, belle minceur, Le poster fatal au-dessus du lit, Mais la petite fille d'alors elle a grossi Et la groupie fait de la bonne cuisine. Le chanteur a débordé de son jean. Nous voilà jolis, nous voilà beaux, Tout empâtés, patauds, par les pâtés les gâteaux. Nous voilà beaux, nous voilà jolis, Ankylosés, soumis, sous les kilos de calories.
On est foutu on mange trop. {3x}
{Refrain 4x}
Alain SOUCHON - Toto trente ans, rien que du malheur
- 1978
L'albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles BAUDELAIRE - Les Fleurs du Mal - Édition
de 1861
Renouveau
Le printemps maladif a chassé tristement
L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide,
Et, dans mon être à qui le sang morne préside
L'impuissance s'étire en un long bâillement.
Des
crépuscules blancs tiédissent sous mon crâne
Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau
Et triste, j'erre après un rêve vague et beau,
Par les champs où la sève immense se pavane.
Puis je
tombe énervé de parfums d'arbres, las,
Et creusant de ma face une fosse à mon rêve,
Mordant la terre chaude où poussent les lilas,
J'attends en m'abîmant que mon ennui s'élève...
- Cependant l'Azur rit sur la haie et l'éveil
De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil.
Stéphane MALLARMÉ - Poésies - 1866
Spleen
Tout
m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,
En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,
En bas la rue où dans une brume de suie
Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.
Je
regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,
Et machinalement sur la vitre ternie
Je fais du bout du doigt de la calligraphie.
Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.
Pas de
livres parus. Passants bêtes. Personne.
Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...
Puis le soir et le gaz et je rentre à pas lourds...
Je
mange, et bâille, et lis, rien ne me passionne...
Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun
dort !
Seul, je ne puis dormir et je m'ennuie encor.
Jules LAFORGUE - Le Sanglot de la terre
(recueil posthume de 1901, le texte date de 1880)