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On entre dans ce
roman par une date, avril 2004, qui semble vouloir nous entraîner dans
la réalité des choses - si l'on sait ce qu'est la réalité - dans la
réalité de l'Inde contemporaine. Et c'est bien cette Inde que l'on
rencontre au détour des pages, sur fond de campagne électorale ou brille
l'étoile de Sonia Gandhi. On entre dans ce roman... mais en ressort-on ?
La porte qui se ferme, la porte dont on sait - à la dernière ligne de la
dernière page qu'elle a été scellée, n'a-t-elle enfermé dans la
caverne aux images que l'écrivain, le moine banni Ananda ? De quel côté
du vieux mythe platonicien se retrouve-t-on ? A-t-on franchi dans les
deux sens l'Alai Darwasa ?
Un écrivain un peu perdu qui erre dans les rues de Delhi, une
Indienne au ventre près de tarir, harcelée par sa belle-mère et par le |
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poids des traditions, une fillette souple et fragile
enfermée dans les cercles de la vie, un sitar fantasmatique et cruel, et
les volutes étranges d'un tango montant dans l'air parmi les fumées de
la ville et les grésillement des fritures, un tango indécent, plein de
promesses et d'interdits, de gouffres et de ciels... Ces personnages,
d'autres encore, sont autant de signes, autant de possibles, autant de
passages, mais autant d'obstacles peut-être entre la réalité et la
fiction. Car si ce livre est une vision de l'Inde, il est aussi une
plongée vibrante et intelligente dans l'étrange organisme en gestation
de l'écriture et dans les laboratoires obscurs où des mondes rêvent de
venir au monde. Mais savent aussi se résigner à n'être que des rêves.
Ils nous attendent, nous veulent, veulent nous garder.
De quelque côté de la porte que nous soyons. |
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Extrait :
"Devant elle, il y a une sorte de paravent ou d'écran ajouré en bois
de santal, qui semble fait pour masquer les ouvrages clandestins. Une
porte dérobée sur la furtivité de la nuit. Des oiseaux paradisiaques,
des papillons, des biches aux abois sont sculptés sur sa surface. Par
l'un de ces jours, un regard de femme, très noir, la surveille. Elle
pense aux yeux d'une héroïne d'un film de Satyajit Ray, mais elle ne se
souvient ni du nom de la femme, ni de celui du film. Puis une bouche
apparaît, suivie d'un tintement de rires et de bracelets. Un doigt
s'introduit dans un trou de l'écran et lui fait signe d'approcher. Elle
s'approche et contourne le paravent.
Derrière, il n'y a personne. Il y a un grand bassin entouré de
petites lampes à huile qui se reflètent dans l'eau. (Elle ne s'était pas
rendu compte qu'il faisait nuit. Mais le jour s'est-il levé aujourd'hui
? Il lui semble bien que non.) Ce lieu ressemble au quartier des
reines, dans l'ancienne ville rouge de Fatehpur Sikri. Elle va vers le
bassin, toujours accompagnée du son de ses clochettes. Ses pas, à
présent, sont plus rythmés, moins lents. Les clochettes lui imposent
leur rythme et leur élan. Ses jambes suivent, entraînant le haut de son
corps qui se courbe, s'incline, se redresse, sinue. Elle fait le tour du
bassin en tournant sur elle-même. Sa jupe s'évase et ondule avec un doux
bruit de vent. Dans l'eau immobile, ses jambes sont reflétées comme dans
un miroir. Des regards y plongent. Elle continue de tourner ; de
derrière un autre paravent, une musique s'élève ; les musiciens n'ont
pas le droit de voir les cadencements onduleux du gynécée. Bientôt, elle
n'est plus seule, d'autres femmes comme elle font le tour du bassin en
déployant leurs longs bras, en faisant tourbillonner leurs jupes, en
chantant avec leurs doigts déliés le chant des mudras racontant
la même vieille histoire de Krishna, le dieu à la flûte, et de Radha, la
bergère amoureuse, de la flûte qui rend Radha folle de désir, du pot de
terre brisé, de Radha inondée d'eau et de colère, de Krishna qui la
cajole pour se faire pardonner, et les doigts miment la flûte et la
caresse, la colère et les yeux lourds, la biche et l'oiseau embusqués
dans le bosquet des amours, les clochettes font « sss.... sss...» comme
pour les enjoindre au silence, s'estompent jusqu'à ce qu'une seule
clochette tinte, avant d'exploser de nouveau en un vertige de
tournoiements et de battements de pieds sur les douze temps de l'ektaal."
© Ananda DEVI - Gallimard 2007 - pages 184-185 |
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