u'est-ce que
lhindouisme ? Question saugrenue, propos inconsidéré dans un site comme celui-ci.
Mais il faudra bien en passer par là, lespace de quelques pages sans prétention,
puisque je madresse aussi bien à ceux qui nont de cette religion quune
vision exotique et, le plus souvent, inexacte. Les autres voudront bien me pardonner de me
limiter à une esquisse si pauvre
Une parenthèse de taille avant que
daller plus loin, et dont jemprunterai les premières lignes à Florence
Callandre
(a) : "lhindouisme ²local² de cette île du sud-ouest de lOcéan Indien, nest pas
pour autant ²indien² , voire ²tamoul², mais bien réunionnais".
Ce qui bien sûr ne saurait signifier que lon a affaire à une forme religieuse
étrangère à lhindouisme "classique".
Lhindouisme nexiste pas.
Ce nest quune "invention" anglaise du XIXème siècle, correspondant
plus ou moins à ce que lon nomme en sanskrit : Sanâtana-dharma (loi ou
perfection éternelle). Le Sanâtana-dharma est un ensemble de concepts religieux
constituant les points de rencontre entre quantité de voies, de tendances, de sectes
(b)
chacune "orthodoxe"
à sa façon, le matérialisme et lathéisme eux-mêmes nétant pas exclus.
Toutes ces voies tendent vers un but suprême et rarement atteint : le samâdhi. Tel
est le nom le plus répandu de létat dans lequel le soi individuel - âtman -
sunit à la Réalité ultime et absolue. Celle-ci peut être appelée Brahman (qui
est un peu léquivalent du Dieu chrétien ou du Allah des soufis), Paramâtman (âme
suprême), Mahâpurusha (le grand Etre universel)
ou shabiller du nom de la
divinité sous les traits de laquelle chacun trouve son avantage spirituel à se la
représenter : Shiva, Krishna ou tant dautres.
Selon Jean Herbert, est hindou
"celui qui 1°) accepte lautorité absolue des Ecritures sacrées hindoues, et
plus particulièrement les Védas et des prasthanas (Upanishads, Bhagavad-Gîtâ,
Brahma-Sûtras), 2°) se soumet au système des castes, 3°) croit au caractère sacré de
la vache, 4°) admet le culte des images sacrées. [...]. On peut ajouter que, pour
lHindou, les conceptions de Dieu comme personnel, comme impersonnel-immanent et
comme absolu nont rien dincompatible et ne sont que des aspects dune
seule et même réalité "
(c). Cette définition, si fédératrice soit-elle, ne peut pas pour autant
sappliquer exactement à la totalité de ceux qui se disent Hindous. Elle est
surtout loin de rendre compte - ce qui nest pas son propos - de toute la profondeur
de lhindouisme.
Pour leur part, les auteurs qui ont
travaillé sur la Réunion en particulier ont généralement insisté sur
limportance des principes du pur et de limpur, objets dune
préoccupation constante. "A la Réunion, écrit Christian Ghasarian, les Malabars
mentionnent très peu les concepts "pur" et "impur". Le sens de la
pureté et de limpureté touche cependant tous les plans de la vie (le rapport au
divin, aux siens et à autrui)... ". On accède bien là en effet à des
concepts importants, mais très loin encore de pouvoir "résumer" à eux seuls
lunivers religieux dont il est question.
Une comparaison très succincte avec
le christianisme peut apporter quelques lumières supplémentaires sur cet univers. Le
christianisme, dont les diverses formes actuelles ne sont que laboutissement
historique de bien des péripéties, débutées par la rivalité des innombrables sectes
du Bas-Empire romain, le christianisme, donc, nest quune voie parmi
dautres pour approcher de "Dieu". Mais une voie que lintolérance
conquérante a, au cours de siècles heureusement révolus, cherché à imposer à tous
uniformément, y compris à ceux qui nétaient pas faits pour la suivre. Les
Hindous, au contraire, reconnaissent par principe la pluralité des chemins, répondant à
la diversité des individus. Ils se gardent normalement de tout prosélytisme et de tout
rejet fanatique de la différence (hélas ! certains débordements que connaît
lInde doivent donner une vision moins idyllique des réalités).
Louverture cuménique
récente, la grande cérémonie, de mars 2000 ! au cours de laquelle Jean-Paul II a
demandé pardon au nom de l'Eglise pour les horreurs qu'elle a pu commettre à travers
l'Histoire, lattitude moins dogmatique adoptée suite à la désaffection ou à la
tiédeur de nombreux fidèles et aux remises en cause suscitées par les avancées
scientifiques... seront utilement comparées à la tolérance traditionnelle de
lhindouisme, à la capacité quil a dintégrer et déclairer les
découvertes modernes.
Enfin, tout en reconnaissant
lexistence du Mystère divin, sa dimension absolue, inconnaissable par les moyens de
lêtre relatif quest lhomme, le christianisme a pourtant lambition
den donner La Vérité. Lhindouisme, empruntant la voie dune toute autre
logique, reconnaît les infinis degrés de la vérité et de lerreur, sans chercher
à imposer une foi pour ainsi dire préconçue.
A travers ces trois mises en
parallèle on aura déjà perçu, je lespère, un peu de "létat
desprit" propre à la religion hindoue. Ni meilleure ni pire quune autre
dans ce que les hommes en font, peut-être a-t-elle au moins lavantage sur toutes de
pouvoir les tolérer par principe, et même de les englober.
istoriquement, et
pour reprendre une segmentation chronologique très occidentale, la religion hindoue est
le prolongement naturel de lancien brâhmanisme, à partir du IVème ou Vème
siècle de notre ère. Le brâhmanisme est notamment caractérisé par la répartition de
la population en quatre varna (castes), dont la plus "élevée" - mais aussi la
plus rigoureusement soumise aux principes contraignants de pureté - est celle des
brâhmanes. Il reprend également les bases du védisme qui se développa dans la vallée
du Gange, théoriquement et environ entre le XIIème et le IVème siècles avant J.C..
Ce sont des peuplades aryennes qui
apportèrent les "textes" sacrés des Veda et le védisme qui en découle
sur le territoire indien. Limportance des sacrifices et du feu sacrificiel, Agni, de
la boisson sacrée, soma, et la prééminence des dieux Mitra
(d), Varuna
(e) et Indra le roi des Deva (dieux)... sont caractéristiques de la période
védique.
Cependant linfluence et
lintégration déléments propres aux religions autochtones, celles des
petites tribus mais surtout de la nombreuse population drâvidienne, sest bien vite
fait ressentir. Cest ainsi par exemple que tout le courant shivaïte et les
pratiques qui y sont attachées, telles que le yoga, semblent être dorigine
drâvidienne, de même que le shaktisme voué au culte de lEnergie divine suprême,
ou encore le tantrisme, connu pour son érotisme spirituel, auquel on ne saurait le
limiter.
Parallèlement à
lenseignement des innombrables textes sacrés, tout un ensemble de traditions orales
sest perpétué. Quantité de ces traditions jouent un rôle considérable dans
lhindouisme populaire et rural, celui qui sest dabord implanté à la
Réunion, dautres sont à la base de lenseignement de divers courants
initiatiques.
Il est par ailleurs difficile de
séparer lhistoire de lhindouisme de celle des croyances qui lont
côtoyé. Le jaïnisme et le bouddhisme sont nés du brâhmanisme, un demi millénaire
avant J.C., et nombre dHindous considèrent comme des leurs les adeptes de ces deux
religions - le Bouddha lui-même nest-il pas tenu pour le neuvième avatar du dieu
Vishnu ? Il en va de même pour les Sikhs, dont les conceptions sont en grande partie, par
ailleurs, dinspiration musulmane. Et si lislam a cohabité en terre indienne
avec lhindouisme des siècles durant, comme il continue à le faire, on devine
aisément que cela na pu se réaliser sans entraîner des influences réciproques.
Le culte du Nargoulan
(f), pratiqué à la Réunion, en est une des conséquences.
En Inde, des sectes sont apparues et
disparues par dizaines, peut-être par centaines depuis des millénaires. De nos jours,
trois grandes tendances et de multiples courants secondaires se partagent la scène
religieuse. Chacun se caractérise par la vénération dune des formes de la
Divinité, privilégiée par rapport aux multiples autres. Une répartition géographique,
une philosophie, des comportements, voire des apparences spécifiques les différencient,
encore que pour bien des Hindous il serait sans doute bien difficile de se définir comme
appartenant à tel ou tel mouvement religieux. Cest bien le cas à la Réunion où
les Malbars, comme la plupart des Indiens eux-mêmes, trouveraient aberrant un culte
adressé à seulement un des aspects de la divinité, à lexclusion de tous les
autres. En fait, lhindouisme réunionnais ne connaît pratiquement plus le
phénomène des sectes: si les premiers immigrants étaient, par la force des choses,
membres de familles soit vishnouïtes soit shivaïtes... comme en témoignent encore les
patronymes, les mariages des uns et des autres ont vite rendu caduc le système.
Les trois principales tendances dont
nous parlions reçoivent généralement les appellations de vishnouisme, shivaïsme et
shaktisme. Le premier regroupe les adorateurs de Vishnu, mais aussi de ses deux
incarnations, ou avatars, les plus populaires: Râma, héros du Râmâyana, et
surtout Krishna, dieu souverain sous les apparences dun simple conducteur de char
sur le champ de bataille du Mahâbhârata; Krishna dont Soûr-Dâs et tant
dautres poètes ont chanté lenfance espiègle dans les forêts de Vrindâvan,
les séductions ravageuses parmi les bouvières naïves, illuminées par les amours
inaltérables de Râdhâ la sublime.
On reconnaît les
vishnouites aux
lignes verticales rouges et blanches quils portent sur le front, tandis que trois
traits horizontaux de couleur blanche sont arborés par les dévots de Shiva. Cest
à un des fils de ce dernier, Muruga, que sont consacrés la plupart des grands temples
urbains réunionnais, qui se rattachent donc à la mouvance shivaïte. Quant au shaktisme,
qui tire son nom de la Shakti, lEnergie féminine de toute divinité, le Principe
Energétique universel, il trouve localement une expression particulièrement vivace dans
les cultes rendus à la déesse Karli (Kâli) et à Marliémen (Mâryammâ), dans les
nombreuses chapelles rurales et familiales. Bien dautres formes divines encore sont
vénérées à la Réunion. "Végétariennes" ou "carnivores",
"nobles" ou "populaires", glorieuses ou discrètes... elles ont toutes
leur origine dans le multi-millénaire "panthéon" hindou. (Photo1,
photo2).
Une image simpliste est répandue à
ce sujet dans nos pays : celle dune innombrable, dune inextricable cohorte de
dieux énigmatiques, régentés par une trinité - pour ne pas dire un triumvirat - se
répartissant les tâches gestionnaires de la vaste entreprise cosmique. "Brahmâ la
Guerre et Vishnu la Paix", pour reprendre Pierre Dac et Francis Blanche ! Si Brahmâ
le Créateur, Vishnu le Protecteur et Shiva le Destructeur constituent bien la
"Triple Forme", la Trimurtî censée dominer les autres aspects divins, rien
nest en réalité aussi simple. Les rôles ne sont jamais définitivement ni
exclusivement distribués parmi les dieux, et la prééminence des uns ou des autres
fluctue, du cur dun homme à celui de son prochain. Surtout, dans les
conceptions qui passent pour supérieures comme dans la conscience du croyant le plus
simple, chaque entité divine, la plus prestigieuse soit-elle, sefface devant ce
Brahman Suprême que nous évoquions, quil reçoive ce nom ou un autre. (Photo3,
photo4).