'insisterai à présent sur un trait
marquant de la mentalité des Indo-Réunionnais, ou en tout cas de quelques-uns de
ceux-ci, un trait que tous ceux qui attachent du prix à la chose littéraire
considéreront avec bonheur. Je veux parler dune sorte de volonté inébranlable de
conserver une tradition en grande partie orale se rapportant à la littérature tamoule
ancienne, ou plus généralement indienne. Là se cache peut-être une part de ce
patrimoine dont certains ont par ailleurs déploré linsignifiance. Toute une
littérature purement religieuse, dune part, mais aussi de grands classiques tels
que le Tirukkural, grand poème moral dun auteur ayant probablement vécu au
IIème siècle et connu sous le nom de Tiruvalluvar. Louvrage a revêtu une telle
importance en pays tamoul, quon ly a comparé à un cinquième Veda.
Les distiques du Kural ont circulé de façon
ininterrompue à la Réunion depuis les premiers temps de limmigration, même si
lon na pas forcément fait grand cas de leur enseignement. Nempêche !
Nest-ce pas un bel hommage à la culture ancestrale ? Une trop brève émission
radiophonique hebdomadaire de Radio Réunion destinée aux fidèles de la religion hindoue
a dailleurs fait connaître à un plus large public le contenu de cette uvre
(a). Encore un petit signe que des efforts sont faits,
quune vitalité renaît ou se maintient, cest selon.
Autres monuments littéraires inséparables du vécu
culturel malbar : le Mahâbhârata, connu localement sous les titres de
Barldon
ou Vaninvarson
et le Râmâyana. Colossale épopée
indienne, patchwork démesuré de légendes et de philosophie, fontaine intarissable de
sagesse et de rêve, écrin de la Bhagavad-gîtâ
le Mahâbhârata est
assurément tout cela, et bien autre chose encore. Nous verrons plus loin quà la
Réunion le Barldon se trouve lié, par essence, à une pratique telle que la
marche sur le feu et tout ce qui lentoure. Il est aussi en grande partie, avec
dautres récits mythologiques tels que ceux qui se rapportent à lenfance de
Krishna, à la source dune manifestation culturelle des plus étonnantes: le "bal
tamoul" , "bal malbar" ou narlegon... Le Râmâyana
a lui aussi inspiré le "bal tamoul", de même quil est à lorigine,
selon certains, du personnage appelé "jako malbar"
ou "danseur jako" (b)
: représentation populaire dun des personnages principaux de lépopée, le
général de larmée des singes, Hanumân (Almal ou Anoumal à la Réunion). (Photo1,
photo2,
photo3,
photo4,
photo5).
Peut-on par ailleurs parler dune
littérature indo-réunionnaise contemporaine ? A coup sûr. Limitée certes, mais dont on
peut espérer quelle prendra de lampleur et gagnera en originalité
à
moins quelle ne se fonde dans une "créolitude" qui pourrait aboutir au
meilleur comme au pire. Le pire sil sagit de senfermer dans une
insularité littéraire et linguistique aux aigreurs souvent légitimes mais aussi
appauvrissantes. Le meilleur si lon sengage sur la voie dune
créativité à laquelle se prête la nature même de la langue créole, sur la voie
dune ouverture aux mondes latents dans les propres racines des cultures locales
(voir cet
extrait poétique).
On retiendra une production poétique en devenir et surtout, sous diverses
formes, une relative abondance décrits de réflexion sous la plume par exemple
dun André Marimoutou (à la tête dune Université Populaire à Saint-Benoît
et traducteur en créole de passages du Mahâbhârata), ou dun Sully
Govindin... A ma connaissance, un seul roman à ce jour peut être qualifié de malbar:
celui de Firmin Lacpatia, déjà cité, Boadour. Quant à la poésie, elle se
trouve notamment et brillamment représentée par Jean-Claude Carpanin Marimoutou
(universitaire, auteur aussi de l'ouvrage Narlgon la lang, paru en 2002), dont je
cite un court extrait ci-dessus). Petite mention également pour une revue qui depuis
quelque temps s'efforce de paraître régulièrement : Tamij Sangam. Concoctée par
une association du même nom, cette publication, outre le mérite dexister, a celui
de sappliquer à diffuser un tout petit peu de connaissance sur lInde et les
Indo-Réunionnais, dans les domaines de la religion, de lhistoire, de
lactualité ou, timidement, de la langue tamoule. Daucuns regretteront que la
revue naccorde qu'une place relativement restreinte à la culture malbar locale.
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(a) Depuis quelque temps, une émission dominicale préparée
par l'Ashram Râmakrishna de Saint-Louis est aussi proposée sur les ondes de la radio
RJL.
(b) Des recherches sembleraient montrer qu'il n'existe
originellement pas de lien entre Hanumân et le Jako. Celui-ci pourrait
représenter plutôt l'aboutissement d'une influence musulmane en Inde même et
être lié à un autre animal : le tigre.
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