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On n'a pas de certitude sur la
période exacte de l'arrivée des premiers Tamouls sur l'île aujourd'hui appelée Sri
Lanka. On fait remonter à environ 500 av. J.-C. la présence des Cinghalais,
peuple aryen probablement en provenance du nord-ouest de l'Inde. Ils s'imposèrent
facilement aux tribus aborigènes, les Veddas, dont quelques poignées de descendants
survivent encore dans le centre du pays. Il est probable que des pêcheurs, puis des
commerçants tamouls fréquentèrent le nord de l'île - à portée de
rame, de voile et de regard - très tôt. D'aucuns prétendent qu'ils l'auraient fait
avant même les Cinghalais. Et c'est probablement vers le IVème ou le IIIème s.
av. J.-C. que des agriculteurs tamouls vinrent s'istaller de
façon sédentaire sur certaines parties du littoral pour y cultiver le riz. La monumentale chronique historique rédigée par des
moines bouddhistes de l'île au Vème s., le Mahâvamsa, permet
par ailleurs de savoir que l'un des premiers souverains connus du pays fut le Tamoul Elâra,
qui régna une quarantaine d'années (204-161 av. J.-C.) avant d'être vaincu par un
Cinghalais, Duttagâmanî. Elâra avait la réputation d'être un monarque droit et juste,
ainsi qu'un excellent administrateur, ce qui lui valut de nombreux soutiens parmi les
Cinghalais eux-mêmes. Il s'ensuivra une période de longs siècles où les
rivalités et affrontements entre les deux peuples ou leurs chefs furent récurrents.
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PhotoãPh.
Pratx
Statue de Shiva en Nataraja, retrouvée à Polonnâruwâ et exposée au musée de
Colombo. Ce sont les Tamouls, hindous, qui firent de cette cité la capitale du pays.
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Toutefois, la prééminence
cinghalaise ne fut pas réellement contestée, ce qui permit le développement
d'une capitale grandiose, Anurâdhapura, où s'élevèrent d'imposants
monuments à la gloire du bouddhisme : les dagobas. La prospérité du royaume, qui
s'étendait essentiellement des plaines arides de la moitié nord de l'île, reposait
principalement sur un réseau d'irrigation remarquable. Curieusement,
c'est souvent à des interventions sud-indiennes que les Cinghalais eurent recours lors
des problèmes de succession à la tête du royaume. Mais lorsque les dynasties de
l'actuel Tamil Nadu gagnèrent en puissance - notamment du Vème au VIIIème s. - l'île
fut souvent menacée, d'autant que les autochtones tamouls établis depuis des siècles
pouvaient constituer un appui aux Chola, Pândya et autres Pallava visant
à soumettre le pays. Toujours est-il qu'une culture tamoule se
développa, notamment dans la péninsule de Jaffna, distincte de la
culture cinghalaise sur les plan linguistique, religieux et social.
Ennemis puis alliés des Pândya, les Cinghalais furent
confrontés, dès le début du XIème s., à la puissance de l'empire tamoul de la vieille
dynastie Chola. Le roi Mahinda V fut fait prisonnier et les nouveaux maîtres établirent
leur capitale à Polonnâruwâ. Pendant environ soixante-quinze ans, avec
notamment le règne de Rajaraja le Grand, Ceylan fut alors une province de
l'empire chola. En 1070, le roi cinghalais Vijaya Bâhu Ier parvient à chasser
l'occupant, mais la communauté tamoule reste bien évidemment implantée dans ses zones
traditionnelles, en particulier tout au nord. Un Etat ayant pour capitale Jaffna
s'établira d'ailleurs, de façon indépendante, à partir de 1215, il sera florissant et,
un siècle plus tard environ, tentera vainement de soumettre la partie cinghalaise de
l'île.
Les XIVème-XVème s. marquèrent le début de nouvelles
vagues d'arrivants, à commencer par des commerçants arabes, les Moors,
c'est-à-dire les "Maures" (on fait parfois remonter leur présence à partir du
VIIIème s. !) Il eurent surtout des rapports privilégiés avec la communauté tamoule,
dont ils adoptèrent la langue. Les musulmans sri lankais d'aujourd'hui sont d'ailleurs
toujours tamoulophones. Ce fut ensuite le tour des Portugais,
qui dominèrent l'essentiel de lîle à partir de 1505, mais durent
attendre 1619 pour parvenir à s'emparer de Jaffna. Entre temps, les Hollandais
avaient déjà montré le bout de leur nez, et ils finirent par supplanter les
Lusitaniens. L'ère coloniale battait son plein, économiquement fondée
sur le négoce des épices. Anglais, Danois et Français manifestèrent des velléités
d'établissement. Ainsi le port de Trincomalee fut entre les mains françaises jusqu'en
1795, année où les Britanniques le leur ravirent. Ces mêmes Britanniques
affirmèrent peu à peu leurs prétentions et finirent par être les premiers Européens
à soumettre entièrement l'île, en s'emparant en 1815 du centre et son
royaume de Kandy. Il est à noter qu'en 1739, on avait fait appel à une dynastie
originaire d'Inde du sud pour régner à Kandy : les Nayakkars.
Sous la colonisation britannique fut maintenue la séparation
géographique entre zones tamoule et cinghalaise, et les autorités
s'ingénièrent souvent à favoriser d'une certaine façon les
minorités musulmane et tamoule... ce qui se paierait très cher des décennies
plus tard. Autre fait capital : l'économie subit de profondes transformations, avec
notamment l'introduction du système de plantations. Ce fut d'abord le
café, à partir des années 1830. Pour la récolte, on faisait appel à des travailleurs
saisonniers, Tamouls de basses castes ou parias de l'Inde du sud. Mais le fragile café
succomba aux maladies et, dans les années 1880, on dut le remplacer par le thé et
l'hévéa. Pour ces cultures, la main-d'oeuvre devait être en permanence sur place, et
ces "Tamouls indiens" restèrent donc à demeure, utilisés
pour toutes sortes de travaux pénibles tels que la construction des routes et des voies
ferrées. Un prolétariat misérable occupait ainsi une nouvelle place dans la société
de l'île, en particulier dans la région des Hautes Terres.
L'histoire du XXème s. fut d'abord marquée par la montée du
nationalisme cinghalais, qui s'exprima en particulier en 1915 par des émeutes
et des attaques contre la communauté des Moors, accusée de collaboration. Le
colonisateur réprima fermement cette poussée de violence. C'est finalement le 4
février 1948 que l'indépendance fut proclamée et, en 1972,
Ceylan devint Sri Lanka. On était alors déjà sur la voie d'un autre long et sanglant
épisode, celui de la guerre civile (à lire ici).
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