La créolité de l'Indien

   A l’Indien, l’on est prêt à reconnaître en effet la qualité de Créole. Cependant, il suscite, surtout lorsqu’il se livre à ses  pratiques religieuses propres, un sentiment que Freud nomme « inquiétante étrangeté ». Un extrait du récit de Confiant (p.171)[5] dispense de commentaires à ce sujet : les invocations adressées aux dieux de la pluie par Soupamah, provoquent une sorte de gêne confuse chez le commandeur Firmin : « Bien qu’ils fussent amis, Soupamah lui semblait, en ce moment-là, un étranger, le receleur d’un savoir qui n’était d’ici et qui dormait en lui la plupart du temps. Cela signifiait que ce nègre-là - combien qu’il fut indien, nous l’appelions ainsi dans notre parlure créole de même que les Blancs-pays ou les Syriens, manière de montrer que « c’était nous-mêmes-nous-mêmes » - qui buvait son sec avec nous, tapait les dominos, maugréait contre les injustices de la vie ou rêvait de s’établir petit planteur, eh bien cela signifiait qu’il relevait dans le même temps d’une autre engeance que celle du commun. Engeance secrète, effrayante qu’on ne pouvait deviner qu’à travers les éclairs brefs qui certains soirs démonisaient son regard. Phénomène que le commandeur Jérôme résumait de la façon suivante : (...) (Soupamah est mon camarade mais pas tout le temps). »

   Parmi les autres spécificités qui sont reconnues à l’Indien - sans lien cette fois-ci avec un sentiment d’inquiétante étrangeté, mais qui ont tout de même pour effet de le distinguer du reste de la population, il y a peut-être un rapport à la terre, une manière communautaire de la travailler, même si l’on ne peut, semble-t-il, parler de méthodes culturales propres aux Indiens, car contrairement aux communautés indiennes de la Caraïbe, les descendants d’Indiens de la Martinique n’eurent pas de terres à « coloniser » : l’exiguïté  du territoire, la concentration des terres entre les mains des planteurs blancs, leur morcellement en habitations aux frontières fermement tracées en sont les raisons majeures. Les petits lopins qui furent cédés à certains d’entre eux en manière de récompense par certains planteurs suffirent à peine à une culture de subsistance. Par la suite cependant, grâce à leur persévérance, ils purent, au moment de leur reconversion économique (années 1960), acquérir des lopins qu’ils exploitèrent souvent en famille, dans le nord de l’île essentiellement. Dans son mémoire de DULCR, Patrice Domoison a montré qu’il existe aujourd’hui une agriculture tournée vers la consommation locale au sein de laquelle les Indomartiniquais se trouvent en bonne place. Cette agriculture privilégie les cultures maraîchères, les agrumes et les tubercules (base de la consommation locale). Le plus souvent ils écoulent eux-mêmes leurs produits sur le marché ou les vendent aux grandes surfaces (supermarchés). C’est sans doute au manque de terre, au caractère montagneux de l’île et à la faible concentration de la population indienne qu’il faut attribuer le fait de l’inexistence de riziculture à la Martinique. L’élevage (bovin, caprin, ovin, avicole, porcin) constitue une autre facette de l’activité économique agricole des Indomartiniquais, qui fournissent le marché local en viande et en lait[6]. Leur présence est remarquable dans le secteur tertiaire également, dans le service du transport (personnes et marchandises), ainsi que dans celui du commerce.
   La persistance de la structure familiale de type patriarcale nucléaire stable peut encore être citée comme spécificité chez les Indomartiniquais, compte tenu de la politique familiale qui fut promue par les autorités coloniales en vue de garder dans la colonie les Indiens acclimatés, au terme des cinq années d’engagement établis par leur contrat de travail.


[5] Commandeur du rhum. Retour au texte.

[6] Domoison Patrice : Présences indo-martiniquaises en milieu créole, Mémoire universitaire de DULCR, UAG/GEREC, 1995. Retour au texte.

  


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Copyright © Juliette SMERALDA-AMON - 2004