Au sortir de la condition de travailleur immigrant Il est bon de rappeler que,
ainsi quil en fut des groupes africain et européen, le groupe indien na
jamais constitué un ensemble homogène, quil sagisse des origines
géographiques, sociales ou religieuses de ses membres, malgré une relative unité de
laire de provenance. Hindous, Musulmans, et Chrétiens (en petit nombre),
ressortissants de castes plus ou moins défavorisées, ils constituèrent une population
que son hétérogénéité allait fragiliser, renforçant les effets de leffroyable
mortalité qui sévissait dans ses rangs. Ainsi, sur les 25509 introduits, 16000
décédèrent à la Martinique entre 1853 et 1900. Entre 1856 et 1860 par exemple, le taux
de mortalité atteignit 58°/°°, soit 1612 décès pour 364 naissances. Entre 1886 et
1900, ce taux est de 20°/°°, soit environ 2913 décès pour 1263 naissances. La mémoire collective indomartiniquaise a gardé le souvenir dun arrachement douloureux à lInde. Tromperies, ruses, complots, captures... sont les mots qui viennent spontanément aux plus âgés, lorsquils tentent dexpliquer le comment et le pourquoi de leur présence à la Martinique. Les anthropologues voient, dans leur basse extraction de caste et leur faiblesse numérique, lorigine de la rapide déperdition dun grand nombre de leurs valeurs culturelles. Leurs conditions de travail, de vie et déparpillement sur toutes les plantations de lîle, la pression assimilationniste, les « persécutions » des religieux français, la difficulté de se rencontrer pour faire vivre leur culture et échanger, cantonnèrent ceux-ci dans un repli sur soi qui explique quaujourdhui les survivances indiennes soient le fait de groupuscules, et que dun groupe à lautre, des variantes locales aient vu le jour dans la pratique du culte hindou ou dans lexpression de certains de leurs traits culturels. A cause de lostracisme dont ils seront lobjet, les Indomartiniquais seront longtemps considérés comme des citoyens de seconde zone, la personnalité juridique ne leur ayant été reconnue quà laube des années 1900. La question de leur naturalisation et de leur citoyenneté ne fut jamais clairement posée à la Martinique. Cest à la suite de réclamations renouvelées, notamment par Henri Sidambarom de la Guadeloupe, et à la suite dune dépêche ministérielle du 9 février 1914 que lon envisagea lapplication aux Indo-Antillais des dispositions de larticle 8 (paragraphe 3 et 4) du Code Civil, ainsi que de la loi sur la nationalité du 26 juin 1889. La promulgation aux colonies, le 25 juillet 1889, de la loi sur la nationalité du 20 juin de cette même année, était censée entraîner la naturalisation des descendants dIndiens, les faisant basculer automatiquement dans le système juridique (droit civil) français. Dans la réalité, lacquisition de la citoyenneté fut un processus long et douloureux : les hommes ne furent astreints au service militaire quà partir de 1923, bien longtemps après que leur eussent été reconnus des droits politiques (1904-1906). Dans les années 1920, les luttes en vue de lacquisition de la citoyenneté semblent aboutir, suite à la « Loi concernant la faculté doption des fils détrangers nés en France », datée du 3 juillet 1917, loi qui naurait dailleurs été votée que pour la durée de la guerre. La reconnaissance de leur personnalité juridique par la métropole se heurta, en effet, à une forte opposition locale. Dans le cas de la Guadeloupe, par exemple, le gouverneur de cette île tenta, en 1903, de faire radier de la liste électorale une centaine dIndiens de Capesterre (Farrugia, 1976). A la Martinique, les Indiens âgés se souviennent encore que laccès aux mairies leur était fermé et quils étaient jetés dehors lorsquils se montraient trop téméraires. Aujourdhui, lon
saccorde à dire quils ont rompu leur isolement et saffirment sur tous
les plans de la vie sociale, excepté sur le plan politique - ce qui doit pouvoir se
corriger actuellement, où lon parlerait dailleurs plus de « descendants
dIndiens » que d « Indiens ». De fait, les Indiens
furent très longtemps méprisés, rejetés, tenus à lécart de toute vie publique,
en marge dune société qui refusait obstinément de reconnaître leur existence.
Leur histoire, mal connue des Créoles noirs et de couleur na pas favorisé la
compréhension interethnique : ils furent au contraire accusés, voire le sont
encore, dun certain nombre de dysfonctionnements sociopolitiques observés à la
Martinique. Leur implantation au sein dune société qui venait de sortir de
lesclavage et cherchait ses marques, qui était encore pleine des espoirs
quavait fait naître la libération, jouera un rôle actif dans les rapports de forces qui opposent colons/esclaves et
colons/gens de couleur. Leur présence sera en effet mise à profit par les colons pour
refuser de sengager avec les Noirs dans les nouveaux rapports au travail
quinaugurait labolition de lesclavage. Le fait de pouvoir disposer
dune main-duvre de substitution renforçait en effet leur pouvoir et
leur statut de « maîtres ». Nétait-ce pas dailleurs - parmi les
raisons quils avancèrent en manière de justification du besoin de
main-duvre - la perspective de prouver aux Noirs quils nétaient
pas indispensables qui motiva la « nécessaire » solution de
limmigration ? Projeté sur une scène sociale à la trame complexe et sur
laquelle la pièce qui se joue a pour finalité la re-définition des rapports de races et
de travail à la Martinique, lIndien sera durement stigmatisé. Il hérite de cette
époque dune réputation de « briseur de grève », que les Noirs/gens de
couleur lui pardonneront difficilement.
Aujourdhui, les Indomartiniquais ne se démarquent plus des (autres) Créoles que
par quelques petites spécificités. Cela signifie quils sont, à linstar des
Martiniquais dorigine africaine, créolisés et occidentalisés tout à la fois.
Tout dépend bien entendu de langle sous lequel ces « spécificités »
sont observées.
|
|
Page
1, page 2, page 3, page
4, page 5, page 6, page
7
bibliographie
Copyright © Juliette SMERALDA-AMON - 2004