Le présent article trouve son origine dans un incident, un après-midi doctobre chez un informateur, dévot hindou qui nous contait lhistoire de Madévilen, dieu à cheval, guerrier flamboyant à la geste toute de bruit et de fureur. Dans un coin de la pièce, une radio diffusait un programme musical. Malgré lenregistrement de notre entretien, lhomme avait insisté pour laisser courir une émission dairs créoles traditionnels. Cest alors que résonna la voie gouailleuse de Léona Gabriel1. Lhomme se leva précipitamment et éteignit le poste : je ne veux pas entendre cette chanson, elle ma fait trop mal !. Il retourna sasseoir pour rester de longues minutes sans mot dire, perdu dans des réminiscences, marqué par le ressentiment; puis, devant notre air interloqué, entreprit de nous raconter une tout autre histoire : Cétait il
y a longtemps. Au temps des premiers orchestres haïtiens, à
lépoque de la Bananeraie, de lImpériale Paillote, du Dancing Palace... de
ces grands bals qui rassemblaient jusquà 2.000 danseurs. La déconvenue de notre informateur, la survenue dans un bal dune chanson stigmatisant son groupe ethnique, lutilisation de cet air par ses rivaux pour empêcher une entreprise de séduction pourtant bien engagée, tout ceci nous conduisit à interroger ladite chanson. Dans quel arrière plan anthropo-historique senchâsse-t-elle, de quels discours se fait-elle lécho ? |
1 Léona Gabriel (1891-1971), née à la Martinique, arriva à Paris dans les années vingt, après avoir séjourné en Guyane et à Panama. Elle y épousa en 1928 le célèbre compositeur français Léo Daniderff (Ferdinand Niquet), quelle quitta quelques mois plus tard. Elle enregistra de nombreux disques et est considérée comme la chanteuse de référence de la musique traditionnelle martiniquaise. Servie par une mémoire remarquable, elle restitua, avec des arrangements qui lui sont propres, une partie du patrimoine musical de Saint-Pierre. Dans un ouvrage qui réunit son répertoire (ses compositions et des morceaux issus du folklore pierrotin), elle déclare, concernant les textes de ces chansons: Ce ne sont que des récits vrais de certaines de nos coutumes, de nos murs, de nos traditions; Ce sont des récits sans fard, sans artifice, un pur métal sans alliage, des récits tout nus (Gabriel-Soïme, 1966: 14). (Retour au texte) 2 Le chabin (ou la chabine) désigne à la Martinique un phénotype particulier présentant, pour reprendre le mot de Michel Leiris, une combinaison paradoxale de traits des races noire et blanche (1955: 161): cheveux blonds et crépus, peau claire et traits négroïdes, etc. En rapport avec cette singularité, on prête au chabin un caractère instable voire querelleur (mové chaben). La chabine, elle, est davantage réputée pour lattraction quelle suscite, quand la combinaison en question est jugée harmonieuse. (Retour au texte) 3 Lâche-la, coolie, lâche-la! Elle nest pas pour toi ! (Retour au texte) |