Interview
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IR : Sully Santa Govindin, six ans sont passés depuis notre
précédente interview, et votre livre Grand Manicon vous
ramène au premier plan de la scène culturelle (indo-)réunionnaise.
Pouvez-vous tout d'abord nous présenter précisément le contenu de
cet ouvrage ?
SSG : Une stratégie médiatique m'a propulsé
sur la scène culturelle en ce second semestre 2007. J'ai saisi
l’opportunité des festivités du Dipavali pour lancer la publication
de Grand Manicon et autres textes dès la mi-août en
concertation avec mon co-éditeur Azalées. Je suis intervenu dans le
journal télévisé créole de RFO et je fis l'objet d'un dossier de
trois pages dans le JIR magazine intitulé "Itinéraires malbar
entre histoire et littérature", mis en ligne sur Clicanoo :
http://www.clicanoo.com/index.php?id_article=166556&page=article
L'ouvrage en l’occurrence met en exergue la littérature
indo-aryenne et dravidienne à travers un florilège de textes. J'ai
aussi associé un essai sur la malbarité dans une seconde partie
agrémentée de surcroît d'un appareil critique adéquat à l’enjeu
visé.
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IR : La publication de
Grand Manicon est l'aboutissement
d'un travail de longue haleine : voulez-vous nous expliquer la
genèse de l'ouvrage, les principes qui ont été les vôtres pour le
choix de textes et les autres étapes de la réalisation ?
SSG : Pour
réaliser ce florilège, j'ai dû rassembler un ensemble de textes étudiés sous le regard avisé d’indologues. J'ai conjugué des
critères linguistiques, formels et thématiques pour constituer une
chrestomathie. Il en résulte un recueil comprenant une douzaine de
textes en édition bilingue qui privilégie plusieurs modes
d'expressions. L'hymne, Vinaryéguèl, et la poésie en prose,
Opparli, appartiennent au genre poétique. L'essai littéraire,
Histoire antique, et la relation de voyage, Grand-Manicon,
illustrent le répertoire discursif. Enfin le récit excelle dans les
cinq nouvelles réalistes : l'infortuné poulléal, le Malaise de
Jyoti, la Fenêtre ouverte, le Réverbère, les Chaînes ; et
l'imaginaire s'exalte à travers un conte merveilleux, le Cheval
quémandeur de grâce, une prose narrative, l'Ultime désir,
et un texte épique, le Prologue des contes du vampires.
La profusion du champ littéraire s'articule dans cette
anthologie thématique autour de trois parties intitulées : Sacré et
profane ; Hiérarchies et tentions ; Fiction et Humanisme. Deux
linguistes préfaciers, G.Staudacher-Valliamée et A.Murugaiyan
agrémentent l’essai de leur discours. Mais je dédie surtout ce
livre au Professeur Jean Benoist, un ami auquel je témoigne toute
mon admiration pour sa présence "lumineuse" au sein de nos sociétés
créoles. Cette anthologie bénéficie ainsi du label Centre National
du Livre, il s'agit d'une aide financière accordée par le ministère
de la culture à des auteurs "méritants". Cette estampille cautionne
de manière institutionnelle mon activité éditoriale entreprise
depuis déjà plusieurs années.
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IR
: Avez-vous une préférence pour un des textes du recueil ?
SSG : J'ai
choisi Grand Manicon comme personnage éponyme de ce recueil. Le
texte présenté restitue le langage de nos patriarches et présente un
témoignage exceptionnel du patrimoine ethnolinguistique des anciens
pousaris. Par ailleurs, des éléments explicatifs formulés par les
intéressés eux-mêmes nous permettent de mieux cerner les traditions
et les croyances ancestrales en regard du monde indien et de la
société créole contemporaine. L'enjeu discursif de ce texte
s’inscrit dans l'entrecroisement des regards, et il nous est
loisible de démasquer les visées néocolonialistes d'un journaliste
tamoul qui effectue un périple sur le continent africain et dans les
îles Mascareignes à la fin du siècle dernier.
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IR : A quel public, selon vous, s'adresse ce livre ? Pourquoi
une édition bilingue ?
SSG : Par-delà
l'aspect idéologique exposé en préambule du livre, l'intérêt de
recueil reste incontestablement pédagogique. De manière privilégiée,
ce livre en édition bilingue est destiné aux apprenants en langue
tamoule. Cet ouvrage propose un support textuel suffisamment
attrayant pour son exploitation dans le cadre des apprentissages
précoces et avancés. Sa pertinence s'exerce dans le domaine
langagier et culturel, et ses supports permettent d'appréhender la
civilisation indienne voire indo-créole en se ressourçant sur des
documents originels.
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IR :
Grand Manicon est un ouvrage réalisé dans le cadre
des activités du GERM : où en est cette structure ? Quel rôle le
GERM joue-t-il actuellement à la Réunion et au-delà ?
SSG : Le
Groupe d'Etudes et de Recherches sur la Malbarité exerce toujours
ses activités dans le domaine éditorial. Il a néanmoins étendu ses
compétences depuis cinq années dans la conceptualisation et la
réalisation des projets intellectuels et artistiques liés aux
festivités du Dipavali à La Réunion. Nous organisons des cycles de
conférences, des animations artistiques tant pour le grand public
que pour les établissements scolaires : maternelle, collège, LEP et
lycée. La programmation de 2007 en ligne sur le site du GERM durait
sur plus d'une semaine.
Nous établissons aussi des ouvertures sur le monde indien et elles
sont perceptibles aux travers de nos interventions auprès des
associations et des services d'animations culturelles. Elles se
traduisent par des conventions culturelles et économiques et
concrétisent ainsi notre intention de densifier nos liens avec des
acteurs privilégiés. Nous travaillons sur des publications
francophones et bilingues avec des universitaires indiens. Deux
ouvrages paraîtront en 2008 sous l'égide des éditions le GERM dont
le catalogue des ouvrages est consultable à cette adresse :
http://monsite.orange.fr/germ/page8.html
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IR
: En six ans, quelles ont été selon vous les évolutions
majeures dans le milieu malbar, sur le plan culturel (au sens large)
d'abord ? Et sur les autres plans : religieux en particulier, mais
peut-être aussi social... ?
SSG :
L'engouement des jeunes pour les phénomènes de mode tel le Bollywood
et les attirances des couches sociales aisées vers la culture
brahmanique n'est en aucun cas un signe de mutation irréversible aux
dépens des traditions ancestrales. Pour preuve, l'importance des
fêtes privées des « sambrani » et la mobilisation de la population
malbar pour le maintien des sacrifices caprins au sein des « sapèl
». Grâce à l'éducation nationale et aux publications universitaires,
les consciences s’éveillent et la complexité de la société créole
interpelle nos jeunes. Pour preuve, les débats animés autour des
festivités du Dipavali dans l’île, et la « une » polémique d’un
journal : « Un nouveau goyave de l'Inde ? » Des réajustements permanents voire des restructurations s'opèrent
entre la mouvance de l'indianité et des valeurs dominantes et
patrimoniales liées à la malbarité
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IR
: Vous avez donc pris part aux manifestations culturelles du
Dipavali cette année encore : que diriez-vous de l'importance prise
à la Réunion par cette fête ?
SSG : D'aucuns
décrient les tendances larvées de communalisme, et dénoncent le
gaspillage des fonds publics pour magnifier cette fête indienne ! Il
me semble opportun de se l'approprier et d'améliorer ce ferment
culturel. A vrai dire ce n'est pas une fête authentique et hindoue,
car sans subvention communale elle serait moribonde. D’ailleurs les
Malbars n'ont jamais attendu l'avènement du Dipavali en l’an 1990.
Mais il ont toujours magnifié la lumière avec leur lampe à l'huile à
l'occasion des rituels domestiques qui jalonnent le calendrier
religieux. Au sein du GERM nous nous investissons dans la
confrontation des idées et des regards, et c'est ainsi que depuis
plusieurs années, nous nous efforçons d'exploiter des compétences
intellectuelles et artistiques afin de les confronter à nos
pratiques et nos croyances. Les initiatives n'ont d'autre but que de
valoriser la culture malbar en pays créole. Ainsi cette année nous
avons programmé une pièce théâtrale sur des textes écrits à
l'origine en créole réunionnais, et mise en scène par Madavane, un
metteur en scène indien. Nous avons effectué des démonstrations du «
bal tamoul » à travers le Terukkuttu auprès des Vartials et des
familles réunionnaises. Nous espérons ainsi ramener le public vers
les répertoires des anciens et par là même revisiter et questionner
nos mythes fondateurs en opérant à partir des concepts de dynamique
et de modulation en milieu créolophone.
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IR : Quels sont les projets du GERM, et les vôtres ?
SSG : J'ai
personnellement effectué une communication en 2006 à l'Université de
Pondichéry où je conteste le concept de Diaspora indienne, mais
néanmoins j'ai rencontré à Delhi en 2007, Monsieur Chakravarty, le
secrétaire général de L'Indira Gandhi National Center for the Arts.
Pour lui témoigner la nécessité d’une esthétisation de la mémoire de
l’engagisme qui concerne des milliers de descendants d'Indiens
francophones, j'ai fait un legs de l'ensemble de mes ouvrages au «
Muséum de l’engagisme ». Des négociations ont lieu pour qu'il y ait une exposition
itinérante entre Delhi, Pondichéry et la Réunion, et j'ai accepté
d'assumer le rôle de correspondant réunionnais pour ce projet.
J'insisterais davantage pour que les Réunionnais puissent bénéficier
de l'exposition. En concertation avec un cinéaste maléalon, des
projets de court-métrage pourraient se réaliser sur les descendants
d'Indiens d'outre-mer en océan Indien. J'ai été invité à la
rencontre internationale de L'IGNAC qui aura lieu du 4 au 14 de
janvier 2008 à Delhi, et je conseille à toutes les personnes
porteuses de projets culturels, sociaux et économiques à venir
confronter leurs problématiques et à exposer leurs visions des
mondes indo-créoles à ce symposium international.
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