Interview
- IR : Sully Govindin, lorsque vous utilisez
la notion de malbarité, y voyez-vous avant tout un aspect évoquant racines et
traditions, ou plutôt une réalité essentiellement contemporaine et en évolution ?
SSG : La malbarité correspond à un
concept insulaire qui demeure inintelligible si on ne le replace pas dans le contexte
historique du peuplement réunionnais. C'est une notion liée à la réalité des espaces
de vie et de travail des engagés. Forgée dans le cadre des traditions réunionnaises
rurales, elle ne puise pas moins ses racines dans la culture villageoise de l'Inde. Mais
la malbarité se caractérise surtout par un processus évolutif, par une dynamique
d'intégration au sein de l'espace réunionnais, et du coup constitue un facteur d'unité,
de cohésion et de stabilité pour la société globale.
- IR : Quelles sont pour vous,
justement, les racines et traditions caractéristiques de la malbarité ?
SSG : Ses traditions
proviennent de la symbiose opérée entre les migrants indo-indiens certes, mais aussi des
réajustements inéluctables imposés par le contact opérés avec la société créole.
Ses soubassements culturels s'enracinent dans le domaine religieux pour
resurgir inopinément dans le champ de la laïcité. Nos temples sont des lieux inclusifs,
des lieux de transfert et appréhende la culture par le biais des activités culinaires,
musicales et artistiques et elle sous-tend fortement l'imaginaire créole.
- IR : Quelle est la situation présente de
la langue tamoule à la Réunion ? Faut-il s'en réjouir ou s'en alarmer ? Quel avenir lui
voyez-vous ?
SSG
: Au vu des difficultés de communication
entre les travailleurs indiens issus d'aires linguistiques et géographiques éparses, la
langue créole s'imposa en tant que vecteur linguistique ; mais surtout, les locuteurs
indiens influencèrent la langue créole tant au niveau du corpus lexical que dans la
syntaxe. Du coup, le processus de déperdition de leur langue maternelle s'enclencha dès
la mise en quarantaine au lazaret.
A ce jour, l'usage de la langue tamoule reste confiné au
sacré et elle perdure ainsi grâce aux rituels - enjeu de pouvoir et de domination à
vrai dire pour les pousaris ; en dépit de son érosion, de timides initiatives privées
et associatives se manifestent de temps à autres. Son usage même au sein du religieux
périclite au bénéfice du sanskrit, et sans une impulsion de la part des responsables
associatifs, elle restera la langue maternelle encore pour une ou deux générations de
quelques jeunes issues de famillles pondichériennes uniquement.
Aussi est-il impératif d'établir des liens culturels entre les membres de
l'indiaspora, afin de créer des outils adaptés pour l'enseignement du tamoul à un
public créolophone notamment, et qui s'appuient sur la littérature en exil des
descendants de coolies, cf. Les Chants du vartial :
http://www.studio-internet.com/germ/nss-folder/folder/surya%20vanom%20CD.doc
IR
: En quoi la malbarité joue-t-elle un rôle fécond dans la culture (quotidienne
et artistique) de la Réunion d'aujourd'hui ? Pour l'avenir, comment concevez-vous
l'apport créatif de la malbarité, à la Réunion et au-delà ?
SSG : Les espaces religieux
constituent les ferments de la création artistique. Dans un environnement de
convivialité, de tolérance et de partage, des fusions s'opérent : rythmes, mélodies,
thématiques émergent. De ces ingrédients nous sont parvenus les maloyas traditionnels.
Des symbioses se réalisent certes dans la chorégraphie de la danse classique indienne et
dans le jazz, mais les structures musicales inédites et formulées dans les camps restent
les plus pertinentes pour l'analyse et la compréhension des structures musicales
réunionnaises.
IR
: Quels rapports la notion de malbarité entretient-elle avec celles de créolité, de
réunionnité... ?
SSG
: Le fait réunionnais reste inintelligible
sans la dimension safranée. Certes, nous appartenons à un type de société dite
créole, car issue d'une colonie dépendante d'une métropole européenne qui déplaça
une main-duvre asiatique pour les besoins d'une économie insulaire en péril.
Mais dans la terminologie habituelle, nous nous différencions du terme de créole, nous
sommes des descendants d'engagés indiens, des Malbar, et nous assumons notre fusion
indo-indien et indo-créole, notre malbarité, voire notre réunionnité.
IR
: Quel rôle doit, d'après-toi, être celui du site Internet du GERM ? Internet est-il
une chance pour un groupe comme le GERM ? Que pensez-vous des autres sites existants sur
des sujets voisins (Indes réunionnaises notamment) ?
SSG
: Nous avons crée le site du Germ afin de
véhiculer notre idéologie, par la même occasion de vulgariser nos publications et de
susciter une dynamique culturelle indiasporique. Néanmoins, nous nous méfions des flux
centrifuges ethnocentristes et intégristes et uvrons pour la confrontations des
idées, des concepts et pour l'épanouissement de l'Insulaire.
Internet révolutionne notre rapport à l'espace-temps et multiplie nos
connexions au monde. C'est ainsi que des contacts se nouent, et ce à des échelles
multidimensionnelles et emboitées. Le cas le plus flagrant n'est-il pas celui du site des
Indes réunionnaises, qui né à la Rivière Saint-Louis (Ile de la Réunion),
rayonne à partir d'Abidjan (continent africain). C'est un site féerique, dixit JS
Sahaï, il suscite beaucoup de jalousie et d'admiration. Il constitue un facteur d'unité
et de cohésion parmi les Réunionnais. Quand on sait que son existence est due
probablement à l'ingéniosité d'une seule personne, à quoi bon discourir davantage !
Une critique toutefois que j'oserais formuler : appréhender ainsi le monde
indien voir indo-créole dans ses aspects pluridimensionnels, religieux, linguistiques et
géographiques demeure impressionnant et intrigant. Il semble bien que le site Indes-réunionnaises
possède à lui tout seul les moyens pour réaliser cette ambition !
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