Interview
NV : Mes deux
parents sont indiens et sont arrivés en France dans les années 70. Je
proviens d’une fratrie de dix
enfants dont six (les six premiers enfants de mon père) ont grandi en Inde dans
la ville de Karikal, ancien comptoir français. Pour ma part, je suis la numéro 8
de cette immense fratrie. Je suis née sur le sol français et je travaille dans
le milieu de la Communication depuis plus de treize ans.
NV : Ces contes remontent au VIème
siècle. Ils ont été probablement écrits par un certain Gunadhya. Comme toute
histoire, ces dernières ont été diffusées par voie orale aussi bien qu’écrite et
dans les différentes langues de l’Inde (il y a près de quinze langues officielles
en Inde en plus de l’anglais et près de quatre mille dialectes non reconnus).
Ils prennent également un nouvel essor à partir du XIème siècle, à
travers le Kathasaritsagara
(L'Océan des rivières de contes) de Somadeva, qui comprend près de trois
cent cinquante contes de vingt-et-un mille shlokas (un shloka équivalant à
quatre demi-lignes de huit
syllabes).
© photographie : Roald
Cassez
NV : C’est une histoire de quête.
On peut dire que nous sommes tous à la quête d’un idéal, ou d’une personne, ou
d’un sentiment, ou de l’accomplissement d’un désir, ou de retrouver les
sensations de son enfance, ou de se retrouver soi tout simplement. Dans ces
contes, tout commence par la quête du Roi Bojarajan qui, soucieux de protéger les
sujets de son royaume d’Ujjein, part à la chasse aux tigres jusqu’au fin fond de
la jungle. Ses hommes et lui finissent par se perdre mais le roi voit, dans le
bec d’un oiseau, un épi et le suit. Il se retrouve alors aux abords d’un
immense champ sur lequel est disposé un tertre. En haut de ce tertre, un vieillard est
assis dans un fauteuil en osier. Le vieillard les accueille à bras ouverts tout
en haut de son piédestal mais lorsqu’il descend de son perchoir et que ses pieds
touchent terre, son attitude change et il devient mesquin en cherchant à congédier
le roi et ses hommes de façon vile et cupide. Pourtant, parvenu en haut, le
vieillard change de tempérament et de nouveau, devient charitable. Bojarajan
pense à quelque sortilège tant il est étonné par le revirement du vieillard et
lui-même le rejoint en haut du tertre. Là, une paix incroyable le submerge
complètement. Il se sent juste, il se sent bon, il se sent idéaliste et se jure
d’être le roi le plus serviable du monde. Et comme il est curieux, il cherche
également à découvrir ce qui se cache sous ce monticule de terre et fait creuser
l’endroit. Et bientôt, il découvre un trône magnifique gardé par de splendides
statues d’or qui se trouvent sur chaque marche menant au fameux trône de
l’Empereur Vikramadittan. Pour pouvoir y accéder, le roi Bojarajan devra écouter
chaque statue raconter les glorieuses aventures de Vikram. Encore une autre
histoire de quête…
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IR :
Au-delà du contenu
narratif, ces contes ont une saveur riche, où le merveilleux côtoie l'humour, où
la monstruosité voisine avec les beautés sublimes... Qu'avez-vous ressenti en
rédigeant votre texte et quelles réactions supposez-vous chez votre lecteur ?
NV : Je connais ces contes depuis
mon enfance et j’ai dû les lire et les relire au moins une centaine de fois.
Comme mon père qui les avait publiés à compte d’auteur dans les années 70 (c’est
une adaptation de la version tamoule des histoires de Vikramadittan, assez connues
en Inde), j’avais envie de les partager avec le plus large public puisque, en
outre, chaque histoire comporte une forme de sagesse universelle. J’avais comme
lui, une envie de perpétuer cet héritage culturel pour mes enfants, pour mes nièces et
neveux afin qu’ils puissent retrouver le souffle de cet homme merveilleux que
fut mon père, leur grand-père. C’est ce souffle, son humour, sa personnalité, ma
propre vision des choses également, des souvenirs de mon voyage en Inde (qui
pour moi est le voyage de ma vie) il y a près de huit ans et qui m’a menée
jusqu’à sa maison d’enfance, qui ont guidés mon travail. J’avais
également envie de me retrouver dans la peau d’un enfant de dix ou douze ans avec ses idéaux et sa soif de
clémence en travaillant sur ce projet. J’espère qu’il plaira aux lecteurs de
tout âge.
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IR :
Votre préface fait
référence à votre tendance, lorsque vous étiez enfant, à vous "exiler" dans le
monde imaginaire qui était, notamment, celui de ces contes : en quoi était-ce un
"exil" ? En est-ce toujours un ?
NV : Je considère les livres comme
mes amis, mes compagnons de route, d’éternels alliés, des enseignants commodes
et pratiques puisqu’ils peuvent même tenir dans une poche. J’ai toujours eu le
réflexe d’y entrer pour pouvoir apprendre, découvrir, rêver, m’évader. C’est
dans ma nature et il est très rare aujourd’hui de me voir sans un bouquin à la
main. Je ne peux pas vraiment appeler cela un « exil ». Les livres sont plutôt une ouverture vers d’autres
mondes, d’autres univers s’ils ne sont pas des outils qui nous permettent de
mieux comprendre le nôtre.
© photographie : Roald
Cassez
NV : A travers les lignes de ces
contes, je retrouve des souvenirs de mon voyage en Inde, mes idéaux, ma soif
d’un monde plus juste, plus humain, plus respectueux des droits de l’homme et de
la femme. J’ai rajouté des touches de couleurs, des parfums, des noms et des
prénoms là où ils n’existaient pas. D’autres histoires dans les histoires.
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IR :
Votre livre,
vous le disiez, se veut aussi
un hommage à celui que vous admirez profondément : votre père. Quelle image
gardez-vous de cet homme et quel rôle a-t-il joué dans la genèse de votre livre
?
NV : Je vous l’ai dit, son souffle
m’a guidé jusqu’à la dernière ligne. Mon père est l’homme que j’ai aimé le plus
au monde. Il était d’une douceur et d’une érudition hors normes. Il était d’une
gentillesse, d’une modestie et d’un sens de la justice rares. Je l’ai
malheureusement perdu à l’âge de quatorze ans mais j’ai compris, en retrouvant ses pas
dans les ruelles de Karikal, quel était son rêve d’enfant. Comme il aimait la
littérature aussi bien orientale qu’occidentale, il souhaitait faire partager les
contes qui ont bercé son enfance (avant la mienne) à un large public. C’est son
rêve que j’ai cherché à réaliser. Le mien n’a été que celui de lui rendre
hommage.
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IR :
Vous êtes musulmane, et
les contes rassemblés dans votre livre sont d'origine hindoue : alors que l'on
met souvent en avant les conflits qui opposent depuis si longtemps hindous et
musulmans, votre ouvrage est-il le signe que les deux cultures et les deux
religions peuvent parfaitement se respecter et entretenir un dialogue fécond et
paisible ?
NV : Je tiens
à préciser que mes racines, ma famille, sont certes de religion
musulmane mais que ma foi, elle, est personnelle. Elle vient de mon expérience, de mes lectures, de mes centres
d’intérêts, de mes aspirations, de ma sensibilité. Au-delà des mots et des
qualificatifs comme « musulmans », « hindous », « chrétiens, « jaïns »,
« athées » etc., ce qui compte est le respect de la personnalité de chacun, de
chaque être vivant, la recherche de la connaissance et une quête qui est commune
à tous : le but de chacun n’est t-il pas simplement d’être heureux ? Parmi les
penseurs indiens, j’aime beaucoup les enseignements de Gandhi, de Krishnamurti,
de Swami Vivekananda et je cite volontiers ce dernier : « Nous devons apprendre
à aimer ceux qui pensent exactement à l’opposé de nous. Au sein de l’humanité,
chacun doit avoir sa propre individualité et sa propre pensée. Les sectes
doivent être poussées à l’extrême jusqu’à ce que chaque homme, chaque femme soit
lui-même une secte. Nous devons apprendre que la différence fait vivre la
pensée. Nous avons un seul objectif commun, c’est la réalisation de l’âme
humaine, du divin en nous. » Dans les Contes du Roi Vikram, il s’agit plus de
sagesse universelle que de rites et de croyances.
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IR :
Votre famille est
originaire de Karikal, petite ville tamoule et ancien comptoir français,
aujourd'hui quelque peu oublié, comparativement à Pondichéry. Quelle image
avez-vous de cette terre de vos origines et quel rapport entretenez-vous avec
elle ?
NV : Je suis allé en Inde
seulement trois fois dans ma vie. Une fois enfant, avec mes parents. La seconde
fois, en jeune femme libre de contraintes, en quête de ses racines indiennes et
la troisième fois, dans le cadre professionnel. A chaque fois que j’y suis allé,
que j’ai humé les parfums de l’Inde, je me suis sentie plongée dans l’âme
indienne, je me suis sentie indienne, j’en ai happé les différences et les
richesses. Le souvenir que j’ai de Karikal est émouvant puisque j’ai rencontré
la nombreuse fratrie de mon père et j’ai pu mieux cerner son histoire.
NV : J’ai de la chance d’avoir une
vraie double culture. A la maison, enfant, nous parlions tamoul et nous nous
mettions en habit traditionnel après l’école. Ma mère excelle dans la cuisine
indienne et, même aujourd’hui, j’aime faire partager à mes amis, à mes proches,
cette cuisine riche en épices et au subtil parfum de ghee. L’Inde a une place
importante chez moi puisqu’elle figure sur les photos accrochées aux murs, dans
les étagères où s’alignent les éléphants, à travers le parfum de l’encens que
nous allumons comme par habitude ou dans mes goûts vestimentaires. Oui, elle
fait écho dans ma personnalité.
NV : J’en ai pas mal. Pas
forcément liés à l’Inde d’ailleurs. Dans mon entourage, il y a une autre personne
à laquelle j’aimerais rendre hommage et qui a vécu, elle, dans le Morvan, à une
époque aujourd’hui révolue. C’est une autre histoire. Et cette personne est
aussi belle que les contes de mon enfance.
© photographie : Roald
Cassez
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