Interview
NK : Avec plaisir. Né à Pondichéry (Inde), je suis à Strasbourg (France) depuis 1985.
Commerçant par profession, c'est-à-dire pour survivre, je dépends d’une
épicerie indienne. Mais ma passion est ailleurs. Je suis un homme qui passe son
temps en lectures ; je ne peux pas vous dire d’où vient ce goût, mais ma mère
est responsable d’une partie de ma vie culturelle. C’est cette euphorie des
livres qui m’a conduit à écrire.
NK : Comme les Dadaïstes, j’ai découvert ce nom par hasard.
Mais l’idée n’est pas celle d’hier. Bien que notre vie soit encadrée par la
société, on ne peut pas ignorer l’individualité d’un homme. Tout en gardant
cette l’individualité, l’homme est obligé de dépendre des autres. D’ailleurs, la
notion de la société d’aujourd’hui n’est plus la même : à travers les
diversités, races, religions, cultures diverses doivent savoir vivre ensemble
dans notre société. Je pense que la connaissance culturelle de l’un et l’autre
peut nous aider à vivre ensemble. L’Inde et la France ont chacune sa richesse à
échanger. Notre chassé-croisé est un petit effort pour réaliser cette idée de
partage.
NK : En France, je vois qu’il y a au moins une centaine
d’associations des diasporas indiennes. Chacune a ses objectifs et ses couleurs.
Elles sont bien présentes à travers leurs engagements. Il m’arrive d’assister à
certaines de leurs fêtes et je le continuerai d'ailleurs. Par contre, je n’ai
pas l’envie de suivre le même chemin. Comme vous savez, notre but principal est
de présenter la littérature auprès des francophones ; avec cela on peut
ajouter la peinture et la sculpture, mais pas dans l’immédiat.
-
IR/LNRI :
Dans votre démarche de promotion de la culture indienne, n'êtes-vous pas tentés
tous deux, de par vos origines, de privilégier la culture tamoule ?
NK : C’est normal. Ce n’est pas facile d’effacer notre origine du
jour au lendemain. Quand on sort, on essaie d’imiter l’autre ; dés qu’on rentre
chez nous on s'en déleste, on se démaquille, on se sent à l’aise avec notre
vrai ‘être’. Tout d’abord, je suis un Tamoul ; l’Indien vient ensuite. En
France, on entend souvent les mots comme alsacien, niçois, breton, mais cela ne
les empêche pas d’être français. A première vue je ne suis ni français ni
indien, plutôt un Tamoul pour tous ceux qui ne me connaissent pas. Si je ne
montre pas les justificatifs, personne ne sait qui je suis. Mon identité de
Tamoul est une vérité absolue. Pourquoi je la cache donc ? Si vous entrez dans
la diaspora indienne, on voit l’existence d'un communautarisme. Pourtant, avec
le soutien d’un poète tamoul, M. Indiran, le premier recueil de poèmes traduit
en français (L’Heure du Retour) n’est pas en tamoul mais en oriya. Ce
sont des poèmes écrits par Dr. Manorama Biswal Mohapatra. Je ne sais pas si
d’autres Indiens peuvent faire ce geste envers le tamoul.
NK : En gros, on peut le prendre comme cela. C’est une
conséquence de la colonisation. Les colonisateurs sous-estiment leurs anciennes
colonies, ou ils ne veulent pas entendre parler du côté digne d’un pays du
tiers monde. L’histoire des Tamouls fait partie de celle l’Inde. Ensuite, nous
aussi quelque part en sommes responsables. Comment les Français entreront-ils si
nous ne les laissons pas entrer. Au lieu de parler de notre passé glorieux, il
faut leur faire comprendre que notre présent garde toujours sa grandeur.
NK : Je suis ressortissant d’un ancien comptoir de Pondichéry. La
nationalité française que j’ai eue en Inde m’a incité de faire ce choix.
D’ailleurs, j’ai cru qu’on pourrait mieux vivre en France qu’en Inde. En bref,
je me suis installé en France pour une raison économique.
-
IR/LNRI :
Vous avez traduit en tamoul divers ouvrages français, de Marguerite Duras,
Françoise Sagan, etc. : quels sont vos goûts personnels dans la littérature
française et, en tant qu'Indien - et donc avec un regard extérieur - qu'est-ce
qui vous paraît différencier la littérature française de la littérature indienne
?
NK : C’est un concours de circonstances. J’aime la nouveauté. La
France est un pays où la littérature se métamorphose sans cesse. C'est la
littérature moderne du monde, surtout celle de la France, qui m’inspire. Pour un
écrivain comme moi, c’est essentiel de comprendre ce qui se passe autour de moi
et de rester en contact avec des événements littéraires. J’aime la voix
rebelle en général. J’aime l’écriture qui nous donne à réfléchir et ce qui
dialogue autrement. Bien que nous soyons au vingt-et-unième siècle, entre la
France et l’Inde au fond il y a toujours des différences. La distance et les
caractéristiques géographiques qui séparent les deux pays se voient dans leurs
cultures aussi. Les auteurs à leur tour s'en font l’écho dans leurs œuvres. Il
existe donc une différence sur le plan culturel. A part cela, je ne vois pas
d’autre différence.
NK : Je ne sais pas comment vous voulez prêter au mot
"rapprocher". Pour moi, le rapport entre deux pays doit se faire tout en gardant
leur diversité culturelle, c'est-à-dire sans passer par des concessions. Je crois que le monde est beau à voir et bouge grâce à sa
multitude d'espèces, avec leur nature, couleur, parfum, lumière, son etc. S’il
y avait une similitude, une fonction monotone, je ne vivrais même pas une
seconde de plus. C’est pour cette raison que je préfère présenter aux Européens
des écrivains régionaux de l’Inde plutôt que des écrivains indiens qui écrivent
en anglais.
NK : Tous ce que je viens d’écrire a été écrit et publié en
tamoul. Kalachuvadu, Sandhya et trois autres éditeurs indiens s’occupent de
publier mes œuvres. Jusqu’à présent, il y a quinze œuvres : deux romans, quatre
recueils de nouvelles, un recueil de poèmes, quatre recueils d’essais sur la
littérature française et six traductions. Le premier roman est intitulé
Nilakadal (La Mer bleue).
Il s’agit d’un Français qui est allé à Pondichéry pour travailler à l’Institut
Français, cherchant en même temps les traces de son ancêtre disparu trois
siècles auparavant. C'est une histoire qui se passe entre l’Inde du sud et l’Ile
Maurice, un voyage à travers les époque ; c’est aussi un roman historique qui
parle de l’histoire des Tamouls à Ile Maurice pendant la colonisation, plus
particulièrement la période de La Bourdonnais. Le deuxième roman,
Mata-Hari, raconte l’histoire d’une
Pondichérienne qui se termine en France. L’héroïne rencontre le même destin que
celui de Mata-Hari ; c’est plutôt donc l'histoire de deux femmes qui ont
parcouru le même chemin. D’ailleurs, dans ces romans ou dans mes nouvelles,
j’essaie d’exister en tant qu’immigrant à travers mes personnages.
NK : Pour l’instant rien, rien de prévu. S’il y a des idées qui
peuvent enrichir mes objectifs, je suis prêt à m’engager.
NK : J’écris, je traduis de français en tamoul. Le
Procès-verbal de Le Clézio va sortir en tamoul. Un contrat a été signé avec
l’éditeur français. Un autre contrat a été signé aussi pour traduire, en
français cette fois, des œuvres d’Ambai - alias Laxmi -, une écrivaine connue en
Inde. Une traductrice française va le faire.
|