Historique
Vouloir retracer l'historique de Bollywood équivaut à évoquer une
galaxie, un univers entier : celui du cinéma indien de langue hindi... des milliers de
films, des milliards de spectateurs, une infinité de choses à dire. Autant baisser les
bras... ou se limiter à quelques grandes lignes, un aperçu ô combien incomplet, pour
inciter le lecteur à d'autres recherches.
Les premiers pas du cinéma indien remontent, comme dans bien d'autres
pays, aux débuts du XXème siècle et même
à la fin du siècle précédent (nos braves
frères Lumière présentent des films à Bombay en 1896
!). Scènes de la vie réelle, spectacles de théâtre... marqueront les premiers mètres
de pellicule tournés en Inde. Ici - comme ailleurs ne l'oublions pas - le cinéma se
conçoit d'abord comme une nouveauté technologique et un produit commercial, avant
d'être vu comme un art. Dès 1907,
Jamjetji Framji Madan, dans le métier depuis déjà cinq ans, se lance à
Calcutta dans la réalisation d'une véritable chaîne de cinémas qui comptera déjà
trente salles en 1909. Les affaires tournent
! Mais il faut attendre 1913 pour que le
premier long métrage de fiction soit réalisé : un film de Dhundiraj Govind
Phalke intitulé Raja Harishchandra et présenté à Bombay. En
cette époque "héroïque", il n'était guère facile en Inde de faire du
cinéma, frappé qu'il était - comme le théâtre français de l'époque de Molière si
l'on peut oser la comparaison - d'une sorte de déconsidération morale : on dit que même
les prostituées refusaient de tourner ! Tous les rôles étaient donc uniquement tenus
par des hommes, ce qui d'ailleurs ne changeait guère du théâtre traditionnel. Autre
ressemblance avec celui-ci : la prépondérance des thèmes mythologiques.
Du film Raja Harishchandra, Henri Micciollo évoque le fait qu'il
"mette en place tout un système de représentation qui s'imposera définitivement
dans le cinéma indien, et qui provient largement du théâtre populaire. Le statisme de
la caméra, toujours placée frontalement face aux scènes à filmer, s'accompagne d'une
caractérisation simpliste des personnages qui relève des stéréotypes populaires : le
héros à la perfection presque inhumaine, la victime innocente, le serviteur
comique..." (Le Cinéma indien - L'Equerre, Centre Georges Pompidou - 1983).
Dans les années '20, le
star-system indien va voir le jour à la même époque qu'en Occident : des acteurs tels
que Jahan Ara Kajjan, Gohar, ou la première star féminine Devika Rani, commencent à
triompher vers 1925 - année où, pour
mémoire, "la Divine" suédoise Greta Garbo conquiert Hollywood. Et en 1931, le premier film de fiction parlant sort sur les
écrans. Il s'intitule Alam Ara, a été réalisé par un certain Ardeshir
Irani, a pour vedettes Master Vithal et une authentique
princesse musulmane de Surat : Zubeida... et il est en hindi ! Des films
parlants en bengali, télougou et tamoul suivront la même année.
On le sait, un film indien ne saurait se concevoir sans chansons. Cette
tradition remonte aux origines. En 1932 sort
le premier film fait exclusivement de chansons : Indra Sabha. Par contre, ce
n'est qu'en 1937 que l'on pourra voir le
premier film entièrement dépourvu de chansons et de danses : Navjawan, des
frères Jamshed et
Homi Boman Wadia. Le cas restera rare ! Au même moment, Vishnupant Damle fait voyager et remarquer son
film Sant Tukaram au festival de Venise : probablement un des premiers contacts
du public européen avec cette version exotique du septième art. En cette période
d'avant-guerre, les scénarios basés sur le triangle mari-épouse-maîtresse
triomphent... on n'est pas si loin du théâtre de boulevard qui sévit alors sur les
scènes parisiennes ! Mais toute une veine d'observation et de critique sociale
s'épanouit aussi, représentée notamment par Vanakudre Shantaram.
Globalement, et malgré les effets de la crise économique mondiale, ces années '30
font souvent figure d'âge d'or du cinéma indien. Des compagnies puissantes, basées sur
le modèle hollywoodien, donnent à la production un socle stable, tant en moyens
financiers qu'en ressources humaines et techniques. Ces compagnies sont assez nombreuses,
mais trois d'entre elles surtout sont à retenir : la Prabhat Film Company à Poona, la
New Theatres Ltd à Calcutta, et la Bombay Talkies, fondée en 1934 par Himamsu
Rai et Devika Rani. Elle produit trois films par an !
Le second conflit mondial ne semble guère avoir de répercussions sur le
contenu des films. Par contre, dès le début des années
'40, certains vont se faire quelque peu
militants. Tel est le cas de Door hato ae duniya walo Hindustan hamara hai (quel
titre !), de Kismet. Sa cible : le Raj britannique. Nous sommes en 1943 et le film tiendra l'affiche pendant quatre
ans ! L'indépendance est pour très bientôt...
Les années '50 correspondent
à une période où le cinéma hindi se sclérose : une codification contraignante et
appauvrissante s'impose, faisant du film un produit stéréotypé, avec sa dose
obligatoire de bons sentiments, de comique et de danses. Les foules
sont fascinées par ce grand écran qui les éloigne tant d'une réalité bien peu
réjouissante. Les grandes vedettes s'appellent par exemple Dilip Kumar
et Nargis, dont Nasreen Munni Kabir (1) écrit : "Both are fine
performers and have much personality and character. Their faces show dignity and a sense
of values. Their screen personages do not need to shout, they could speak in whispers and
people would pay attention". (Tous deux sont de remarquables interprètes, ils
ont beaucoup de personnalité et de caractère. La dignité et le sens des valeurs se
lisent sur leurs visages. Les personnages qu'ils jouent à l'écran n'ont pas besoin de
crier, ils pouvaient murmurer leurs paroles, le public était attentif).
En 1954, le film hindi dirigé
et produit par Bimal Roy, Do Bigha Zamin, connaît une certaine
consécration internationale avec une mention spéciale du jury au festival de Cannes sous
le titre Deux hectares de terre. Une année auparavant est sorti le premier film
indien en technicolor : Jhansi ki Rani, de Sohrab Modi. Le grand
maître Bengali Satyajit Ray va bientôt tourner ses chefs-d'oeuvre (et
sa Complainte du sentier connaîtra aussi le succès à Cannes, obtenant le prix
du document humain) qui resteront largement méconnus de ses compatriotes, tandis que le
cinéma hindi se trouve aussi un maître en la personne de l'acteur, producteur et
réalisateur Raj Kapoor. Il triomphera - en Inde - pendant presque quatre
décennies.
Les années '60 vont voir, à côté du cinéma populaire, quelques
expériences artistiques... boudées par le public. Ainsi en 1964
Sunil Dutt propose Yaadein, un long monologue avec un unique
acteur. Précédemment, il avait osé mettre en scène un anti-héros, dans Mujhe Jene
Do. D'autre part, l'institution cinématographique indienne s'organise de plus en
plus, c'est ainsi par exemple que le Festival International du Film de New Delhi se
déroule de plus en plus régulièrement. Le star-system franchit un nouveau cap avec
notamment l'idole de ces dames, l'acteur Rajesh Khanna qui triomphe dans
les années '70. C'est aussi l'époque
où vont être réalisés, à contre courant des habitudes, de nombreux films à petit
budget, y compris de la part de Raj Kapoor avec son Bobby, qui
est un succès. On parlera de Nouvelle Vague indienne et d'avant-garde. Mais les grosses
productions occupent toujours les écrans, avec force histoire sirupeuses, tandis que
certains connaissent les effets d'une censure qui, ne l'oublions pas, est pour beaucoup
dans l'image sage et lisse que donne le cinéma indien.
Les années '80 et '90
n'apporteront guère d'innovations, mais verront une ascension économique impressionnante
de l'industrie cinématographique indienne. Des budgets de plus en plus lourds, des films
à grand spectacle, les nouveautés technologiques venues des USA, des acteurs et des
actrices starifiés à la pelle... et l'apparition du concept de Bollywood : le triomphe
d'un certain cinéma et de ses produits dérivés, en particulier tout ce qui tourne
autour de la chanson à succès. A côté de cela, certains réalisateurs s'orientent vers
une esthétique plus à même se séduire des yeux occidentaux, s'éloignant du kitsch
caractéristique des productions les plus prisées dans leur propre pays pour pratiquer ce
que nous pouvons appeler un cinéma d'auteur. C'est ainsi par exemple qu'en 1989 une nouvelles venue, Mira Nair,
remporte à Cannes la caméra d'or pour son premier film, où la misère s'expose : Salaam
Bombay. Mais tel n'est pas l'esprit de l'étincelant Bollywood...
(1) Nasreen
Munni Kabir, Indienne installée depuis très longtemps en France puis en
Angleterre, est actuellement considérée comme une des meilleures spécialistes mondiales
du cinéma hindi. Elle a publié plusieurs ouvrages de référence, notamment Bollywood
- The Indian cinema story en 2002, fait partie du British Film Institute, et dirige
sa propre société de production, Hyphen Films. (Retour au texte).
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