Bollywood aujourd'hui
"En fait, s'il fallait définir la caractéristique
déterminante des films hindi, ce serait la place dominante faite aux passions.
La seule fonction de l'intrigue est de fournir un support, un cadre
à l'expression de sentiments divers, mais tous exacerbés", écrit Nasreen Munni
Kabir (1) (Le Cinéma
indien - L'Equerre, Centre Georges Pompidou - 1983).
Tout semble en effet prendre les proportions excessives de
la passion, parfois de la démesure, quand on observe le cinéma indien actuel. La
fréquentation des salles tourne autour de cinq milliards d'entrées par année, environ
un million de personnes travaillent en Inde pour le cinéma, le public transforme les
acteurs et actrices les plus en vue en "méga-stars", avec une frappante
tendance populaire à les identifier aux personnages qu'ils incarnent à l'écran... Tout
n'est pourtant pas rose dans l'industrie cinématographique de Mumbai et d'ailleurs. Rares
sont en effet les films profitables (5% en 1997 par exemple) : les producteurs
perdent souvent plus d'argent qu'ils n'en gagnent !
On peut en réalité parler d'une relative désaffection du public
(2),
qui commence peut-être à se lasser des stéréotypes, des vieilles recettes que l'on a
renoncé à remettre en cause. Et puis, avec un décalage facile à comprendre, l'Inde ne
reste pas étrangère à une évolution des habitudes dans la consommation de l'image : la
télévision, la vidéo ou les chaînes satellitaires mangent peu à peu le territoire
jusqu'ici réservé aux salles obscures. La concurrence du cinéma étranger - disons-le,
américain - reste certes limitée, mais se fait sans doute de plus en plus menaçante. Un
film comme Titanic, correspondant finalement assez bien aux repères du public
indien, a fait un tabac. Comme il y a quelques décennies, certains rélisateurs, à la
recherche de la nouveauté, tentent des expériences pour reconquérir le public.
Interrogée par Indes réunionnaises, Nasreen Munni Kabir déclare "Love
stories are still popular ; the very latest trend are horrow/thriller movies. Ram Gopal
Verma has been successful with his ghost story Bhoot which is a horror story
without songs. Otherwise it is clear that audiences want novelty in story or story
treatment" (Les histoires d'amour sont toujours populaires ; la dernière
tendance met en avant les thrillers et les films d'horreur. Ram Gopal Verma a eu beaucoup
de succès avec Bhoot, une histoire de fantômes, un film d'horreur dépourvu de
chansons. Sinon, il est clair que le public veut de l'innovation dans le scénario ou la
conduite de l'histoire).
Mais inversement, le cinéma indien lance des incursions de plus en
plus nombreuses et incisives en Occident, porté il est vrai par un phénomène
de mode qui, depuis quelques années, vient toucher aussi bien par exemple à
l'esthétique féminine (tissus et vêtements, mehndi...) qu'aux références musicales
(on écoute de plus en plus de bhangra dans les discothèques !). Certains signes ne
trompent pas : Mira Nair s'est récemment distinguée par de beaux
succès, avec en particulier son Lion d'Or à Venise en 2001, pour Le Mariage des
mousons (après son Salaam Bombay récompensé à Cannes, ou la réussite
commerciale de son Kama Sutra) ; 2002 voit des avancées significatives :
Lagaan, d'Ashutosh Gowariker, est nominé pour l'award du meilleur film
étranger (qu'il n'obtient pas...), Devdas, de Sanjay Leela
Bhansali, est en compétition à Cannes et permet à ses producteurs d'engranger de gros
bénéfices, la Twentieth Century Fox produit un film en hindi (El Hasina Thi)...
Quant à 2003, on en retiendra notamment que l'ex-miss planétaire Aishwarya Rai,
"awardisée" dans son pays pour son rôle dans Devdas, reçoit une
autre forme de reconnaissance en faisant partie du prestigieux jury au festival de Cannes.
La percée du cinéma indien en Europe ou aux Etats-Unis est toutefois à
relativiser. Selon Nasreen Munni Kabir, répondant encore une fois à nos questions,
"There are very few films that are really genuinely big time popular. Devdas
did well in France and Lagaan in different European counties. But the box office
collections still do not compare to a film like Crouching Tiger. So it is early
to say what the popularity will be. Most audiences do not like reading subtitles and the
length of the hindi film is a problem. So once these questions are overcome there will be
a steady increase in audience number. This past two years there is a greater and
greater awareness but it seems that it is more that the press in the West are getting
familiar with the 'bollywood' brand, there are influences taken from the choreography and
the costumes. But am not sure audiences have really gone crazy over a movie" (Il
y a très peu de films qui aient véritablement connu (en Occident) le
grand succès des divertissements populaires. Devdas a bien marché en France et Lagaan dans plusieurs pays d'Europe. Mais au box
office, rien de comparable avec le succès d'un film comme Crouching Tiger (3). Il est donc un peu tôt pour dire ce
que sera la popularité du cinéma Indien. Le public n'aime généralement pas lire des
sous-titres, et la longueurs des films hindis constitue un problème. Lorsque ces
questions seront réglées il y aura une hausse continue du nombre de spectateurs. La
prise de conscience va croissant depuis deux ans, mais il s'agit surtout de la presse
occidentale qui se familiarise avec le label "Bollywood", on s'inspire aussi de
chorégraphies, de costumes (vus dans les films indiens). Mais je ne suis pas sûre qu'un
film ait déchaîné la passion du public" (occidental).
(1) Nasreen
Munni Kabir, Indienne installée depuis très longtemps en France puis en
Angleterre, est actuellement considérée comme une des meilleures spécialistes mondiales
du cinéma hindi. Elle a publié plusieurs ouvrages de référence, notamment Bollywood
- The Indian cinema story en 2002, fait partie du British Film Institute, et dirige
sa propre société de production, Hyphen Films. (Retour au texte).
(2) ... Affirmation qu'il faut corriger en 2007-2008.
Les salles multiplex et le numérique dopent l'industrie cinématographique
indienne, les superproductions sont de plus en plus imposantes, à défaut
d'être toujours cinématographiquement remarquables. Et le marché intérieur
n'est pas le seul concerné... Un article du Monde, fin 2007, débutait
ainsi : "Sommes-nous à un tournant dans l'histoire du cinéma
? Le week-end des 10-11 novembre, deux films indiens de Bollywood ont battu
chacun, en recettes mondiales, la dernière production d'Hollywood, Lions
et agneaux, et réussi du même coup à éjecter l'imbattable
Ratatouille de la tête du box-office. Selon Variety Asia, ces
deux films indiens, Om Shanti Om et Saawariya,
ont engrangé, pour le premier, 19 millions de dollars de recettes, et, pour
le second, 15 millions, tandis que Lions et agneaux, produit par Tom
Cruise, passait péniblement la barre des 10 millions de dollars."
(Retour
au texte).
(3) Crouching
Tiger, Hidden Dragon, film taïwanais d'Ang Lee. En français, Tigre
et Dragon, sorti en 2000. (Retour
au texte).
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