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La diaspora indienne à
destination des sociétés créoles date de la fin de l’époque esclavagiste
(abolition de l’esclavage en 1848 pour la France). Les planteurs français
des grandes exploitations de canne à sucre et de café d’outre-mer,
confrontés à un manque soudain de main d’oeuvre (on comprend facilement la
désaffection des affranchis africains pour le travail en plantation),
recopièrent la méthode employée par les anglais qui consistait à engager
massivement des travailleurs indiens (les coolies) dans les comptoirs
britanniques du sous-continent. La France, suite à des accords d’échange
avec l’Angleterre en 1860-1861 (bien qu’une grande part de l’émigration
provenait de comptoirs français de l’Inde dont le plus important était
Pondichéry), débuta donc cette importation de main d’oeuvre vers ses
colonies des Antilles (Martinique, Guadeloupe et Guyane) et de La Réunion.
Il va sans dire que les dieux hindous ont suivi les engagés indiens dans les
sociétés créoles où ils sont venus enrichir des horizons religieux déjà
hétéroclites.
A La Réunion, l’hindouisme populaire du Sud de l’Inde
cohabite donc depuis cent cinquante ans avec le christianisme européen et
les diverses croyances malgaches et est africaines (et plus récemment avec
les courants religieux de la Chine, de l’Inde musulmane, des Comores et de
Mayotte). Confrontés dès leur arrivée à la démarche acculturatrice et
assimilatrice de la Plantation (j’entends ici la société coloniale à but
exclusivement économique et fondée sur une hiérarchisation ethnique), les
malbars durent mettre de côté leurs pratiques hindoues pour afficher une
conversion massive au catholicisme dans un but d’intégration.
« Mettre de côté » est un terme tout approprié puisque,
bien que manifestant en public une conversion le plus souvent sincère,
l’hindouisme populaire subsista dans la sphère privée, amenant les engagés
indiens à la gestion d’un double univers de réalité. Cette continuité de la
pratique hindoue, que l’on doit principalement à l’endogamie
ethnique d’une partie de la population indienne, permit une conservation des
référents conceptuels et des schèmes culturels de l’Inde.
L’hindouisme des malbars que nous allons voir
ici, s’il n’est plus tout à fait celui de l’Inde du Sud de leurs ancêtres
n’est cependant pas un produit syncrétique (au sens de métissage fusionnel).
Il n’est pas non plus une superposition ou une somme d’éléments indiens et
occidentaux. L’hindouisme traditionnel réunionnais, malgré des adaptations,
des assimilations, des interpénétrations, a conservé l’essentiel de ses
principes religieux d’origine sans qu’un compromis syncrétique entre lui et
le christianisme ambiant ne soit nécessaire (ce que nous mettrons en
relation avec l’ « ouverture » typique de l’hindouisme).
Le fait syncrétique (entendu comme hybridation), s’il
est couramment invoqué pour définir l’univers réunionnais (comme en témoigne
par exemple la brochure touristique ci-dessous) n’a en réalité pas le
monopole du changement religieux.
Introduction du guide touristique « La Réunion des
religions et traditions »
édité par le Comité du Tourisme de La Réunion - Septembre 2006
Cette étude s’attachera donc à
montrer de quelle manière l’univers hindou conserva son essence et ses
valeurs dans la société réunionnaise et à mettre en évidence les
assimilations réciproques qui se sont manifestées avec le monde créole en
perpétuelle création. Elle tentera également de présenter les phénomènes
identitaires - renouveaux religieux et créolisation - récents que la
modernité confronte au monde traditionnel malbar. En somme, nous
verrons, à travers les transformations opérées et subies par l’hindouisme
populaire au sein de la société créole, si le concept de « syncrétisme » est
utilisable ou non et de quelle manière.
La méthode consistera, avant d’entrer dans le vif du
sujet, dans un souci de clarté et de choix des outils conceptuels, à se
dégager des prénotions en apportant une critique constructive des termes
employés dans les ouvrages de référence. Nous verrons les définitions
apportées par les auteurs au concept de « syncrétisme » et les confronterons
aux notions de « tradition » et d’ « acculturation ». Nous porterons une
attention particulière à la notion de « créolisation » qui demeure
aujourd’hui un instrument conceptuel peu élaboré malgré son utilisation
récurrente dans des contextes d’analyse du syncrétisme et son
interchangeabilité manifeste avec les termes d’« hybridation » et de «
métissage ».
Une fois ces outils conceptuels délimités (ou tout du
moins abordés), nous développerons notre sujet en contextualisant
constamment les termes employés (hindouisme populaire, conversion, croyances
créoles, etc.) et en pointant leurs implications dans l’analyse.
La première partie s’attachera dans un premier temps à
présenter les modalités de l’immigration et de l’insertion indienne à la
société réunionnaise. Nous y verrons ensuite les fondements de l’hindouisme
populaire importé d’Inde de manière à ensuite comprendre et interpréter sa
pratique au quotidien à l’Île de La Réunion.
La deuxième partie sera globalement consacrée au
changement religieux. Nous y verrons les interpénétrations entre
l’hindouisme et la culture créole ainsi que la conservation d’un double
univers de réalité chez les malbars (sans entrer maintenant dans le
détail : l’un public et catholique, l’autre privé et hindou). Nous
aborderons ensuite les phénomènes identitaires récents, notamment le retour
aux racines indiennes impulsé par la modernité et l’influence brahmanique.
Nous confronterons l’ensemble de ces transformations à la stabilité
apparente de l’hindouisme populaire réunionnais.
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