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DEUXIÈME PARTIE
Hindouisme et changement religieux
dans la société réunionnaise

                        

          3. Le cas de Saint Expédit

 3. 1. Les débuts du culte à Saint Expédit à La Réunion

     Saint Expédit débarqua néanmoins à La Réunion dans les années 1920. Une statue fut installée à sa gloire dans l’Église de Notre-Dame de la Délivrance à Saint Denis en 1931 et quelques chapelles furent édifiées en son nom dans la décennie suivante. Saint Expédit arrive donc dans une Réunion où les ravages de la misère, de l’alcoolisme et des maladies touche une grande partie de la population. Il y est vite reconnu pour ses guérisons inespérées, ses règlements de conflits et même sa capacité, en servant de vecteur des jalousies, à blesser directement certaines personnes. Selon P. REIGNIER, cet éloignement de l’ « idéal de charité chrétienne » qui semble alors se manifester est dû à la « difficulté de l’Église catholique à reproduire le modèle européen auprès des populations transplantées et déculturées » (P. REIGNIER 1997, 2). Le culte réunionnais à Saint Expédit prend donc place dans le contexte de « bricolage », d’indianisation des créoles chrétiens et de créolisation des indiens que nous avons vu précédemment.
     Les étapes de la « réunionisation » du saint se situent entre 1935 et 1970, période pendant laquelle il sera manipulé et réinterprété par la piété populaire jusqu’à sortir de l’espace exclusivement chrétien pour devenir un saint, comme nous l’avons vu, très proche des réalités matérielles et thérapeutiques, mais également un « saint pour le mal » (P. REIGNIER 2003, 158).
     « Saint Expédit s’est trouvé être l’objet d’élection d’une interface qui a pris en charge la rupture avec la continuité, avec l’origine que constituait la matrice généalogique, économique, culturelle et linguistique. Il est devenu l’indicateur d’une mise en conformité, d’une adaptation des étrangers par une créolisation de leur univers intime » (P. REIGNIER 2003, 158).
     Si les Malbars jouèrent visiblement un rôle important dans le « détournement » de ce saint en une figure équivoque capable du meilleur comme du pire, il ne faut pas négliger les apports européens et malgaches relatifs aux pratiques magiques des guérisseurs populaires. Mais il est vrai que si Saint Expédit s’est dès son arrivée sur l’île retrouvé imbriqué dans une logique de tissages et de métissages d’une population dominée aux origines multiples, c’est par le biais de l’hindouisme, ou plutôt de la contre-culture que l’hindouisme persécuté mettait en place, que cette figure chrétienne peu orthodoxe prit la forme du médiateur divin que l’on connaît aujourd’hui.
     Ses capacités à faire le mal comme à le combattre sont associées à celles de divinités hindoues populaires, principalement Kali (on associe couramment la couleur rouge du saint à la vivacité de Kali), ce que l’on peut facilement mettre en relation avec l’aspect potentiellement démoniaque des déités dravidiennes (cf. supra). Saint Michel et Saint Georges sont d’ailleurs souvent présents dans les oratoires à Saint Expédit, comme si lui et ses compagnons formaient les différents visages d’une même entité.
     « "Protecteur" et "vengeur", on l'associe à la déesse Kali (ou Carli) dont l'aspect farouche sert en fait à combattre le mal. Représenté en rouge, il serait comme elle "vif", strict, capable de tout prendre comme de tout donner. Mais également à Mardévirin, guerrier impassible, justicier, protecteur et intransigeant, souvent lié à Kali qui lui confie des missions. On peut ajouter Soupramanyel qui comme saint Michel tue un démon avec sa lance... Ces qualités redoutables font qu'il n'est pas un saint "à plaisanter". "I amuse pas ek li" » (P. REIGNIER 1997, 3).
     Mais comme on l’a déjà vu plusieurs fois plus haut, ces associations ne suivent pas une logique de synthèse entre les entités. On se trouve ici dans une optique de comparaison, d’association, voire de cumul mais en aucun cas ne se manifeste une confusion des personnages ou de leurs attributs.

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