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1. Histoire de l’immigration indienne et intégration à
la société réunionnaise
1.1. Le recrutement des «
travailleurs libres »
Bien que quelques immigrés
indiens soient déjà présents sur l’île à la fin du 18ème siècle avec un
statut de domestique ou de travailleur libre, l’arrivée massive de ceux-ci
ne débute que vers 1860 (après l’abolition de l’esclavage en 1848). Destinés
à remplacer les esclaves noirs (originaires d’Afrique de l’Est et de
Madagascar) dans l’industrie de la canne à sucre en pleine expansion, leur
engagement débuta suite à un accord franco-britannique permettant le
recrutement massif en Inde du Sud. Si les premiers arrivants sont
originaires de la côte de Malabar (côté Ouest) – ce qui vaudra à tous les
engagés indiens le surnom de Malabars (Malbars en créole) – la
majeure partie débarqua de l’État du Tamil Nadu (districts des villes de
Pondichéry, Madras et Karikal). On estime que le nombre d’indiens inscrits
au service de l’immigration avait presque atteint les 118.000 en 1885, date
de l’arrêt du recrutement en Inde (A. SCHERER in C. GHASARIAN, 1991 : p.
30). Il faut situer ce chiffre dans une Île Bourbon
(ancien nom de La Réunion) qui, en 1848, comptait 60.000 esclaves pour un
total de 100.000 habitants pour cerner l’importance de la participation des
indiens au peuplement de l’île (1).
La plupart de ces engagés dits « libres » (2),
fuyant une situation économique défavorable dans leur pays d’origine,
provenait des couches les plus défavorisées de la population, c’est-à-dire
des catégories de la hiérarchie hindoue situées au bas de l’échelle sociale
: les shudras et hors-castes (nous verrons plus
loin les conséquences d’une telle surreprésentation dans la diaspora). Les
hommes représentaient la majeure partie des immigrés (peu de femmes et peu
de ménages entiers (3)), ce
qui eut pour conséquence d’accroître la surreprésentation masculine déjà
élevée dans le milieu des affranchis.
Ces personnes, attirées par l’espoir d’une vie
meilleure et par l’opportunité d’un nouveau départ, étaient engagées sous
contrat pour une durée de quelques années (généralement cinq ans). Leur
objectif était d’épargner un maximum et ensuite, de rentrer au pays pour
retrouver femme et enfants. C’était sans compter sur leurs employeurs dénués
de scrupules qui n’hésitaient pas à les forcer à renouveler leurs contrats
sous la menace de ne pas les payer tandis que l’affrètement des navires de
retour était constamment retardé (V. CHAILLOU 2002, 27-36). Compte tenu de
cela, bon nombre d’engagés dilapidaient leur salaire et s’endettaient,
entrant ainsi dans une spirale qui les forçait à renouveler sans cesse leur
contrat (C. GHASARIAN 1991, 31).
Carte réalisée par Hugh TINKER pour son
ouvrage « A new system of slavery. The export of
indian labours overseas » (1974) et tirée de l’ouvrage historique de V.
CHAILLOU (2002)
Annotations personnelles en bleu.
1 Les proportions actuelles de cet apport sont
évidemment impossible à établir (certains disent 30 à 35%) étant donné
l’importance des métissages. Les critères ethniques n’étant d’ailleurs pas
pris en compte par l’INSEE (Institut national de la statistique et des
études économiques), on ne peut que supposer. (Retour
au texte)
2 Christian Ghasarian
(2002 : p. 674) précise au sujet de l’ « engagisme » qu’il s’agit d’une
notion que les historiens considèrent comme pure invention de l’idéologie
coloniale tant elle occulte la réalité des razzias en Inde et des clauses de
contrats non respectées. Certains préfèrent même lui substituer la notion de
« servilisme » tant les conditions de travail semblaient reproduire celles
de l’esclavage tout juste aboli. (Retour
au texte)
3 Virginie CHAILLOU, en
prenant l’exemple d’un convoi de coolies de 1962 en provenance de Karikal,
fait état de 66% d’hommes, 22% de femmes et 12% d’enfants (V. CHAILLOU 2002,
53) (Retour
au texte) |