...Vous avez la parole sur
Indes réunionnaises
    

     Le Festival International Kreol de l’île Maurice : le Premier Ministre se livre à un grand exercice de coolitude.

   Khal TORABULLY


     Le discours que Navin Ramgoolam a présenté hier à l’ouverture de la troisième édition du Festival International Kreol laisse augurer de nouvelles prémisses dans l’appréhension de l’Histoire de l’esclavage, de l’engagisme de la république mauricienne. Les propos du Premier Ministre ont été d’une rare clarté, empreints d’une sérénité qui faisait honneur à sa fonction.

     Liberté, égalité, fierté

   Coiffé de son inénarrable chapeau feutre clair, pour rehausser le symbole vestimentaire créole, affichant une bonhomie de belle facture, le Premier Ministre mauricien a prononcé un discours remarqué lors du lancement du Festival Kreol hier, au Domaine des Pailles, proche de la capitale de la petite république nichée au cœur de la mer indienne.
   Il a - cela est de bon ton - repris le slogan de la présente édition du festival, liberté, égalité, fierté, pour rappeler que le Morne, symbole de résistance à l’esclavage, venait d’être classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco, et a rappelé que les descendants des esclaves, qui ont arraché leur liberté de belle lutte, pouvaient s’estimer fiers de leur passé.
   Il a rappelé l’importance du passé, de l’Histoire dans la construction identitaire nationale à Maurice, et, à bon escient, que la récupération du passé ne doit pas déboucher sur une fossilisation de celui-ci, mais sur une réflexion amenée à asseoir les bases d’une nation plurielle, donc à une mise en relation de ses diverses facettes. On entend, aisément ici, un rappel ferme de la vacuité d’une concurrence victimaire, qui lirait l’Histoire à l’aune du sectarisme et de l’émiettement du pays en diverses visées communautaristes.

     Une seule Histoire pour l’engagisme et l’esclavage

   Navin Ramgoolam a aussi rappelé un fait essentiel, pour lequel je milite depuis une vingtaine d’années : l’on ne saurait séparer l’Histoire des uns de celle des autres dans un pays qui, pour citer le Premier Ministre, a été constitué de migrations de plusieurs bateaux, toutes pour se retrouver dans le même bateau. Cette image marine est clairement appréhendable par tous les mauriciens, qui, comme les argentins, sont « des descendants de bateaux », à tel titre que l’expression jahaji bhai, « frères de bateaux » a fait florès lors de l‘arrivée des coolies au 18ème siècle.
   Je pense qu’il est grand temps d’étendre cette expression non plus aux seuls coolies embarqués vers les mêmes galères et les mêmes misères, mais aussi à leurs frères et sœurs d’infortune, les esclaves qui étaient jetés aux fonds des cales des négriers pour la traversée barbare des bois d’ébène… Je propose cette fraternisation du terme à tous ceux qui ont subi, de par leur ascendance, cette coupure de l’exil si sauvage, si brûlante… Esclaves et coolies, frères des bateaux du plus amer des voyages, même si le coolie avait une relative liberté à bord. Mais n’oublions pas que c’étaient le plus souvent des négriers « reconvertis » qui charroyaient les convois des coolies, dans de conditions qui ressemblaient si peu à une croisière de luxe entre Calcutta et Mirish Desh ou Tapu Calen (anciens noms indiens de Maurice)… Un devoir de rapprochement des mémoires s’impose pour que l’Histoire soit un lieu de rendez-vous avec l’avenir et non un terrain de luttes fratricides entre mémoires et histoires, pour ne pas sombrer dans un passéisme glauque, sans utilité pour l’avancée vers l’identité multiple.

     La Commission Justice et Vérité : une assise pour l’identité corallienne

   Autre point saillant du discours premier-ministériel : la création de la Commission Justice et Vérité chargée de considérer les affres du passé de l’esclavage et de l’engagisme, en vue d’une réparation et d’une réconciliation nationales.
   Ramgoolam a usité, une fois de plus, d’une image marine : ne pas connaître le passé, c’est naviguer comme un bateau sans gouvernail, c’est-à-dire, être sur les flots sans savoir d’où l’on vient, et par conséquent, où l’on s’oriente. Ce recours à l’image du bateau, dans un sens si positif, est déjà l’expression, que la traversée a jeté nombre de ses appréhensions par-dessus bord, pour rejoindre une image chère à la coolitude : la mer vécue non seulement comme un lieu de destructions mais aussi de créations d’imaginaires et d’identités.

   Avec force, le chef du gouvernement a rappelé qu’il n’y a pas « une histoire pour l’esclave, une autre pour le coolie et encore une autre pour l’esclavagiste. Tous se retrouvent dans une seule et même Histoire ». Ces termes sont d’une réelle importance et il serait léger de la part de chacun(e) de les éluder. Nous sommes ici au cœur d’un exercice politique de la coolitude de haute facture et de grande importance symbolique.
   Rappelons les éléments, même s’ils frisent l’évidence. D’abord le lieu : un festival de la créolité, ensuite l’interlocuteur, le petit-fils d’un coolie, dont le père, Sir Seewoosagur Ramgoolam, fut le père de l’indépendance mauricienne. La langue du discours : le créole, langue maternelle des mauriciens, langue issue de la matrice de l’esclavage. Ensuite : le fait d’articuler ces trois facettes de l’histoire, ces trois « ressentis », relève d’une poétique de la diversité, de la coolitude née en terres mauricienne et française. Un paramètre, valable pour de nombreux pays, a émergé à Maurice : une politique de la diversité où les Indes sont mises en relation avec les autres humanités, avec une parole souveraine, libre politiquement. En effet, ici, c’est un chef politique issu d’une majorité d’origine indienne (hindous, musulmans, tamils, marathis…) qui tient ce langage de rassembleur du monde créole. Un événement de taille à scruter car je suis convaincu qu’à Maurice, terre de la coolitude, un discours transculturel fort, avéré, en dépit de crispations encore palpables, est en train de faire jour. Les classements du ghat et du Morne sont des fondations matérialisant les visions de ces diversités. Le fait d’adjoindre l’esclavagiste à l’histoire du coolie et de l’esclave, présent dans mon premier texte de coolitude, Cale d’étoiles, propose une idée de pardon après dialogue avec ceux qui étaient  l’autre bout de la chaîne, dans la droite ligne de l’ahimsa de Gandhi. Je suis convaincu que les descendants de ces trois entités peuvent entrer dans une relation dialogique et réparer tant de choses, pour aller vers un avenir corallien, divers dans son essence.

     Il nous importe maintenant d’imaginer l’avenir avec cette belle mosaïque mauricienne en vigie, et d’imaginer, pour faire bonne mesure, le premier festival international de la coolitude à Maurice, tout aussi ouvert sur les autres visions du monde que le présent festival international kréol.

   Khal Torabully, Port-Louis, 6/12/08

© Khal Torabully, décembre 2008

 

Interview de Khal Torabully

Retour à la page précédente

    

ACCUEIL