Interview
IR : Vasumathi
Badrinathan, pouvez-vous d'abord vous présenter aux visiteurs du site "Indes
réunionnaises" ?
VB : Je suis Indienne et je vis à Bombay
depuis ma naissance. Je suis Tamoule, ma famille est originaire du Tamil Nadu. Je suis
chanteuse de musique carnatique (musique classique du sud de l'Inde) et danseuse de
Bharata Natyam (danse classique du sud de l'Inde). La musique et la danse jouent un très
grand rôle dans ma vie et cette expérience m'apporte beaucoup de joie, de
calme et de profondeur.
IR : Vous maîtrisez la
langue française, ce qui n'est pas si fréquent pour une Indienne ou un Indien : comment
l'avez-vous apprise ? Quels sont vos contacts avec la France ?
VB : Je pratique la langue française depuis bien
longtemps. J'aime beaucoup les langues et je parle couramment plusieurs langues indiennes
aussi, ainsi que l'anglais bien sûr. J'ai eu l'occasion d'apprendre le français à
l'école et depuis, j'ai continué ma formation en français. Je suis diplômée d'une
université française pour des études en français.
Je connais assez bien la France, la connaissance de la langue facilite
beaucoup de choses. Je visite la France pour mes spectacles, des études, des stages etc.
J'aime bien le pays, c'est un pays très riche en beauté naturelle et pour moi,
personnellement, c'est toujours un plaisir de visiter la France.
J'étais en France cet été pour donner des spectacles. Je me
rappelerai de mes interventions à Paris - au Mandapa et pour l'association Les Comptoirs
de l'Inde - deux centres connus qui travaillent énormément dans le domaine de la culture
indienne.
Le public français regarde attentivement et avec intérêt. J'ai présenté
des spectacles traditionnels de Bharata Natyam. Beaucoup de spectateurs m'ont dit
qu'ils avaient bien compris le contenu de ce que j'avais présenté. J'aime toujours
accompagner mes morceaux de quelques petites explications illustrées qui sont
importantes, d'après moi. Ces explications facilitent la compréhension. Je me rappelle
d'un morceau que j'avais présenté et de ce qu'il avait évoqué auprès d'une personne.
J'avais dansé le Nava Rasa - les neuf sentiments, ou rasa, qui existent dans la
création. Une spectatrice française est venue me voir à la fin, elle m'a dit qu'elle
était touchée par mon spectacle et notamment par le nava rasa. Elle m'a expliqué
qu'elle était infirmière, soignant les malades mentaux et que ce morceau de danse lui
avait appris la tolérance envers la variété dans la nature humaine. Elle m' a dit
qu'elle aborderait désormais différemment son métier, c'est-à-dire, avec plus de
tolérance et d'acceptation. Moi, en tant qu'artiste, je suis très contente de réussir,
à travers mon art, à toucher les gens, à créer des sentiments et des
attitudes positifs chez eux.
IR : Connaissez-vous l'île de la Réunion ? Sait-on, en Inde, que cette
petite île, département français, compte des centaines de milliers d'habitants
d'origine indienne ? Pensez-vous un jour venir dans l'île ?
VB : Je connais un peu cette île francophone, mais
ce pays est beaucoup moins connu en Inde, par rapport à son voisin, l'île Maurice. Je ne
pense pas que les Indiens aient beaucoup d'ouverture sur la Réunion.
Oui, j'aimerais bien visiter la Réunion, la visiter et notamment y
présenter mes spectacles. Par ailleurs, puisque la Réunion est francophone, et je parle
français, je compte pouvoir mieux communiquer et transmettre mon art. En plus,
étant donné qu'il y a une grande population d'origine tamoule, je suis curieuse de
rentrer en contact avec ce peuple et le découvrir. J'aime bien voyager, partager mon
art avec les gens d'autres pays. Ce genre de processus est en quelque sorte, un parcours
d'apprentissage pour moi aussi. En tant qu'artiste, avec chaque nouvelle
expérience, j'apprends quelque chose. Cela ne me laisse pas indifférente.
IR : Pouvez-vous expliquer
en quoi a consisté votre formation de danseuse et de chanteuse ?
VB : La musique et la danse classiques sont des
domaines très vastes et profonds. Un artiste met énormément d'années pour se former,
pour comprendre la richesse de ces arts, et à mon avis, on ne peut jamais les mâitriser
entièrement, dans le vrai sens du mot - car il s'agit d'un vaste océan, dont on ne gagne
que quelques petites gouttes. Je viens d'une famille intensément orientée vers les arts
classiques. Ma mère était une très belle chanteuse et j'ai été sensibilisée au chant
depuis ma naissance. Mon père est un grand connaisseur de musique carnatique qui a
eu l'occasion d'écouter les meilleurs artistes du domaine. J'assistais souvent aux
concerts depuis ma plus jeune enfance, l'on accueillait des artistes à la maison, il y
avait souvent des séances musique. C'est dans une telle ambiance que j'ai grandi. Tout
cela a beaucoup d'importance pour la formation d'une artiste, à côté de l'entraînement
qui, seul, ne peut guère être suffisant.
J'ai appris plusieurs années avec ma mère qui est restée ma grande source
d'inspiration et ensuite, je me suis formée avec un autre gourou également.
Ma mère voulait que j'apprenne la danse, donc à l'âge de cinq ans, j'ai
commencé mon apprentissage du Bharata Natyam. Ma connaissance des domaines jumeaux de la
musique et de la danse donne une dimension profonde à mon être, et dans ma vie ; la
musique nourrit la danse, et vice versa.
IR : Quel est le quotidien d'une artiste telle que vous ?
VB : Ma journée quotidienne est très simple mais
j'ai souvent des journées très remplies. Entre mes répétitions et mes spectacles, je
travaille aussi des projets dans le chant et la danse, j'écris aussi des articles
concernant la musique et la danse pour la presse et l'Internet. A part tout cela, je
réserve beaucoup de temps pour ma famille ce qui est très important pour moi. Je passe
beaucoup de temps avec mon mari Badri qui m'aide énormément dans mes activités
artistiques, mon père et bien sûr ma fille de huit ans, Sumitra. Je tiens aussi à
rester en contact avec quelques très bons amis qui comptent pour moi dans la vie.
IR : Selon vous, quelles
sont les beautés et les difficultés de la musique carnatique, que vous pratiquez ?
Quelles sont ses particularités, en comparaison de la musique occidentale et d'autres
formes musicales de l'Inde ?
VB : J'adore la musique carnatique, c'est une forme
de musique très riche, en même temps très douce, qui réussit d'après moi, à toucher
les gens. Ce qui est très unique dans la musique indienne par rapport aux autres formes
de musique, c'est son côté imagination, créativité. Nous reproduisons
beaucoup l'oeuvre des grands compositeurs, mais nous avons en même temps un vaste
trésor dans l'élaboration des ragas ou des mélodies, les kalpana swaras et d'autres
éléments techniques, qui font appel à la puissance créative de l'artiste. C'est ainsi
qu'on dit que la musique indienne appartient à la catégorie "manodharma
sangeetam" - musique qui est issue de sa propre improvisation. Un musicien
indien est comme un peintre, il dépeint le tableau, le remplit des couleurs qu'il
souhaite, il le peaufine, comme il veut, il dresse une image, qui n'est qu'à lui.
La musique carnatique a un partenaire - la musique hindoustanie du
nord de l'Inde. Bien que la base soit la même pour ces deux systèmes, la musique
carnatique est différente dans sa manière de présentation. Un concert carnatique, dit
"cutchéri" s'organise très différemment vis-à-vis de la musique
hindoustanie. La musique carnatique donne beaucoup d'importance aux compositions ; c'est
un genre de musique où beaucoup d'importance est accordée au rythme ou "laya".
Nous avons aussi, cet élément très beau : les notes courbées que l'on appelle
"gamaka", qui sont très caractéristiques de la musique carnatique et qui
l'embellissent.
IR : La dimension
spirituelle et religieuse est-elle importante dans lapratique de votre art ?
VB : Pour moi, tout art est un voyage spirituel. Il
s'adresse à l'esprit. Le côté religieux en est l'autre dimension. Oui la musique et la
danse indiennes sont de base sacrée, leur poésie est sacrée et religieuse, donc la
dimension religieuse devient très importante dans la pratique de ces arts. A chaque fois
que je chante ou je danse, cette expérience me transforme, rajoute quelque chose de
positif, de bénéfique à ma personnalité, à mon être. Les arts classiques, contraire
aux formes d'art populaires, sont moins superficiels, ils touchent l'âme de celui qui les
présente, ainsi que celui qui les écoute ou les voit. C'est un trajectoire qui
transforme, qui amène à une expérience rapprochant plus d'une expérience mystique.
Plusieurs auditeurs passionnés (les rasikas) et beaucoup d'artistes considèrent la
musique et la danse comme un outil qui aide à atteindre le divin.
IR : Que
vous apporte la pratique du Bharata Natyam ? Qu'est-ce que cette danse a de spécifique,
comparativement aux autres danses classiques indiennes ou aux danses folkloriques ?
VB : Le Bharata Natyam me fait beaucoup de bien. La danse
est bénéfique pour le corps et le coeur. C'est aussi un moyen d'expression de soi. Une
expression qui va au-delà des frontières, une expression sans contraintes. C'est ce que
je ressens quand j'explore mes membres et mon corps pour m'exprimer par ce bel art.
Le Bharata Natyam est une forme classique, gouvernée par des règles.
Comme tous les autres styles classiques, le Bharata Natyam est très codifié, riche en
mouvements, et en expression- expression corporelle et faciale. C'est un style qui
réunit en même temps la rigeur et la grâce.
Le Bharata Natyam est un style du sud de l'Inde, comme le Mohini Attam, le
Kathakali et le Kouchipoudi. Les styles du sud, partagent une région d'origine commune,
autrement dit, l'Inde du sud, la musique est la même, la musique carnatique. Mais chaque
style est différemment présenté. Les autres genres de danse classique sont largement
différents. Chaque style a son charme à lui, il faut s'habituer à les voir pour
comprendre les différences et les parallélismes entre ces styles. Pour moi, le Bharata
Natyam reste toujours mon style favori, parce que je le pratique depuis longtemps et
aussi, parce que d'après moi, personnellement, il réussit à bien mélanger la force
avec la grâce, la vitesse avec la lenteur, et une partie solide "abhinaya", ou
d'expression, à côté des mouvements de danse pure, le nritta. C'est un style très
complet pour moi.
IR : Quel conseil
pourriez-vous donner à une jeune fille ou un jeune garçon désireux d'entreprendre
l'apprentissage de la musique ou de la danse indienne ? Quelles sont les qualités à
avoir ?
VB : La plus grande qualité à avoir est de savoir
se donner pleinement. Il faut que l'apprenant se dévoue à son art avec beaucoup de
sincérité. L'autre qualité indispensable, c'est l'humilité envers l'art - il ne faut
jamais oublier que l'on ne peut jamais être plus grand que l'art.
Je pousserai vivement les gens à apprendre la musique ou la danse classiques
indiennes, car les arts classiques, comme je l'ai dit avant, ont le pouvoir de toucher, de
transformer l'esprit. La connaissance du chant, ou d'un instrument, par exemple, vous
éloigne non seulement de la routine et la monotonie quotidiennes, mais rajoute une
dimension toute autre à la personnalité - une certaine perspective esthétique, une
vision plus tolérante et raffinée des choses...
IR : Quels sont vos
projets et quelles sont vos ambitions professionnelles pour les années à venir ?
VB : J'espère continuer à faire des
spectacles comme toujours, voyager plus et présenter le chant et la danse indienne dans
plusieurs pays. En même temps, je souhaite réaliser quelques projets spéciaux que
j'avais gardés de côté, faute de temps. Cette année, j'ai sorti deux albums de
musique, qui ont connu un bon succès. Je souhaite enregistrer d'autres albums sur des
thèmes différents très bientôt. Et notamment je voudrais organiser plus d'activités
dans le cadre de mon association Suvibadra Institute of Indian Art and Culture qui a pour
but de promouvoir la culture indienne.
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