Sarah Combe :

" un tourbillon de formes, de couleurs, de sons, de visages, d’actions, de sentiments… "

      
  

   C'est à l'occasion de la publication aux éditions Dervy de son superbe livre Un et Multiple que nous avons recueilli ces propos de Sarah Combe, passionnée de culture indienne et portant dans son ouvrage un regard intelligent et sensible sur l'hindouisme...

 

Interview  -  Le livre Un et multiple


Interview

  • IR/LNRI : Sarah Combe, afin que nos lecteurs vous connaissent mieux, voudriez-vous tout d'abord vous présenter ?

SC : Je suis née en 1952 à Casablanca. Je vis à Toulouse depuis l’âge de douze ans. Je l’ai quittée de 1975 à 1980 pour enseigner en Nouvelle Calédonie. Depuis 1980, j’importe et vends des bijoux et des objets d’art et d’artisanat que je vais chercher en Asie, principalement en Inde et au Népal mais aussi en Indonésie, Thaïlande, Laos, Cambodge…

  • IR/LNRI : Vous venez de publier un livre intitulé Un et multiple, consacré à l'hindouisme... Quelle est l'origine de votre intérêt pour une religion si "lointaine", géographiquement et culturellement ? Viendrait-il, comme c'est le cas pour beaucoup d'Occidentaux, de l'attrait exercé par la spiritualité hindoue ?

SC : Avant de m’intéresser à l’hindouisme, j’ai d’abord été attirée par la culture indienne : la poésie, l’art, la mythologie… et  à la pensée indienne plutôt qu’à la religion à proprement parler. A l’adolescence, j’ai découvert le yoga, j’ai été séduite par les idées de Gandhi (peut-être parce que la non-violence était dans l’air du temps…), fascinée par la poésie de Rabindranath Tagore… Avant d’aller dans des pays où l’on pratiquait  l’hindouisme (Fiji, Bali, Népal puis Inde), je ne réalisais pas à quel point tout avait sa source dans la tradition et les textes religieux.  C’est à partir de cette constatation que je me suis intéressée à la religion, à la spiritualité, aux rituels… Le fait que j’aille régulièrement en Inde, au Népal et dans d’autres pays d’Asie qui sont ou ont été hindous, dans le cadre de mon travail et pour des périodes assez longues, m’a permis de rencontrer des gens d’origines très diverses,  de toutes castes, de toutes tendances religieuses, des fous et des sages, des érudits et des analphabètes, de nouer des liens avec beaucoup d’entre eux, de participer à des cérémonies, des fêtes, des pèlerinages… et de découvrir ainsi différentes facettes de l’hindouisme.

  • IR/LNRI : Pourquoi avoir choisi comme titre cette allusion à ce que l'on sait être en quelque sorte une conception paradoxale du monde, de la divinité... voire de l'homme, chez les hindous ?

SC : Ce titre "Un et Multiple" rend compte pour moi de ce que sont l’Inde et l’hindouisme : un tourbillon de formes, de couleurs, de sons, de visages, d’actions, de sentiments… et un silence, une pause, un temps de suspension où l’Un est perçu (ou se laisse percevoir ?) à travers ses multiples formes, au-delà de ces multiples formes.
   Peut-être aussi parce qu’il  correspond à ce que je pense moi-même : ce que l’on peut concevoir n’est qu’une infime partie de ce que nous supposons connu : le monde, l’homme, nous-même… ceci est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de l’Inconnaissable, de l’Absolu.
   Un et multiple, ce n’est pas un est multiple, ce n’est pas non plus un est unique à l’exclusion de tous les autres. Dire un et multiple, c’est dire le paradoxe, le mystère non seulement du divin mais aussi de tout être. Dans un et multiple, on sous-entend que un est un, (bien que) perçu sous de multiples formes.
   Pour un hindou, l’Un est présent dans la multiplicité des formes, l’Un est présent au cœur de chaque être. J’aime à penser que chaque être est sacré puisqu’il est habité par le divin, que l’autre est aussi l’Autre.

  • IR/LNRI : Quelles ont été vos intentions en écrivant cet ouvrage, et qu'est-ce que le lecteur va y trouver ?

SC : Lorsque j’ai commencé, je n’imaginais pas écrire près de cinq cents pages.
   Au départ, je voulais seulement donner quelques réponses aux questions que l’on me posait sur les dieux, les déesses, l’Inde, l’hindouisme… On me demandait souvent des conseils de lecture. Je n’ai jamais pu proposer un seul livre... j’en conseillais un sur le panthéon hindou mais sans iconographie, un autre sur l’iconographie mais sans références aux rituels, aux mythes… J’ai d’abord  voulu faire des fiches à offrir avec chaque statue, mais je me suis vite aperçue qu’on ne pouvait pas parler de Shiva, Lakshmî ou Ganesha, ou de n’importe quel autre dieu ou déesse en quatre lignes, qu’il fallait, pour ne pas être réductrice, pour ne pas tomber dans la caricature ou rester dans les clichés, donner aussi quelques informations sur le symbolisme, les rituels, les concepts religieux tels que dharma, karma, Libération…, dire quelques légendes, ajouter quelques illustrations, alors ça s’est épaissi…
   En proposant mon livre, j’espère satisfaire la curiosité de ceux que l’hindouisme interroge, rendre plus ordonnés des éléments de connaissance qui jusque là étaient ou semblaient disparates, plus accessibles une culture et une religion que j’ai eu la chance d’approcher de près, partager ce que j’ai appris, ce que j’ai reçu, ce que j’ai vu…

  • IR/LNRI : Dès le chapitre de présentation de Un et multiple, vous insistez sur les dimensions, les complexités, les contradictions... qui rendent l'hindouisme insaisissable. Mais votre démarche contribue réellement, pourtant, à mieux le saisir... Après son cheminement à travers votre livre, quelle part de l'hindouisme restera à découvrir pour le lecteur ?

SC : C’est vrai, j’insiste beaucoup sur la complexité de l’hindouisme, ses innombrables facettes, ses miroitements mais je dis aussi : « cette profusion qui peut paraître désordonnée, si l’on se promène assez longtemps, si l’on est attentif, si l’on accepte de se défaire de ses préjugés et de ses schémas habituels, se révèlera, à sa façon, ordonnée, logique, tolérante, harmonieuse ». Je compare l’hindouisme à un jardin. Je propose mon livre comme un des multiples chemins qui y mènent. Il n’est bien sûr pas le seul, et mon livre malgré son volume n’est pas exhaustif.
   Le sujet me semble inépuisable, si vaste qu’il restera toujours infiniment de choses à découvrir. J’espère qu’après avoir lu  Un et multiple, les lecteurs  auront envie d’approfondir, d’en savoir plus et surtout de faire l’expérience de la rencontre avec l’hindouisme vivant et l’Inde.  

  • IR/LNRI : Comment avez-vous procédé dans vos travaux, vos recherches, le choix de vos sources et de vos abondantes illustrations ? Avez-vous notamment travaillé "sur le terrain", en Inde ?

SC : Comme je vous l’ai dit, au début mon projet n’était pas très ambitieux. Pour écrire mes petites fiches, ce que j’avais appris dans les livres et au cours de mes premiers voyages suffisait. Mais très vite je me suis aperçue que je ne pouvais pas me satisfaire "d’introductions" à l’hindouisme, j’avais envie de lire les textes sacrés, les commentaires, j’avais besoin de comprendre ce que je voyais, d’en voir plus, d’en apprendre plus. Je pressentais une richesse immense dont je n’entrevoyais que quelques miroitements. Alors, comme pour répondre à mon désir, des portes se sont ouvertes ici et là-bas. On m’a accueillie dans des bibliothèques, des musées, des couvents, des temples, des familles… et je crois que j’ai tout autant puisé dans les livres que dans ce qui m’a été montré, conté, transmis. J’ai utilisé tout ce qui était à ma portée et tout ce qui m’était offert, des petits livrets qu’on achète pour quelques roupies à l’entrée des temples aux commentaires savants des Upanishad, des discussions avec des érudits aux conversations avec d’humbles villageois.
   Les illustrations proviennent aussi de fonds très divers. Il y a des images du photographe Bertrand de Camaret, nos photos de voyage, celles d’amis proches ou lointains, de vieilles chromos offertes par mon "Master Jî", des documents précieux prêtés par les fondateurs d’un merveilleux musée privé de Jaipur… et j’en oublie sans doute ! Vous pouvez d’ailleurs voir dans les remerciements et le crédit photographique de Un et multiple que beaucoup de gens ont contribué à faire de ce livre ce qu’il est. Beaucoup de rencontres et de partage, d’échanges, de dons ; mais aussi beaucoup de temps de solitude, pour écrire, pour mettre en ordre toutes les pièces de cet immense puzzle, pour trouver les mots justes, la place de chaque paragraphe, de chaque illustration et enfin celle du point final.

  • IR/LNRI : Avez-vous fait d'étonnantes découvertes au cours de ces recherches ?

SC : Je vais de découvertes en découvertes, d’étonnements en étonnements et c’est ce qui me pousse à continuer. J’ai mis un point final à mon livre, mais mes recherches  ne se sont pas arrêtées pour autant, je continue à fouiner, à lire, à prendre  des photos, à remplir des cahiers de nouvelles histoires, de nouveaux témoignages.
   En mars dernier, par exemple, j’ai rencontré Gopal Dâs Jî Mahâraj, le mahant du Dâdû Panth, un grand maître spirituel et un homme étonnant de simplicité, d’une rare disponibilité et d’une immense gentillesse. Le courant religieux dont il est le supérieur, fondé au XVIe siècle par Dâdû Dayal,  fait partie de la tradition dévotionnelle des Sant. Il ne reconnaît pas l’autorité des Veda, rejette le système des castes, l’adoration des images (dans le sanctuaire du monastère de Naraina où nous avons été reçus, l’hommage était rendu au livre où sont consignés les enseignements de Dâdû Dayal). Dâdû, comme le veut la tradition des Sant, acceptait des  disciples de toutes origines sociales ou religieuses. Quelques-uns de ses premiers disciples étaient d’ailleurs musulmans. Que ce courant fasse partie de l’hindouisme et que son fondateur soit considéré comme un grand saint par tous les hindous alors qu’il était en rupture avec certains des principes essentiels de la tradition brahmanique, voilà une des nombreuses surprises que  l’Inde continue de me réserver et qui me la font aimer.

  • IR/LNRI : Vous affirmez que la troisième partie de votre livre, nous permettant d'explorer le panthéon hindou, est le "corps principal de l'ouvrage"... Parmi ces multiples divinités - sans aller peut-être jusqu'à parler d'ishta-devatâ - y en a-t-il une dont vous vous sentez personnellement plus proche, et, si la question n'est pas trop indiscrète : pourquoi ?

SC : Le courant de l’hindouisme dont je me sens le plus proche est le shivaïsme du Cachemire, un courant non-dualiste où l’Un est au-delà de la manifestation. Néanmoins, jouons le jeu, s’il faut choisir une "image", et peut-être parce que je suis une femme, je choisirais Durgâ : une déesse belle et forte qui est dans la paix et la plénitude mais qui reste éveillée, disponible, prête à se lever pour combattre les démons extérieurs et intérieurs. Pour moi, Durgâ est dans un juste équilibre entre la sérénité et l’énergie, sûrement l’équilibre auquel j’aspire, avoir la force de la tranquillité et la force du combat juste. Mais, pour avoir travaillé sur les autres dieux et déesses (pour certains, ça n’a pas été sans difficultés), j’ai réalisé que chacune des multiples facettes de l’Absolu correspond à une  des multiples facettes de notre être, que chacune de ces énergies nous est utile, bénéfique à un moment ou à un autre de notre vie.

  • IR/LNRI : L'hindouisme se décline très diversement, par exemple selon les régions... Quelles particularités souligneriez-vous dans l'hindouisme du sud, en particulier celui qui est pratiqué dans le Pays Tamoul ?

SC : Pour des raisons professionnelles, je me rends plus fréquemment au nord qu’au sud de l’Inde et je ne suis pas assez familière du sud pour pouvoir donner une réponse pertinente à votre question. Il me semble que dans le sud tout va plus de soi ; peut-être parce qu’il n’y a pas eu de fréquentes et grandes invasions comme au nord, pas de destructions de temples, de conversions forcées. Les temples sont d’ailleurs, plus grands, plus fastueux, parfois de véritables temples-villes qui sont non seulement des lieux de culte mais également des lieux d’échanges et de vie sociale.
   Le sud reste dans mon souvenir lié à la douceur de vivre, à la beauté inscrite dans le quotidien (les tresses de jasmin dans les cheveux des femmes, les kolam dans les temples et devant les maisons…), à une plus grande fluidité dans les rapports entre hommes et femmes, et entre les membres des différentes communautés religieuses (on ressent par exemple moins de tensions entre hindous et musulmans), à plus de légèreté, plus de nonchalance aussi. Cependant, peut-être parce que j’y restais moins longtemps et que j’y avais moins d’amis, malgré cette ambiance, j’ai eu plus de difficulté à entrer dans les temples (plus souvent interdits aux non-hindous et aux hors-castes que dans le nord), à participer à des cérémonies. Les brahmanes semblent plus rigoureux au sud mais l’accueil, l’envie de partager, d’expliquer, de raconter restent les mêmes et lorsque je pense à faire de longs séjours, voire à vivre en Inde, ce sont le plus souvent, des images de Cochin qui surgissent…

  • IR/LNRI : Avez-vous eu l'occasion de vous pencher sur l'hindouisme de nos Départements d'Outre-Mer ? Qu'en diriez-vous ?

SC : Je connais très peu l'hindouisme des Départements d'Outre-Mer. Quelques lectures, quelques conversations m’ont fait entrevoir ses richesses et sa spécificité. J’ai été intriguée et intéressée par la tolérance, la connaissance de l’hindouisme qu’avaient des personnes de religions différentes ; j’ai rencontré par exemple deux femmes réunionnaises, l’une d’origine catholique et l’autre musulmane, qui vénéraient Kali. L’une d’entre elles faisait régulièrement des vrata et participait aux processions du Kâvadi. Elles m’ont donné envie d’aller voir de plus près et je parle souvent de me rendre à la Réunion pour recueillir des légendes, les comparer à celles du sous-continent, voir ce qu’elles ont de semblable, de différent, s’il s’agit de variantes de mythes connus ou de créations et dans ce cas à quels concepts elles se rattachent, ce qui a été transformé, ce qui a disparu, ce qui a été créé au contact des autres cultures...
   Avant que vous ayez pris contact avec moi pour cette interview, je ne connaissais pas le site Indes réunionnaises. J’y ai trouvé depuis les réponses à quelques-unes de mes questions, notamment dans l’article "A la rencontre des Malbars et des Tamouls", mais mon désir de découvrir l’hindouisme réunionnais ne s’est pas éteint, bien au contraire…

  • IR/LNRI : Quels sont à présent vos projets ? D'autres travaux sur les religions, sur l'Inde... ?

SC : Continuer à voyager, à découvrir, à étudier… En ce moment, je m’intéresse à l’adaptation de l’hindouisme hors de l’Inde, à son influence sur les communautés musulmanes, chrétiennes, juives… qui vivent ou ont vécu en Inde, et surtout à la Grande Déesse et aux " petits dieux". J’ai commencé à travailler sur le Devîbhâgavatam et je continue à recueillir des légendes et des informations sur les divinités de villages, de castes, de familles…, sur les cultes indo-musulmans au Rajasthan. Je ne sais pas où me conduiront  toutes ces recherches, pour l’instant rien n’est encore assez abouti pour envisager un nouvel ouvrage… un nouveau partage…

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Le livre Un et multiple

 

 On l'aura compris au seul titre de cet ouvrage : c'est d'hindouisme que nous parle Sarah Combe, explorant tout un univers religieux et culturel à travers un parcours époustouflant de près de cinq cents pages, abondamment illustrées d'une richesse remarquable. "Dieux et déesses, mythes, croyances et rites de l'hindouisme", tel est le sous titre de ce qui est finalement aussi un voyage... Tout d'abord dans le temps, jusqu'aux origines védiques de la religion hindoue, et dans l'espace, à travers le Sous-continent et les "Trois Mondes". Un voyage aussi dans l'âme hindoue, une découverte ou une redécouverte de ses fondements spirituels, rituels ou philosophiques. On y rencontre les vieilles figures d'Indra ou de Soma... les silhouettes reconnaissables entre toutes de Shiva, Krishna ou Ganesh... au détour des chemins de villages, celles des "Petites mères", de Renukâ ou de Mâriyamman...

   Sarah Combe nous propose ici un ouvrage à la fois riche et attrayant, ce qu'il est convenu d'appeler un beau livre, mais qui associe à son charme le savoir et la réflexion.

   
         
 

   A commander chez votre libraire ou sur le site de l'éditeur, Dervy.

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