Interview
IR : Didier
Labarre, pouvez-vous en quelques mots présenter le groupe Paykan' et sa
petite histoire ?
DL : Le groupe Paykan' est né à l'île de la
Réunion en 1997 sous le nom de Flying Paykan'. Pour âme ce groupe avait une
sacrée brochette de musiciens qui méritent d'être cités : Hoareau Anne, Hoareau
Jocelyne, Bazin Arnaud, David Legal, Youric Delacuvellerie, Drouard Romuald, Victoire
Eric, Yannick Causse, ainsi que Cédric, Tony, Frédéric... Le groupe s'étant
reconstruit au cours de l'année '98, il décide de partir pour Nancy afin de suivre une
formation musicale au sein de Music Academy International, avec le concours de la Région
et du Département Réunion. Aujourd'hui, le groupe tente de se faire une place sur les
scènes de la métropole. Avec pour musiciens le batteur Johnny Grondin, le
bassiste Alex Bontemps, le guitariste Karim Attoumane et le percussionniste Louis Green.
IR : Quelles sont vos
sources d'inspiration, les groupes ou artistes qui, à un degré ou un autre, vous
semblent partager des valeurs ou des inspirations communes avec Paykan' ?
DL : La première source d'inspiration, pour les textes
comme pour la musique vient d'une ère révolue, la Réunion de mon enfance, trop vite
effacée par souci de modernisme. Oui, la source d'inspiration de Paykan' est
dans cette bouillonnante vie réunionnaise, dans la découverte par des enfants d'un
environnement encore préservé, et du bohneur qu'il y a à être vivant. Mais ces
musiques et ces textes n'auraient pas vu le jour sans les déclencheurs : des individus
tout d'abord qui se sont battus pour que notre culture ne meure pas (parmi lesquels Serge
Sinamalé de Cimendef, à la fois rebelle et mentor, ou encore Firmin Viry et les
incontournables Gilbert Pounia et Danyèl Waro...). Ensuite sont venus les groupes qui
prouvèrent à moi, ado réunionnais, que notre musique pouvait revivre : Ousanousava
surtout a ouvert une porte, pour de nombreux artistes réunionnais, et par la suite, Baster,
Zétwal Katrér, Ravan' (pardon à ceux que je ne cite pas.)
IR : Pourquoi avoir opté
pour la Métropole plutôt que la Réunion : exil nécessaire, choix artistique... ?
DL : Il nous fallait nous perfectionner que ce soit en
technique pure, comme en théorie, et après nos deux années au MAI, le pari en valait la
peine. Par ailleurs il est clair qu'au niveau musical, une démarche de
professionnalisation est très difficile à la Réunion, du fait du nombre réduit
de lieux dédiés au spectacle ; la métropole est à cet égard complètement
différente. Toutefois, être loin de sa source d'inspiration n'est une condition idéale
pour aucun artiste.
IR : Quel est votre point
de vue sur la scène musicale réunionnaise, sa qualité, sa créativité, ses points
forts et ses points faibles ?
DL : Avant tout il faut savoir que, parti de l'île depuis
bientôt trois ans, un décalage se crée qui donne à mon opinion sur une telle question
un fort parfum de subjectivité. J'essaie il est vrai de me tenir au courant via
l'internet en écoutant notamment des radios réunionnaises en ligne. Alors pour revenir
à votre question, pour moi la créativité est exacerbée à la Réunion, ce qui est une
très bonne chose ; en effet il nous faut retrouver notre culture après des
décennies d'effacement volontaire. De même la qualité des textes et des musiques est en
évolution constante (un peu à contre-pied de ce qui s'écoute beaucoup). Néanmoins, le
système de production réunionnais a tendance (comme dans de nombreux autres domaines je
vous l'accorde) à reproduire le « modèle américain » c'est à dire argent avant tout,
il faut dès lors se demander s'il n'y a pas antinomie entre culture réunionnaise et
production musicale réunionnaise (pour exemple je prendrai l'avènement sans conditions
du zouk love ou du raggamuffin dans notre île ou encore le caractère un peu « dur
d'oreille » de nos producteurs vis à vis des jeunes créateurs innovateurs). Le
paradoxe restera de concilier une culture qui se retrouve tout en ne devenant pas inerte,
et un système mondialisé de commercialisation musicale.
IR : Comment situez-vous
le groupe Paykan' par rapport aux sources historiques de la musique réunionnaise
: ses origines africaines et malgaches, indiennes, européennes ? Y a-t-il une recherche
de ces racines profondes dans votre musique et dans vos textes ? Si oui, comment cela se
traduit-il ?
DL : Paykan' dans sa construction même a fait appel à des
musiciens réunionnais tous différents les uns des autres (en matière d'ethnie, certes,
mais aussi de goûts musicaux). Ainsi nous puisons nos racines dans l'Afrique avec
l'utilisation des percussions venues avec les esclaves (roulér, Kayanm...), nous les
puisons aussi dans l'Inde toujours par l'intermédiaire de ses percussions (tambour
malbar, sati...) mais aussi par les textes, en effet de nombreux mots du kréol
réunionnais ont des origines aussi diverses que les Réunionnais eux mêmes. Chanter le
kréol, tel est notre manière d'être proche de nos origines car après tout nous ne
pourrions pas aujourd'hui prétendre pratiquer chacune des cultures originelles de
façon distincte, chacune d'elles ayant évolué vers ce syncrétisme (à la fois
religieux et culturel) qui caractérise si bien la Réunion.
IR : Didier Labarre,
personnellement, vous vous affirmez "clairement d'ethnie indienne". Comment, sur
le
plan humain et sur le plan artistique, vivez-vous cette "indianité" ? Vous
sentez-vous avant tout réunionnais, indien, malbar, tamoul ?
DL : Imaginez un Français né à la Réunion, d'ethnie
tamil et de religion hindoue (si on rajoute la nouvelle dimension européenne on devient
encore moins clair). Eh bien je crois que le pari de l'avenir est d'arriver à s'inscrire
dans une Réunion française et donc européenne, sans toutefois nous détourner de nos
origines ethniques, de nos pratiques culturelles et cultuelles, et surtout de notre
fierté d'être « réyoné ». Faut il hiérarchiser ? Dans ce cas je serai d'abord un «
Malbar Réyoné », ce qui à mon sens n'est avant tout pas exclusif. Je tiens d'ailleurs
à féliciter Danyèl Waro pour son titre « Malbar Réyoné » qui me touche
particulièrement.
IR : Le groupe Ziskakan,
dont le leader Gilbert Pounia a les mêmes racines ethniques que vous, a partiellement
enregistré son dernier album en Inde, à Bombay. Que pensez-vous d'une telle démarche ?
Tenterait-elle aussi le groupe Paykan' ?
DL : La démarche est en effet intéressante, moi même
amateur de musique indienne (classique et actuelle), je suis décidé à faire un jour mon
« retour aux sources » et pourquoi pas à ce moment-là si l'opportunité se présente,
partager les joies de la musique avec des Indiens (du sud de préférence).
IR : Vous intéressez-vous
de près ou de loin aux cultures indiennes de la Réunion... et du monde entier ? Si oui,
de quelle manière, avec quelles satisfactions, quelles déceptions ou frustrations ?
DL : Une des conférences qui m'ait le plus marqué à ce
sujet fut celle sur la diaspora indienne dans le monde. Savoir que mes ancêtres venaient
d'Inde, que j'en porte physiquement les traces (fièrement certes) me met néanmoins
souvent dans une étrange situation, en effet la plupart des gens que je rencontre
m'imagine d'abord indien et me questionne en conséquence, il est parfois difficile de
faire passer que ma culture est réunionnaise, une culture qui a su garder l'apport des
ethnies débarquées dans l'île, mais qui ne sera jamais celle d'un Indien vivant
actuellement en Inde. J'étudie cependant la religion hindoue (peut être comme tout
humain en quête de spiritualité), j'aimerais apprendre le tamil, et connaître mieux
l'histoire du peuple dravidien dont je suis issu, pourtant je crois qu'au fond je serai
toujours plus réunionnais qu'indien.
IR : Vous avez créé un
site Internet où il est question de votre groupe, mais pas seulement cela. Pouvez-vous
présenter le contenu et les objectifs de ce site ? Que pensez-vous de la présence
culturelle réunionnaise sur Internet ?
DL : La Réunion en force sur le web !!! Il est vrai que je
me réjouis particulièrement de la forte présence, du formidable dynamisme et de
l'exceptionnelle qualité des sites réunionnais que j'ai pu visiter . Le cas de www.paykan.fr.st est
toutefois différent, il s'agit du premier site d'un amateur (moi en l'occurrence) et par
conséquent rempli d'erreurs de débutants. Toutefois, son objectif principal était, plus
que de parler du groupe lui-même, de faire connaître la culture réunionnaise sur le
net, de parler des musiques à la Réunion et du maloya. Pour ce faire j'ai utilisé des
documents édités par le Conseil Général traitant du maloya et de l'histoire des
musiques en citant et remerciant les auteurs et tous ceux qui y ont participé. Mais une
nouvelle version du site est prévue pour mars 2002, avec laquelle j'espère toucher une
plus large audience.
IR : Quels sont les
projets du groupe Paykan' ? Où et quand le public va-t-il pouvoir vous entendre
et vous voir ? Existe-t-il des projets discographiques ?
DL : Nos projets actuels sont surtout orientés vers la
recherche de collaborateurs (producteurs, managers, tourneurs...) afin de faire davantage
de scènes. Le projet discographique de Paykan' n'est pas ce qu'il y a de plus
urgent, des contacts sont pris mais tout reste à faire. Enfin concernant les dates, nous
projetons de nous produire cet été sur divers festivals en Bretagne (vous serez avertis
dès signatures des engagements) et peut être une mini tournée (en préparation) dans
l'île pour fin 2002.
IR :
...Une dernière question pour satisfaire la curiosité de tous ceux que cela intriguerait
: que signifie donc Paykan' ?
Paykan' ne peut
pas être compris avec le côté rationnel de chacun, non il faut fermer les yeux et
tenter de sentir : Ppus qu'un sens unique, il s'agit, un peu comme pour une peinture, de
représenter une situation, une situation qui est une imbrication de symboles, et qui est
vivante, par conséquent évolutive :
Image numéro 1 : l'industrie de la canne à sucre, instrument de l'esclavage, puis de la
domination
économique, son principal rebut est la paille de canne que l'on enlève (dépay kann)
avant la coupe (la récolte). Pourquoi s'identifier à un rebut me direz vous ? Tout
simplement parce que cette industrie, puis le developpement économique et la
modernisation à laissé d'autres rebuts sur le bas-côté : des Réunionnais, ceux-là
même qui travaillaient dans les champs et qui y suaient sang et eau pour une misère :
c'est pour ces Réunionnais auquels je m'identifie que ce groupe se nomme Paykan'.
Image numéro 2 : la colère,
cyclique dans l'île avec son cortège de revendications et de sentiments d'impuissance
face au rouleau compresseur et niveleur du système ; dans ces moments de colère, combien
de champs ont brulé ! Gardez les yeux fermés, et imaginez les gigantesques incendies,
les foyers rougeoyants, et les bouts de paykan' calcinés qui s'élèvent dans
l'athmosphère, légers, libérés des soucis matériels : ne sont-ce pas là nos paykan'
?
Cette explication en vaut certainement plein
d'autres, peut-être voulons nous simplement renverser les repères de valeurs : Et si la
paykan' était tout aussi importante que la kan' elle-même ? Et si on abandonnait les
apparences ? Paykan' voudrait réfléchir, Paykan' voudrait pousser dans
certaines directions, Paykan' ne veut peut-être rien d'autre que transmettre ses
textes et ses musiques ...
C'était une question très difficile, j'ai eu beaucoup de mal à y répondre ! Je
sollicite par conséquent votre indulgence à tous.
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