Fred Négrit :

En Guadeloupe " il y a une « manière d’être, indienne » qu’il serait difficile de résumer en une phrase, une  manière  de  s’adapter  à  des  réalités  somme  toute  hostiles "

      
  

   Fred Négrit pourrait peut-être se définir comme un activiste culturel indo-guadeloupéen. Très impliqué dans la vie associative, en particulier à travers le Conseil Guadeloupéen pour la Promotion des Langues Indiennes, qu'il préside, il oeuvre aussi en tant qu'enseignant de culture et de langues indiennes. Une des dernières initiatives marquantes, à laquelle il participe de près, est le lancement du journal West India.


Interview  -  Vidéo


  • IR : Fred Négrit, pourriez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

FN : Je suis guadeloupéen. Enseignant de profession. J’avoue manifester un intérêt certain pour la culture indo-guadeloupéenne, et indienne, d’une manière plus générale.

  • IR : Quels sont vos liens personnels avec la culture indienne, ou plutôt indo-créole (ou encore faudrait-il dire indo-antillaise, indo-guadeloupéenne) ?

FN : D’abord la terminologie : en Guadeloupe on utilise le plus couramment l’expression « indo-guadeloupéen » pour désigner le Guadeloupéen d’origine indienne.
   J’ai été élevé par ma grand-mère, d’origine indienne. Ceci doit expliquer en partie mon intérêt pour cette culture. Mais cet intérêt a été alimenté  par les contacts les plus divers que j’ai pu avoir avec les manifestations concrètes de cette culture dès mon enfance : les contes, ces langues mystérieuses, que bien entendu nous ne comprenions pas, et puis les danses traditionnelles impressionnantes.

  • IR : En quoi de nos jours peut-on d'ailleurs parler de culture indo-créole aux Antilles françaises ? Quels sont les signes extérieurs ou intérieurs de cette culture ?

FN : Je ne maîtrise pas le concept de culture indo-créole aux Antilles ». La réalité de la présence indo-guadeloupéenne me semble indiscutable, ne serait-ce que dans l’apparence physique. Et me semble-t-il on peut en dire de même pour la culture indo-martiniquaise.
   Quelles en sont les manifestations? En Guadeloupe : Les récits épiques et religieux véhiculés par la mémoire populaire, les vêtements, les danses traditionnelles, la manière de cuisiner les plats de l’Inde, ce qui nous reste des langues (surtout en tamoul), etc. Mais aussi il y a une « manière d’être, indienne » qu’il serait difficile de résumer en une phrase, une  manière  de  s’adapter  à  des  réalités  somme  toute  hostiles. Tous ces marqueurs culturels contribuent à donner une spécificité au Guadeloupéen d’origine indienne. Mais il est important de souligner que l’Indo-guadeloupéen se positionne d’abord en tant que Guadeloupéen.
   Ce développement pourrait très probablement s’appliquer aussi à l'Indo-martiniquais.  Maintenant j’avoue hésiter à réduire ces deux réalités au concept d’« indo-créole ».


Cours d'initiation au tamoul

  • IR : Quelle est actuellement l'image de l'Indo-antillais dans la société ? Quelles évolutions notez-vous depuis l'image originelle du couli au XIXème siècle ?

FN : Disons que globalement l’image de l’Indo-guadeloupéen ou de l’Indo-martiniquais ne pose plus problème. Toutefois lors de certaines situations de tensions quelques « paroles malheureuses » peuvent être encore entendues. Mais ce seront des paroles qui « ont dépassé ma pensée ». Aujourd’hui les paroles méprisantes à l’égard du coolie ne sont plus politiquement correctes.
   Mais vous savez, il n’est pas nécessaire de remonter au XIXe siècle pour retrouver des traces de racisme patent. Il y a moins de 50 ans, dans les cours de récréation (et même en dehors !) on n’était pas toujours très tendre avec les coolies.

  • IR : Vous enseignez vous-même la culture indienne : quel est votre public ? Quelles sont ses motivations ? Quel est le contenu de cet enseignement ?

FN : J’ai eu l’opportunité d’initier des élèves du collège de Douville (Sainte-Anne, Guadeloupe) au hindi, il y a quelques années. Cette expérience a fait boule de neige. Deux autres collèges (Saint-François, Port-Louis) et un lycée (Sainte-Anne) sont entrés dans la danse. Leurs élèves peuvent bénéficier de cet enseignement, grâce à l’implication de collègues qui se sont mis à cet enseignement. Il s’agit d’un enseignement à la fois linguistique et culturel.

  • IR : Hindi, culture indienne... cela signifie-t-il que vous laissez de côté le métissage créole (si l'expression vous paraît appropriée) ? S'agit-il d'un mouvement de retour à des racines indiennes ?

FN : Chacun contribue à enrichir culturellement la Guadeloupe, ou la Martinique, selon ses possibilités et ses sensibilités. Il s’agit en fait de proposer à chacun des éléments qui seront appropriés ou pas : ils seront d’origine indienne, africaine, ou autre. Les actions de promotion du tamoul, du hindi et de la culture indienne sont des offres culturelles qui peuvent contribuer à un enrichissement de notre culture. En ce sens on peut considérer notre démarche comme une proposition d’éléments pour une réappropriation, ou une appropriation de valeurs culturelles indiennes. Chacun prendra, ou ne prendra pas, comme il l’entend. Je me méfie de l’expression « retour à des racines », qui pourrait signifier une sorte de nombrilisme. Ce n’est pas le cas. A mon sens la culture de nos îles sera forcément une « culture métisse ». Mais cela sera la résultante d’une intégration profonde de valeurs venant d’horizons les plus divers, un peu à la manière dont on a intégré toutes les influences en cuisine pour le bénéfice de tous.

  • IR : Vous présidez également le CGPLI : quelle a été la genèse de cet organisme ?

FN : Le Conseil Guadeloupéen pour la Promotion des Langues Indiennes a été créé en 2002. En vérité nous avons simplement donné un support légal à nos actions en faveur du hindi et du tamoul. Je dois souligner l’aide précieuse que nous a donné Monsieur Saminadin (citoyen  indien  vivant  en  Guadeloupe, décédé) tant pour la mise en place de l’organisation que pour l’élaboration des premiers cours.


M. Saminadin et M. Sitcharn (Président des Amis de l'Inde)

  • IR : Quels sont actuellement le objectifs du CGPLI et quel est son rayonnement ?

FN : Nous avons su accroître l’intérêt en Guadeloupe pour l’apprentissage du hindi et du tamoul. La dictée hindi et tamoule est désormais inscrite au calendrier le 8 mai. Nous souhaitons passer de cette phase d’initiation à une phase d’approfondissement de la langue. Nous travaillons actuellement sur un programme de formation plus lourd pour l’année scolaire 2009-2010.

  • IR : Pouvez-vous également nous parler de l'association Les Amis de l'Inde dont vous êtes vice-président ?

FN : C’est la plus ancienne association de culture indienne de Guadeloupe. Les Amis de l’Inde proposent des activités culturelles variées : ateliers de cuisine indienne, danses, conférences, expositions… Elle œuvre aussi en partenariat avec d’autres associations pour réaliser des projets tels : la commémoration de l’arrivée des premiers Indiens au Monument du Premier Jour (Darse de Pointe à Pitre), la Journée Mondiale de la Non-violence… Cette action conjuguée des Amis de l’Inde avec d’autres associations ou groupes culturels de Guadeloupe contribue grandement au rayonnement de la culture indo-guadeloupéenne.

  • IR : Quels liens se sont établis avec l'Inde d'une part, avec les Indo-caribéens des pays voisins d'autre part, voire avec les Indo-réunionnais ?

FN : Peu de liens officiels se sont établis avec l’Inde, citons pour mémoire un jumelage entre la ville de Basse-terre et Pondichéry. Plus récemment des relations ont été créées lors du 150e anniversaire de l’arrivée des premiers Indiens (2004). Je pourrais citer aussi la visite d’ambassadeurs ou de ministres indiens, mais il n’y a pas véritablement de contacts permanents au niveau culturel entre le Guadeloupe et l’Inde. Je crois savoir que pour la Martinique, c’est pareil.
   Dans la Caraïbe la principale île de culture indienne c’est Trinidad &Tobago. Nous avons des contacts réguliers avec eux. Des actions ponctuelles, mais pas de projet sur la durée.
   Avec la Réunion il existe des relations individuelles et privées, mais pas de liens établis entre associations ou organismes culturels.

  • IR : Vous lancez actuellement le journal West India : quels en sont les objectifs et les contenus ?

FN : Notre ambition est que West India soit d’abord un organe d’échange et d’information, orienté principalement sur les langues de l’Inde et la culture indienne (de l’Inde et hors de l’Inde). Le contenu sera une déclinaison de cette orientation : Un volet information (Le monde indien, la littérature, l’éducation), une Volet linguistique, un volet événementiel.

  • IR : Avez-vous d'autres projets pour l'avenir indo-antillais ?

FN : Le Guadeloupéen, le Martiniquais, s’interroge sur son identité, sur sa société. Il appartiendra à chacun de réfléchir sur sa place et son rôle dans ce monde nouveau en gestation. L’Indo-guadeloupéen, l’Indo-martiniquais doivent proposer des réponses à ces questions de société. Mais ils doivent se positionner avec leurs spécificités culturelles. La richesse de nos pays vient justement de nos différences. Pourquoi rester européocentré, alors que le monde occidental questionne l’Inde, terre de démocratie et de traditions, entrant à sa manière dans la modernité ?


Stage de hindi

 

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