Interview
-
IR : Géraldine, voudriez-vous pour commencer vous
présenter à nos visiteurs ?
GN : Bonjour, je suis danseuse de Bharata Natyam, je réside à
Bordeaux. Je suis danseuse, professeur et conteuse aussi, et je poursuis une
formation auprès de mon professeur, Sivaselvi Sarkar, pour enseigner le
Bharata Natyam.
-
IR : Vous êtes française "de souche" et pratiquez la
danse classique indienne : d'où vous est venu ce goût, ou peut-être cette
passion ?
GN : Lorsque j’avais quatorze ans, je suis allée rejoindre mon père, qui se
trouvait à Hyderabad, dans l’Andra Pradesh. Comme je pratiquais la musique, en
France, les percussions depuis mon plus jeune âge, mon père m’avait cherché un
professeur de Tablas… Mais quand l’enseignant a vu que j’étais une fille, il
s’est exclamé qu’il ne m’enseignerait pas son art, que je pouvais faire de la
danse ! L’idée m’a plu, en fait, tant cette danse mêle la maîtrise du rythme
et la grâce des gestes. C’est ainsi qu’est née ma « passion ».
-
IR
: Comment s'est déroulée votre formation de danseuse ?
GN : J’ai fait mes premiers pas avec un maître de danse à Hyderabad, et j’ai
ensuite cherché un professeur à mon retour à Bordeaux. Quelle ne fut pas ma
surprise d’en trouver une ! J’étais ravie, et j'ai donc appris les bases du
Bharata Natyam à Bordeaux avec Indira. Parallèlement, je suis allée passer
un été à Chennai dans le Tamil Nadu, dans l’école Bharatalaya de Sudharani
Raghupati.
Ensuite, j’ai rencontré Sivaselvi Sarkar à Paris, mon
maître, qui m’a transmis tout un répertoire de danses, et m’a formée jusqu’à l’Arangetram,
cérémonie consacrant le travail de l’élève, et premier accès véritable à la
scène. Je continue bien sûr à travailler avec elle dès qu’elle est en France.
-
IR
: Cela a-t-il été difficile ? Le fait d'être de naissance étrangère
à la culture indienne et à ses repères a-t-il constitué un obstacle ?
GN Le fait d’être française peut constituer un obstacle au cours de
l’apprentissage dans la mesure où on ne nous prend pas toujours au sérieux :
quand j’apprenais cette danse, les curieux posaient quelques questions, mais
dans l’ensemble, comme ce n’est pas très connu en France, les gens trouvaient
cela curieux. De mon côté, je connaissais déjà suffisamment la culture indienne,
et hindoue, pour ne pas être perdue dans l’apprentissage des danses. Il est vrai
cependant qu’un professeur de Bharata Natyam doit forcément expliquer et
raconter un peu plus les épisodes sacrés, pas toujours connus par les danseuses
non hindoues.
Il peut aussi
arriver qu’un professeur d’origine indienne vous fasse comprendre que
certaines étapes de l’apprentissage de la danse sont réservées aux Hindous, au moment où vous désirez
vous investir réellement dans l’art du Bharata Natyam.
Heureusement, cette attitude n’est pas systématique et
certains danseurs ou enseignants de tradition indienne sont ouverts et
apprécient de transmettre leur art aux passionnés, savent donner confiance aux
élèves, quelle que soit leur origine. J’ai été confrontée à ce problème et je
suis d’autant plus heureuse d’avoir rencontré un maître comme Sivaselvi Sarkar
pour me redonner confiance.
En tant qu’artiste danseuse,
cela représente parfois un obstacle aussi: des personnes m’appellent, qui ont vu
photos ou même vidéos, et me proposent un spectacle, mais quand ils me
s’aperçoivent que je suis Française et non Indienne, il arrive que je n’aie plus
aucune nouvelle d’eux. Ce sont certainement des personnes qui cherchent des
prestations « vitrines », mais c’est quand même frustrant…
C’est un peu comme si on
refusait à une artiste d’origine asiatique ou latine de danser des ballets de
danse classique !
- IR : Vous enseignez à votre tour le Bharata Natyam : quel est votre public ?
Quelles satisfactions vous apporte cette activité ?
GN : J’ai commencé à enseigner le Bharata Natyam cette année, et mes
élèves sont toutes des femmes, la plupart étudiantes, mais sans oublier
une élève de douze
ans, et une autre qui a la quarantaine. J’ai trois élèves d’origine étrangère,
dont une Réunionnaise et une … Russe ! Cette variété me plaît, et je suis
complètement enchantée de cette expérience, car le groupe est sympathique et
chaleureux, et progresse très bien. Que demander de plus ? J’ai commencé avec
quinze élèves, et quelques grossesses ou douleurs de dos résument notre groupe
actuel à dix élèves environ. Cela est si agréable que je compte ouvrir un
nouveau cours débutants à la rentrée prochaine.
- IR : Vous faites également partie du "Shakti Trio",
pouvez-vous nous présenter ce groupe et ses autres membres ?
GN : Ce groupe est né d’une belle histoire : Hicham, Julie et moi nous
connaissons depuis plus de dix ans. C’est dans les cours de danse que nous nous
sommes rencontrés, et nous sommes devenus amis. Julie Lesbordes est danseuse,
elle a appris le Bharata Natyam avec Indira, puis auprès d’Amala Devi. Elle est
actuellement attachée de production d’une compagnie de danse contemporaine, et
pratique de nombreux styles de danses.
Hicham Sqalli est artiste intermittent, à la fois danseur
et chanteur, interprète de talent du chant baroque. Il participe à des créations
mêlant le son et le mouvement, et anime également des ateliers pour les enfants
sur les contes et expressions de l’Inde .
Aujourd’hui, nous formons le Shakti trio.
Le groupe veut
offrir une découverte des danses indiennes :
En essayant de transmettre la grâce et la force dans nos
pas et nos postures, et cherchant à créer le « Rasa », délice dans lequel on
s’enivre. Accompagnés par la musique, parés de nos plus beaux saris, bijoux et
au son des clochettes de cheville, nous voulons redonner vie aux fresques
des temples anciens.
Notre spectacle, chorégraphié sur des musiques
carnatiques et modernes de l'Inde, issues surtout de films Bollywwod,
laisse découvrir la richesse des danses rapides et souples, des costumes et des
bijoux scintillants, des jeux de lumières, de lampes et de couleurs. Nous
nous sommes récemment produits au festival pyrotechnique "La Teste dans les
étoiles", en août 2006 à La Teste (bassin d'Arcachon, Gironde) avec Fêtes et
Feux.
-
IR
: Dans ce cadre, je crois que vous donnez des spectacles
de danse classique, mais aussi de danse de type Bollywood : deux univers
chorégraphiques très différents à vos yeux, ou au contraire proches ?
GN : Il est difficile de répondre catégoriquement à cette question : par
certains aspects, la danse Bollywood est proche de la danse classique,
puisqu’elle lui emprunte des mouvements, des mudras, des enchaînements
rythmiques, mais souvent, elle joue sur la rapidité : la danse Bollywood
présente des tableaux de groupe, et joue sur la fluidité des déplacements, la
vivacité des tours. Ce qui signifie moins de détails, de transitions entre deux
postures, que dans le Bharata Natyam ou le Kathak, mais une même volonté, je
crois, d’ « enchanter son public ». Bien sûr, lorsqu’on interprète le Bharata
Natyam, on cherche à produire le RASA, « délice », mais cela dépasse le simple
plaisir esthétique : cette danse transmet des récits mythologiques, est
porteuse de valeurs ancestrales, riches, complexes. Elle nécessite une
recherche, un apprentissage des postures, des mouvements, mais aussi des
sentiments, l’art de décliner les émotions dans leurs plus délicates
variations. . Le Bharata Natyam, outre l’agilité, la force, la grâce et la
souplesse, requiert un engagement profond, un enthousiasme au sens
étymologique du mot.
-
IR
: Quel intérêt trouvez-vous à la pratique de la danse
Bollywood ?
GN : J’adore le côté féerique, magique, dynamique de cette danse, et j’apprécie
surtout le fait que nous travaillons cette danse en groupe.
-
IR : Parmi vos activités, notons aussi les "contes en musique et en danse" :
pouvez-vous nous en dire davantage ?
GN : En fait, certaines danses du Bharata Natyam peuvent s’adresser plus
particulièrement à des enfants : je désirais leur permettre de profiter
complètement de l’histoire, comme les aventures du petit Krishna par exemple.
J’ai fait la rencontre de Francis Passicos, musicien saxophoniste, qui a
découvert la musique hindustanie et s’est formé au Sitar et à la flûte. Il se
produit régulièrement à Bordeaux avec l’excellent percussionniste Olivier
Colombel aux tablas.
Suite à notre rencontre, nous avons créé un spectacle de
conte, où nous racontons et développons l’enfance de Krishna :
Francis joue quelques notes de sitar et d’harmonium et nous
entraîne ainsi dans l’univers de l’Inde ancienne, et le conte commence, avant la
naissance de Krishna… Le conteur, Hicham, déroule alors le merveilleux récit de
l’enfance de Krishna, et la danseuse, parée de son costume, exprime par le
visage et les mains les incroyables exploits, les touchants sentiments qui
émaillent le récit.
Le conte que j’ai écrit permet ainsi à notre public de
comprendre la trame narrative du padam que j’interprète ensuite, où la danseuse
appelle le beau Krishna, et raconte un épisode de son enfance.
J’aime m’adresser aux enfants, dans les écoles, les
bibliothèques… : la musique et la danse leur parlent merveilleusement. Ma petite
fille, Neela, a deux ans et elle adore elle aussi cet univers !
-
IR
: Quelles sont les personnalités du domaine de la
culture et des arts (danse, musique, etc.) que vous admirez le plus et qui vous
servent éventuellement de références, dans le domaine indien ou au-delà ?
GN : J’ai été fascinée par Malavika Sarukai lors d’un récital donné il y a
quelques années à Chennai, mais je l’ai revue depuis souvent à Paris et j’étais
un peu déçue par ses chorégraphies. J’apprécie la jeune danseuse Maria Kiran, et
la belle Medha Hari.
J’admire énormément mon professeur Sivaselvi Sarkar, et
j’adore tous les spectacles de danse, dès que l’artiste s’exprime profondément,
tout en offrant une joie des mouvements, quel que soit le style.
Dans d’autres domaines, j’adore la littérature, française,
russe plus particulièrement.
-
IR : Enfin quels sont vos projets ? Avez-vous envisagé de
vous produire à la Réunion ?
GN : J’adorerais me produire à la Réunion !!
A ce propos, je cherche à retrouver Stéphanie
Suprayamestry, qui doit vivre actuellement à la Réunion, ce serait super de
retrouver tes coordonnées !!
Bises à tous !
|