Interview
LL : Je suis Laure Lemoine, une amoureuse de
l’Inde qui a effectué plusieurs voyages dans ce pays… qui s’initie à
l’art de la marionnette à fils traditionnelle du Rajasthan grâce à un maître
marionnettiste, Prakash Bhatt.
Prakash Bhatt
LL : L’idée d’une compagnie artistique
est née à l’origine de la rencontre que j’ai faite avec un artiste indien, Prakash
Bhatt, en Inde, plus exactement au Rajasthan. Ensuite, Prakash est venu en visite
en France, il a apporté avec lui quelques marionnettes et joué en privé
bénévolement devant différents auditoires enthousiastes. Puis une rencontre s'est
faite avec un marionnettiste français qui avait appris à jouer cet art en Inde et
fut honoré de rencontrer un marionnettiste aussi talentueux et issu de la
tradition en la personne de Prakash Bhatt. Il l’incita à essayer de montrer son
art dans des festivals ; fut alors créée la compagnie Anarkeli qui a pu ainsi
proposer des spectacles cette année en Europe dans des festivals de marionnettes
(Binic en France, Lisboa au Portugal et enfin Dordretch aux Pays- Bas). Pour
des raisons de visa l’artiste Prakash Bhatt n’a pu rester que trois mois en France.
LL : Prakash Bhatt est un
maître marionnettiste qui est né et vit à Jaipur, capitale
du Rajasthan en Inde.
Il appartient à cette fameuse caste d'Artistes marionnettistes
et musiciens qui
perpétue cet art depuis des générations. La transmission de cet art se fait de
père en fils ; certains se destinent à jouer de la musique (percussions ou
harmonium) afin d’accompagner le spectacle, et d’autres comme lui s’orientent
plus sur l’art de la manipulation des marionnettes. La fabrication des
marionnettes est elle aussi une tradition familiale, les femmes peignent les
visages une fois sculptés par les hommes et habillent les marionnettes avec des
saris.
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IR :
Qu'est-ce
que les marionnettes indiennes, et les spectacles de marionnettes en Inde, ont
de particulier, sur le plan technique ?
Peut-on établir un approchement avec les traditions françaises notamment
(Guignol par exemple ) ?
LL : Nous ne parlerons ici que de
ce que nous connaissons, c’est à dire l’art des marionnettes traditionnelles
du Rajasthan, en Inde, appelé kathputli.
Le kathputli en hindi signifie « poupée qui danse ». C’est un spectacle traditionnel et populaire
réunissant différentes marionnettes mndiennes : danseuse, jongleuse, magicien, maharadjah sur son cheval, charmeur de serpent, Krishna, chameau …dansant sur
des musiques rythmées et colorées du Rajasthan.
La spécificité de cet art
est que les marionnettes dont la tête est sculptée dans du bois de manguier sont
manipulées par des fils mais sans contrôle, il n’y a pas d’intermédiaire entre
les mains de l’artiste et les fils de la marionnette.
En occident, certaines
marionnettes sont à fils mais avec contrôle, c'est à dire qu’un morceau de bois tenu
par la main relie les différents fils. Donc dans le premier cas, le jeu de main
et l’attention doivent être plus soutenus pour éviter que les fils s’emmêlent,
mais c’est aussi cette technique qui rend les marionnettes plus vivantes. Du
coup, c’est d’abord parce que le marionnettiste vit dans son corps le mouvement
que la marionnette l’effectue par la suite. C’est d’abord parce que l’artiste
vit la danse en lui que la marionnette va s’animer et danser. La marionnette
devient un prolongement de lui-même.
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IR :
Les
spectacles de marionnettes constituent-ils une tradition ancienne en Inde ?
Sont-ils toujours populaires ? Quels sont
les sujets les plus souvent abordés par les spectacles de marionnettes en Inde ?
LL : C’est une tradition
très ancienne qui remonterait au VIIème siècle. Un maharadjah du Rajasthan aurait demandé à la caste
des marionnettistes et des musiciens de cette époque de lui créer un spectacle
pour le divertir. De là sont nées les marionnettes à fils avec un visage
sculpté en bois inspiré de celui des maharadjah et maharani. Puis avec le temps,
le spectacle s’est popularisé dans les villages, la rue, les écoles. L’arrivée
des Moghols a précipité la chute de cet art et de la prestigieuse renommée de
ces artistes.
Actuellement, le
gouvernement envoie en mission, comme ce fut le cas pour Prakash il y a quelques
années, un certains nombre de ces artistes dans des villages reculés de
différentes provinces de l’Inde pour qu’ils puissent à travers les marionnettes
véhiculer des messages de prévention par rapport à certaines maladies comme le
sida, la polio…à une population qui n’a pas encore accès à l’éducation, mais
aussi sensibiliser les enfants sur le fait d’aller à l’école…
Dans certains hôtels, les
touristes pourront avoir la chance d’assister à des spectacles traditionnels de
marionnettes. Par contre dans ce cas le statut de l’artiste n’est
malheureusement pas considéré à sa juste valeur par ses employeurs…
C’est un art qui, à mon
avis, n’est pas encore assez pris en considération par les autorités indiennes.
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IR :
En quoi le
Rajasthan est-il une terre privilégiée dans le domaine des marionnettes ? Ailleurs en
Inde, l'art de la marionnette est-il aussi vivace ? Est-il différent ?
Existe-t-il notamment dans les États du sud (Tamil Nadu, etc.) ?
LL : A ma connaissance, il
existe une tradition de marionnettes assez vivante notamment au Kerala, mais ne
connaissant pas assez le sujet, je préfère ne pas m’étendre.
LL : A chaque fois que nous avons
eu à nous produire en France ou en Europe, nous avons eu toujours un accueil
enthousiaste du public, et ce que ce soit de la part des enfants ou de celle des
adultes. En effet, le kathputli s'adresse autant à l’un qu"à l’autre ; les
adultes se reconnectent avec leur âme d’enfant. On a trop tendance
malheureusement à cantonner la marionnette, en France, aux enfants. Les adultes
en sont friands également et l’on en voit d'ailleurs certains qui sous
prétexte d’amener leur enfant aux spectacles, s’autorisent également ces
petits moments de bonheur. Durant le spectacle, le spectateur est basculé dans
un univers différent de son quotidien par la musique, le rythme, les
danses... propres à l’Inde, il s’accorde ainsi l’espace du spectacle un voyage
dans un autre continent avec d’autres références qui ne sont pas celles qu’il
épouse au quotidien.
LL : La Compagnie Anarkeli
souhaite continuer à faire connaitre cet art traditionnel des marionnettes du
Rajasthan en France, en Europe mais aussi éventuellement dans le monde entier
afin de proposer un spectacle s’adressant autant aux petits qu’aux grands.
Elle souhaite également
proposer des stages pour apprendre à manipuler ces marionnettes à fils et des
stages de fabrication de marionnettes.
A plus long terme, elle
souhaite faire venir d’autres artistes, notamment des musiciens pour accompagner
les spectacles.
Et bien sûr si la compagnie
Anarkeli est invitée à la Réunion, c’est avec plaisir qu’elle s’y rendra…
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