Interview
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IR :
Monsieur Carpanin
Marimoutou, l'on vous connaît comme universitaire, comme écrivain et
comme l'une des voix les plus écoutées de la scène intellectuelle et
littéraire de la Réunion et du monde créole ; depuis plusieurs années
vous vous êtes personnellement et activement impliqué dans un projet
majeur qui a fait couler beaucoup d'encre sur l'île, celui de la Maison
des Civilisations et de l'Unité Réunionnaise. Aujourd'hui, pour des
raisons que vous nous exposerez tout à l'heure, ce projet semble subir
un coup d'arrêt : pouvez-vous nous rappeler tout d'abord dans quelles
circonstances et dans quel contexte est né ce projet de la MCUR ?
CM : Le projet de
la MCUR est un projet porté par le Conseil Régional sous la mandature de
Paul Vergès. La décision de construire ce centre culturel a été prise en
1999. Mais son origine est beaucoup plus ancienne. Le projet est la
suite logique des luttes, recherches, travaux, études menés à partir des
années 60 du 20è siècle, par les mouvements anticolonialistes (le Parti
communiste réunionnais en particulier), les militants culturels, les
chercheurs sur l’histoire de La Réunion,, la culture réunionnaise, la
langue créole… Il n’existe nulle part un centre culturel donnant à voir
cette culture et cette histoire et valorisant la culture réunionnaise.
CM :
Le projet repose
sur l’affirmation de l’égalité des cultures, la valorisation de la
culture vernaculaire réunionnaise, la connaissance des différentes
civilisations qui sont à l’origine de la société réunionnaise, les
processus de créolisation. Il resitue la Réunion dans son espace
géopolitique et historique, l’océan indien dont la longue durée
historique et les créations sont mises en avant. C’est à la fois un
centre culturel vivant qui met en avant la créativité réunionnaise et
indiaocéanique, et un musée vivant, un musée sans objets construit
autour d’une muséographie innovante de la culture immatérielle, des
itinéraires. La muséographie repose sur le principe d’installations
mêlant sons, images fixes et mouvantes, objets (non authentiques),
textes, performances. Une grande place est faite à l’oralité et à la
participation des visiteurs.
Il s’agit, dans l’exposition « 6 mondes, La Rényon », de montrer
comment l’unité réunionnaise repose sur la diversité des apports, que
l’unité repose sur cette diversité partagée, acceptée, intégrée, ce que
Paul Vergès appelle « l’intraculturalité ».
CM :
Toutes les études (bâtiment et
muséographie) étaient terminées et validées. L’enquête d’utilité
publique avait abouti à une conclusion positive. Les chantiers de
réalisation étaient sur le point de démarrer.
CM :
Le projet était soutenu par l’UNESCO,
financé en partie par la communuaté européenne et par l’Etat français.
De très nombreuses personnalités ont apporté leur soutien au projet. Ils
ont constitué un comité de parrainage (cf. liste). La dimension
scientifique était examinée et validée par un conseil scientifique
présidé par Marc Augé et composé de Achille Mbembe, Simon Njami et
Germain Viatte. Chaque élément de l’exposition « 6 mondes, La Rényon »
était analysé et validé par des experts internationalement reconnus. Le
projet a été présenté dans de nombreux colloques et a chaque fois
suscité l’intérêt et l’enthousiasme. Des relations de partenariat
existaient déjà ou étaient en train de se mettre en place avec de grands
musées nationaux et internationaux De nombreux chercheurs étaient venus
donner des conférences sur des sujets liés à l’histoire et à la société
des pays d’origine, mais aussi sur des sujets contemporains, comme les
changements climatiques, les problèmes démographiques, les énergies
renouvelables…
CM :
La MCUR est un
centre culturel avec des événements, des spectacles, des colloques, des
séminaires, des cycles de conférence, des ateliers éducatifs, des
ateliers de création, des expositions. C’est un espace citoyen de
production de connaissances, de transmission intergénérationnel,
d’échanges, de création, de débats, de propositions pour l’avenir de la
société réunionnaise.
Il travaille en partenariat avec des musées, des centres culturels,
des centres de recherche, des artistes dans le monde entier, dans
l’océan indien, en France et à La Réunion. Il développe, toujours en
partenariat, des programmes de recherche sur les sociétés de l’océan
indien et sur la société réunionnaise. Il encourage le désir de
connaissance et l’esprit critique. Il développe le tourisme culturel. Il
a créé le titre Zarboutan nout kiltir qui honore des femmes et des
hommes qui ont lutté pour la sauvegarde, la valorisation, la
transmission et la création de la culture vernaculaire réunionnaise. Il
a permis au maloya d’être inscrit sur la liste représentative du
patrimoine immatériel de l’UNESCO.
CM :
Le seul argument avancé est celui du coût
(87 millions d’euros), ce qui est le coût d’un rond point à La Réunion.
C’est un argument populiste et démagogique. En réalité, derrière cet
argument, c’est bien le contenu et les enjeux du projet qui étaient
attaqués. Il y a clairement une position rétrograde et populiste contre
la culture et contre tout ce qui peut mettre en valeur l’initiative et
la « capabilité » des Réunionnais ; un refus de la culture vernaculaire
et immatérielle ; un refus de tout ce qui peut remettre en question le
vieux discours colonial sur « La Réunion terre (uniquement)
française » ; un refus d’accepter l’égalité des cultures, leur
rencontre, la créolisation.
CM :
L’argument financier est un faux
argument. Comparé à d’autres équipements culturels, la MCUR ne coûte pas
cher. Par ailleurs, des régions confrontées à de graves problèmes
économiques et sociaux ont choisi, au contraire, de jouer la carte
culturelle pour dynamiser le tissu économique. C’est le cas de Metz avec
le Centre Pompidou, de Lens avec le Louvre. L’exemple de Bilbao, avec le
Guggenheim est, à cet égard, particulièrement parlant.
CM :
La réalité est la suivante : le conseil
régional ne veut plus assurer la maîtrise d’ouvrage du projet. Cela ne
veut pas dire que le projet est mort. On ne tue pas une idée. Il nous
faut maintenant trouver une nouvelle maîtrise d’ouvrage pour mener à
bien la réalisation de la MCUR. Cela peut prendre la forme d’un
partenariat public/privé avec des communes, l’Etat, des privés locaux et
internationaux, une participation financière des Réunionnais. Il faut
mettre en place un nouveau montage juridique, administratif et
financier. La commune du Port a déjà accepté de mettre à disposition un
terrain. Nous avons fondé une association, dont j’ai été élu président,
« MCUR, recherche culture, action ». Elle a pour objectif de continuer
le travail scientifique et culturel, de contribuer à la réalisation du
centre culturel MCUR, de développer l’appropriation du projet par les
Réunionnais, de continuer à organiser des manifestations de
préfiguration. Nous avons déjà mené une première action : la célébration
de la journée nationale de commémoration de la traite négrière, de
l’esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai.
CM :
Ce qui importe, ce n’est pas le bâtiment
en tant que tel. C’est le sens de la MCUR.
CM :
Développer le travail de l’association,
renforcer les partenariats au niveau local, national et international
pour mener à bien le travail scientifique et les actions de
préfiguration. Nous allons créer un véritable site internet, publier des
ouvrages, continuer la collecte de la culture immatérielle, avancer dans
la mise en place de l’exposition « 6 mondes, La Rényon », mettre en
place des manifestations culturelles..
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