Interview
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IR
: Julie Ellama Clerc,
pouvez-vous d'abord vous présenter aux visiteurs de ce site ?
JEC :
Je
suis originaire de l’est de l’île de la Réunion. J’ai quitté le pays pour la
métropole au milieu des années 80.,.. J’ai travaillé, comme chef de rang, à la
Maison de l’île de la Réunion, rue Vignon, pendant trois années. Une
opportunité pour visiter les USA s’est présentée en 89. Ma curiosité l’a
emporté sur tout le reste. C’est là-bas que ma passion pour les arts est née.
Après avoir étudié les arts plastiques dans diverses écoles, je me suis
spécialisée dans l’illustration. Je réside dans les Hauts-de-Seine où j’ai mon
atelier. J’expose régulièrement à Paris, dans l’Île de France et à la Réunion.
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IR
: Quels ont été vos premiers pas dans le domaine artistique, la peinture ?
Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette vocation ?
JEC :
Mon
aventure artistique commence en 1990 à Boston dans le Massachusetts.
Souhaitant apprendre l’anglais en évitant les méthodes traditionnelles, je me
suis inscrite dans divers cours d’art (dessin, peinture, modèle vivant,
sculpture…) et grâce à la faculté des beaux-arts, j’ai pu obtenir un
encadrement professionnel. Mon but n’était pas d’obtenir un diplôme, il a
toujours été question d’apprendre de façon ludique.
Très vite la peinture à l’huile me fascine, Je deviens plus à l’aise sur la
toile. Parallèlement, j’apprends à connaître et admirer de nombreux artistes
américains, comme John Singer Sargent, Winslow… avant de découvrir Monet,
Manet ou Cézanne. L’art de la Renaissance italienne me fait prendre conscience
de mon goût pour le figuratif. La carte d’étudiant me donne la gratuité au
Musée de Boston. J’en profite donc pour en abuser.
L’aventure va durer trois ans. De retour à Paris, en 1993, je déchante. Le
climat social n’encourage pas à devenir artiste. Je tourne la page pendant six
ans. Mais selon le dicton « on n’échappe pas à son destin », je suis rattrapée
par mes vieux démons artistiques. Prenant mon courage à deux mains, je
reprends des études d’art. En 2002, j’obtiens mon diplôme d’illustratrice.
L’aventure reprend.
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IR
: Nombre de vos toiles s'inspirent de la culture indienne, ou du "folklore
hindou", a-t-on pu lire : pourquoi cette source d'inspiration ?
JEC :
En
2003 j’étais en visite à la Réunion au moment de la fête de la lumière, le
Deepavali. J’ai regardé autour de moi et me suis rendu compte que je ne
connaissais rien de mes racines indiennes. Pourtant j’avais grandi dans un
village où dieux et déesses gardiens du temple tamoul côtoyaient le quotidien
des hommes. J’ai, soudainement, pris conscience que mon éloignement avec mon
île avait tout occulté. Je ne pouvais en tant qu’artiste laisser passer cela.
A mon retour, je me suis tout de suite mise au travail. Le thème était lancé
et la création est venue tout naturellement.
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IR
: Avez-vous personnellement vécu ou voyagé en Inde ?
JEC :
L’Inde :
j’admire et respecte. Je ne la connais que par le biais de documentaires
télévisés et la littérature. Mais j’aimerais bien faire mieux que ça. Je rêve
de visiter le Taj Mahal (mon premier choix peut-être à cause de
l’architecture) ensuite quelques temples comme celui de Mandaï dédié à Shiva
et Minaskhi ou encore Calcutta, la région de mes ancêtres. J’ai très peu connu
mes aïeux. Ils sont tous décédés avant ma naissance. Seul mon grand-père
maternel m’a apportée quelques valeurs de la culture indienne (comme le
respect des divinités) mais j’étais trop jeune pour comprendre.
Je
ne sais pas si je voyagerai un jour en Inde…
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IR
: Les sujets de vos toiles révèlent une prédilection pour les danses indiennes,
le mouvement, peut-être le symbolisme qui sous-tend la gestuelle de ces danses
: pouvez-vous nous donner des explications et des commentaires à ce propos ?
JEC :
Lorsque j’ai commencé à me documenter sur la culture indienne, il m’a tout de
suite paru évident que sans la danse le reste ne pouvait pas suivre. Comme le
flamenco, la danse indienne est étudiée de façon à ce que les gestes du corps
s’accordent pour faire passer un message. L’évolution des mœurs veut que
Bollywood occulte les danses traditionnelles. Mais le gestuel reste cependant
très présent. La musique a changé mais la chorégraphie reste basée sur les
danses classiques Barhat Natyah ou Odissis. Grâce au dynamisme qui émane de la
danse je peux faire vivre le folklore indien dans mes toiles.
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IR
: La couleur semble aussi jouer un rôle important, pour vous comme pour bien des
peintres : que représente-t-elle pour vous ?
JEC :
Il
existe une symbolique des couleurs dans la culture indienne. Je n’ai pas
cherché à faire des études de couleurs ou donner l’impression que mes couleurs
étaient préméditées. J’ai tout simplement utilisé ma palette de couleurs
habituelle et j’ai ensuite complété en fonctions des us et coutumes indiens.
J’ai travaillé sur plusieurs couches en superposition et juxtaposition, et en
variant les techniques d’exécution. Toutes les couleurs ont été travaillées en
même temps et aucune couleur n’a été laissée pour compte. Elles étaient toutes
les bienvenues car toutes avaient un rôle à jouer. L’objectif était de
dynamiser l’œuvre et faire éclater la lumière.
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IR
: Hormis ces aspects, comment évoqueriez-vous encore les caractéristiques, les
objectifs, les aspirations de votre création ?
JEC :
Je
suis un peintre figuratif qui illustre des tableaux. Tout ce que j’ai produit
jusqu’à présent a été l’œuvre de mon imagination, de ce fait, j’ai parfois eu
beaucoup de mal à ne pas rajouter des éléments, glanés çà et là à la dernière
minute. C’est un gros défaut chez moi. Pour le thème de l’art hindou, je n’ai
à aucun moment exécuté de croquis préalable, c’est ce qui permet en général de
diriger le travail. Pour ce thème, toute la construction a été spontanée. Mes
toiles de la Danse et la Lumière sont, comme je m’amuse souvent à dire,
« des tableaux fourre-tout ». Lorsque je commence une œuvre, les éléments
jaillissent de mon esprit à la toile. Quelquefois cela se produit tellement
souvent que je choisis de les ignorer.
C’est un véritable dilemme pour moi. Peut-être, dorénavant, devrais-je
travailler plusieurs toiles à la fois afin de ne pas minimiser mon
inspiration.
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IR
: En dehors de la thématique indienne, quelles sont vos autres sources
d'inspiration ?
JEC :
Cela va certainement vous faire sourire. Mais, il y a quelque temps je me suis
surprise à retranscrire à l’huile la technique de l’aquarelle à la chinoise.
Pour introduire cette nouvelle tendance, j’ai choisi le thème du chat. Donc,
je peins des chats. Nous sommes nombreux à posséder un chat. J’en ai moi-même
deux. Ils se sont laissé prendre au jeu et me servent de modèle. A Paris, au
Marché de la Création à Bastille, situé sur le boulevard Richard Lenoir dans
le 11è arrondissement, c’est principalement ce travail que j’expose. Les
images de chats ont toujours plu et d’un artiste à un autre les styles et
techniques ne sont jamais vraiment semblables.
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IR
: Plus généralement, quel regard portez-vous sur la création picturale à la
Réunion ? Quels sont les peintres locaux que vous appréciez particulièrement ?
JEC :
Je
regrette que mon éloignement avec mon île ne me permette pas de rencontrer
plus souvent les artistes réunionnais. J’ai, cependant, eu l’occasion
d’admirer les toiles de nombreux peintres (amateurs ou professionnels, en
collectif ou individuel) comme Dominique Payet (du Tampon) ou Noël Gence (de
Reims). Les thèmes, comme les scènes de la vie quotidienne, les paysages, le
maloya, sont de vrais témoignages de notre culture. Mon regard ne peut être
que positif. Je suis de tout cœur solidaire de toute forme de manifestation
artistique qui améliore et entretienne la communication entre tous.
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IR :
Et quel regard portez-vous sur la vie culturelle réunionnaise et indo-réunionnaise ?
JEC :
J’ai eu, à plusieurs reprises, l’occasion de voir la troupe Volard sur scène.
Leur succès en Métropole est indiscutable. Lorsque Ziskakan ou Baster se
produisent en concert, je ne manque pas non plus d’aller les encourager.
J’adore l’ambiance « Réunion j’aime ton nom » à Paris,
La
Réunion a beaucoup évolué, Les baskets et les jeans ont détrôné les savates
« deux doigts » et les petites robes à fleurs. Du roulé séga on est passé au
raga séga… La culture réunionnaise s’ouvre à d’autres horizons, elle explore
de nouveaux registres et ne se laisse pas intimider. C’est tout à fait normal
et je porte un regard admiratif sur ses artistes qui se battent pour la
Réunion, département de France et d’Europe.
Quant à la culture indo-réunionnaise, je trouve qu’elle s’est beaucoup
rapprochée de sa terre patrie, l’Inde. Il m’a semblé qu’un grand nombre de
temples étaient décorés selon les modèles indiens. Les temples de Colosse et
de Bois-Rouge en sont des exemples parfaits. Les boutiques de saris et
d’objets de culte se sont multipliées. Des plus en plus d’associations de
danse proposent des cours traditionnels ou modernes. Je crois que le « Malbar »
continue à revendiquer son appartenance à la communauté indienne, tout en
gardant en esprit qu’il appartient à une communauté mixte. Une belle preuve de
tolérance.
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IR
: Quels sont à présent vos projets artistiques ? Toucheront-ils encore, de
près ou de loin, à l'indianité, réunionnaise ou non ?
JEC :
Mes
projets artistiques sont nombreux. Comme je dis souvent « une parenthèse
ouverte n’est jamais fermée ».
Donc, l’art hindou est et sera toujours à l’ordre du jour. Après ma dernière
exposition à la MJC de Bras-Panon, j’ai recueilli quelques impressions et
idées pour continuer à créer sur ce thème. C’est un travail de longue haleine
qui s’annonce. Il verra certainement son achèvement fin 2008. Actuellement
j’en suis à l’étape de recherche à travers la littérature. La création
proprement dite débutera cet été et s’intitulera « contes et légendes
illustrés des divinités de l’inde » et s’articulera entre peinture à l’huile,
illustration pour enfants et sculpture.
Entre temps je continue à peintre des chats. Et un nouveau thème va également
venir grossir ma collection : celui de la « Manipulation ».
Actuellement, seulement trois toiles de la collection Deepavali : la
danse et la lumière, sont disponibles à la vente. Deux sont exposées à
Rodez dans l’Aveyron et une reste à mon atelier. Deux autres sont en cours
d’exécution et seront achevées cet été. Prochaine exposition sur l’art hindou
début 2009.
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