Interview
Sheiks
(Idayam) : Avant de commencer
à me présenter, il me parait essentiel de revenir sur l’histoire de ma famille
et en particulier celle de mes parents. Mon père est originaire d’un petit
village aux alentours de Pondichéry (situé en Inde du sud et ancien comptoir
français). Il a passé toute son enfance dans un village très pauvre (Oulgaret)
dans des conditions de vie particulièrement difficiles, cumulant les carences.
En effet, il vivait dans une hutte, sans électricité, avec un toit à peine
couvert (je te laisse imaginer la galère que ça pouvait être par temps de
mousson). Il vivait avec ses cinq frères et sœurs dans la promiscuité la plus
totale, il mangeait une fois par jour, il a été le seul de sa famille à suivre
des études jusqu’au lycée, lequel se trouvait à plus de dix kilomètres de chez
lui ; pas suffisamment d’argent pour y aller en vélo ou en transport en commun,
il y allait donc à pied. Son niveau scolaire lui a permis de quitter le pays
pour s’engager dans l’armée française. Avant la restitution de Pondichéry alors
française à l’Inde, il était demandé aux Pondichériens, et en l’occurrence à mon
père, de choisir de garder la nationalité française ou prendre la nationalité
indienne. Les membres de sa famille ont choisi de devenir indiens par sentiment
patriotique. Mon père, lui, étant militaire français a décidé de rester
français, ce choix contesté par les membres de sa famille était vécu par eux
comme une véritable trahison. Pour mon père,
rester français lui a également permis (d’avoir la chance) d’épouser ma mère,
jeune fille de militaire, issue d’une classe plus aisée (classe moyenne
indienne). Mes parents se sont mariés par le biais d’un mariage arrangé comme
tous les mariages de l’époque en Inde. Ils quittent l’Inde en 1964 par bateau et
arrivent à Marseille pour s’établir ensuite dans l’est de la France, en
province.
Je suis le petit
dernier d’une fratrie de cinq enfants. Mes trois premiers grands frères ont
connu le racisme primaire (au début des années '70). Des gamins les traitaient
de sales noirs et leurs crachaient dessus… C’est à vomir mais je pense qu’il
faut rattacher l’attitude, parfois inconsciente, de ces petits « tortionnaires »
au contexte historico démographique français de l’époque.
Quant à moi, je
suis née au début des années '80. Dans un contexte moins hostile, pour un Indien
d’origine, que celui de mes frères. En effet, j’ai eu « la chance » de grandir
en banlieue parisienne, au sein d’une population ultra cosmopolite. Je dis
chance parce que cela m’a donné par la suite, j’en suis persuadé, une ouverture
d’esprit.
L’histoire
familiale de Tgh est tout aussi chargée. Il a grandi dans une cité que les
politiciens qualifieraient de difficile, pas très loin de chez moi. Son
grand-père était résistant pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Son père, lui, a
toujours eu une vision très tranchée sur la politique française, vu qu’il
faisait partie d’un mouvement « anar ». Accessoirement, c’est, aussi, un fidèle
lecteur du Canard enchaîné. Avec sa mère, Tgh, alors âgé de cinq ans,
déchirait les affiches du Front National. Son militantisme ne date pas d’hier.
C’est la
combinaison de ces deux histoires familiales fortes qui a crée l’identité d’Idayam.
Le groupe est donc métissé et engagé à la fois. Au sein d’Idayam, je suis le
rappeur, j’écris aussi la majorité des articles du site
www.idayam.net et je me prête avec beaucoup
d’intérêt à l’exercice de l’intervieweur. Dans ma vie, on va dire personnelle,
je suis travailleur social en fin de formation. Quant à Tgh, il est le DJ du
groupe, il pose l’ensemble des scratch d’Idayam et prend en charge le mixage des
morceaux. Il s’occupe également de la partie technique du site.
Sheiks
(Idayam) : Pour la petite
anecdote, Tgh et moi, on est né à un mois d’intervalle dans le même hôpital. On
s’est connu cependant beaucoup plus tard, c’est un pote du lycée qu’on avait en
commun qui nous a mis en connexion.
Vu qu’on était des
passionnés de Hip Hop et qu’on faisait chacun de la musique de notre côté,
j’étais à cette époque dans un groupe de rap appelé « La Faction » et Tgh, de
son côté, évoluait dans cinq groupes différents, il a sorti deux compilations
en auto production (Get the real hip hop, vol. 1 & 2). On s’est donc
rencontré, et on a échangé pas mal sur la musique et sur nos influences. Puis
Tgh a intégré mon groupe de l’époque. On a formé Idayam, après avoir quitter
respectivement « La Faction » (groupe qui n’existe plus aujourd’hui).
« Idayam » veut
dire cœur en langue tamoule. Pour nous, le cœur est le dénominateur commun de
beaucoup de choses, du sentiment amoureux, du sentiment de révolte, de rage, de
tristesse… il y a un côté spontané dans la démarche. Et cette spontanéité, elle
est au cœur de notre musique.
-
IR
: Musicalement, vous
avez choisi le rap, mais y avez - naturellement, faut-il peut-être dire -
associé
quelques composantes mélodiques, instrumentales, parfois rythmiques,
d'influence indienne.
Pouvez-vous expliquer comment vous concevez et composez
votre musique ?
Sheiks
(Idayam) : Le métissage
culturel que j’incarne (français d’origine indienne) transparaît et alimente
logiquement notre rap, notre musique. Le rap m’intéresse seulement quand il
s’adapte à la personnalité et à l’histoire d’un rappeur, quand c’est l’inverse,
à mes yeux, le rap n’a aucun intérêt. Concernant la composition d’un morceau,
généralement, on a le texte avant d’avoir l’instrumental. On travaille beaucoup
avec des personnes satellitaires au groupe, à savoir, Etiket 0 qui est beatmaker
et Artsun (bassiste, guitariste). Jusqu'à présent, on a soumis des samples
(souvent issus de musique indienne) à Etiket 0 et Artsun qui proposent, par la
suite, arrangements et accompagnements au sample de base. Toutes les
transactions de sons se font via le net vu que nos deux acolytes se trouvent
dans le sud de la France. La distance n’a jamais été un frein à notre
collaboration. On adore bosser avec eux et en général, on est très fidèle aux
personnes qui nous ont accordé leur confiance.
Sheiks
(Idayam) : J’aime bien la
musique quand elle titille ma sensibilité ou mon intellect. Sinon j’ai été bercé
aussi bien par la musique d’Illairaja (grand compositeur de musique pour films
indiens) que par le funk (que mes frères écoutaient à longueur de journée). Tgh,
lui, a été bercé par les grands artistes de la chanson française que sont Brel,
Graeme Allwright, Brassens, Ferrat, Ferré…Il s’est mis très tôt à écouter du rap
(américain comme français), d’ailleurs, il a toujours le vinyle de Benny B dans
ses bacs (rire). La soul est un style musical qu’il affectionne beaucoup.
Moi, j’écoute
beaucoup de choses et pas forcément de tout comme beaucoup le prétendent.
J’écoute un style de musique selon mon humeur, selon le moment de la journée (la
nuit par exemple, j’adore écouter de la trip hop ou du jazz). Dans les
transports en commun à Paris, ça va être plus du rap.
Concernant les
artistes qu’on apprécie, on adore particulièrement la musique de Nitin Sawhney
qui est vraiment une référence absolue pour notre groupe. Asian Dub Foundation,
on aime beaucoup aussi, d’ailleurs on a passé toute une après-midi avec certains
membres du crew, on a pas mal de points en commun avec eux, ne serait-ce que
pour l’engagement et l’indianité. Susheela Raman est une artiste qui déchire
bien dans son genre.
En rap, on salue
la démarche du rappeur Kwal. « La Rumeur » me parait un groupe incontournable
notamment pour la qualité de leurs textes. Pour une liste, un peu plus
exhaustive de nos influences, je t’invite à te rendre sur notre my space/idayam.
-
IR : Le rap, originellement
- même s'il a pu se dévoyer souvent vers des orientations commerciales - est
aussi une forme d'engagement, socialement marqué par des origines noires
américaines ou, en France,
par les communautés immigrées d'Afrique, du
Maghreb... Vous sentez-vous proches de telles
"communautés" ? Ces racines du rap
correspondent-elles parfaitement à vos aspirations ?
Sheiks
(Idayam) : Comme tu le
soulignes, à juste titre, le rap tend principalement vers des orientations
commerciales. Cependant il ne rencontre plus (à quelques exceptions près, Booba
et Diam’s) l’énorme succès qu’il a connu pendant la période de 1998 à 2000. Le
succès de certains acteurs de la scène rap tenait juste au fait qu’ils étaient
massivement matraqués sur les ondes d’une certaine radio (Skyrock) que vous
devez sans doute connaître à la Réunion. Aujourd’hui, cette visibilité
médiatique ne suffit plus.
Pour en revenir à
la question, hormis le fait que j’ai grandi dans un quartier populaire et que la
bande originale du quartier à l’époque c’était les morceaux du groupe de rap
Ministère Amer. Il y a d’autres choses qui m’ont séduites dans le rap.
Avant tout, je me
suis approprié cet outil d’expression à une époque (vers '97) ou j’avais besoin
d’évacuer certaines choses. Le rap a eu pour moi une vertu thérapeutique et m’a
permis d’extérioriser des contenus refoulés.
D’autre part, on a
beaucoup craché sur le rap, en disant notamment qu’il était responsable des
émeutes de 2005, mais pour moi, le rap m’a permis de reprendre des études.
Notamment en changeant mon rapport à l’écriture, j’ai alors appris à être
rigoureux et exigent vis-à-vis de l’écrit. Et bien sûr, ce sont des qualités qui
sont forcément valorisées quand tu fais des études. Là, par exemple, je viens de
boucler un mémoire de recherche et j’ai procédé, à peu près, de la même manière
que quand je rédige un texte de rap. Dans les deux approches, on est à la
recherche d’un certain esthétisme.
Pour en revenir au
format rap, il me permet de rédiger des textes concis mais très denses et
percutants à la fois. C’est un style d’écriture où on va à l’essentiel qui me
convient parfaitement. Idayam, c’est le primat de l’écriture sur la forme rap.
L’écriture est centrale et le rap n’est qu’un texte interprété et adapté à une
instru la plupart du temps hip hop.
Je me sens
naturellement très proche des communautés immigrées d’Afrique et du Maghreb.
D’une part, parce que j’ai grandi avec des personnes issues de ces communautés.
D’autres part, parce qu’il existe beaucoup de similitudes entre nos cultures
respectives, notamment en ce qui concerne le poids des traditions.
On est également
sujet à cette problématique des enfants issus de la deuxième génération, à
savoir le fait d’être partagé entre deux cultures parfois difficilement
conciliables, le fait de pas être considéré comme français alors que l’on ne
connaît que la France… De plus, pour le flic ou le facho de base, je suis plus
assimilable à un noir qu’à un français dit de souche.
-
IR : Vos cinq premières
chansons sont assez variées dans leur inspiration, mais on y retrouve
nettement
cet engagement social, voire politique, marqué d'une certaine amertume, voire de
pessimisme : est-ce exact ?
Sheiks
(Idayam) : La thématique
principale du maxi, à un morceau près, concerne la contestation, et cette
dernière s’inscrit rarement dans la joie et l’allégresse (ou alors, il faut
vraiment être très doué à l’instar du groupe Zebda pour lequel on a beaucoup
d’admiration).
Pessimistes, ouais
peut être, quand je vois que l’on donne toujours autant de crédit médiatique à
des discours fascisant (cf. les propos de monsieur Sarkozy). J’estime que ça n’a
rien de positif, sans parler des galères quotidiennes, souvent gratuites dont on
peut faire l’objet.
Tout ça
conditionne notre façon de faire de la musique. En ce sens, il est vrai, on
n'est pas loin de ressentir une certaine amertume.
Malgré cela, si on
prend notre démarche dans son ensemble, je pense qu’elle est globalement
positive, en effet, les cinq morceaux du maxi ont été un support pour échanger
avec des personnes qui ne pensent pas forcément comme nous. D’autres part,
certains m’ont dit avoir été très touchés par les textes d’Idayam. Une personne
qui avait perdu un proche par suicide m’a interpellé pour me confier que le
morceau « Choix 2 vies » lui a fait beaucoup de bien.
Sheiks
(Idayam) : « Pouretchi » est
un mot tiré du tamoul et voulant dire « se révolter ». Se révolter contre le
néo-libéralisme obscurantiste qui a sans doute fait plus de victimes que
l’intégrisme religieux.
Concernant les
intentions du morceau, je te rassure, elles restent bien entendu artistiques, il
s’agit de l’expression d’un sentiment personnel. Cette chanson n’a pas pour
objectif de rassembler les gens, en vue d’un changement du système. On n'a pas
cette prétention-là et c’est tout simplement impossible et surtout naïf de
projeter ça pour un morceau.
De plus le terme
« révolution » est tellement galvaudé qu’il est même repris par certains
politiciens (qui font, par définition, partie intégrante de l’establishment).
Bayrou, par exemple, parle de révolution pacifique. Ça n’a pas beaucoup de sens.
Sheiks
(Idayam) : Pour nuancer ce
propos, je dirais que le gouvernement est en partie responsable du
communautarisme. Quand on ne favorise pas la mixité sociale dans certains
quartiers populaires, on encourage de manière sournoise une forme de
communautarisme, étant donné que l’immigration est intiment liée à la précarité.
Pour preuve, on n'a jamais vu des migrants débarquer bourrés de tunes. Les
immigrés, et je n'apprends rien à personne, pour la plupart, viennent en France
pour des raisons financières. Il n’y a rien de plus légitime à cela, surtout
qu’il s’agit de personnes provenant des anciennes colonies françaises. Le
traitement de l’immigration en France est scandaleux. Je pense qu’une majorité
de Français n’a pas encore saisi ce que l’immigration peut induire chez une
personne. C’est véritablement douloureux de quitter son pays, sa famille, tout
son passé, son identité (en quelque sorte). Sans parler de l’accueil chaotique
que leur réserve la France (racisme, boulots contraignants, précarité des
conditions de vie…). Dans un tel contexte, les coutumes et les traditions sont
vraiment un moyen pour les migrants de résister et ne pas péter les plombs, il
s’agit d’un mécanisme de survie psychique.
Si, aux yeux du
gouvernement et, par extension, des institutions, l’intégration signifie
insidieusement « désintégrer sa culture d’origine », alors, oui, le
communautarisme est encouragé étatiquement. La situation est encore plus
dramatique pour les enfants de la deuxième génération d’immigrés qui ont
toujours vécu en France. Ces derniers sont victimes de discrimination à
l’embauche. Ce qui incite un certain nombre d’entre eux à monter leurs
entreprises et s’enfermer dans leur communauté. Le communautarisme est le fruit
du racisme. Il y a, toutefois, une différenciation à faire sur ces deux notions.
L’une peut être légitimée car elle constitue un mode de survie, l’autre est tout
simplement indéfendable.
Peut être que
mettre en avant le communautarisme, c’est une manière pour l’État et les médias
de ne plus êtres dépositaires du monopole du racisme, vu que dans la pensée
collective, le communautarisme est considéré comme un racisme à l’envers.
Sheiks
(Idayam) : Mon expérience
personnelle me fait penser que les dangers sont, effectivement, présents en
France. En effet, je pense qu’il y a ponctuellement des tensions entre les
communautés. Moi-même, j’ai été arbitrairement agressé car faisant partie de la
communauté indienne, alors en froid avec une autre communauté.
Mais bon, ça m’est
arrivé une fois dans ma vie. Je pense sincèrement qu’il y a plus de signes
d’unité entre les personnes d’origines différentes qu’il n’ y a de
communautarisme. Pour preuve, à part ma famille, je fréquente très peu d’Indiens.
Sheiks
(Idayam) : Moi, j’estime que
j’ai pas de temps à perdre avec des personnes qui ont une vision ethnocentrique
des choses, les personnes qui partagent mon quotidien, sont en majorité ouvertes
d’esprit. Et nos différences ne sont jamais source de conflit. Bien au
contraire.
-
IR
: "Gare du Nord" semble
avoir des intentions plus sociales que politiques, et évoque un malaise
identitaire qui repose sur un rejet à la fois de l'Inde et de la France, ainsi
que sur un conflit de
générations. Pouvez-vous nous expliquer comment, au
quotidien, est vécu un tel malaise ?
Sheiks
(Idayam) : Ça se traduit par
des clashs quasiment systématique avec mes parents quand on aborde certains
sujets qui pourraient réinterroger la culture indienne ; pour eux, cela
est considéré comme un blasphème, même si certaines pratiques paraissent infondées.
Je refuse le formatage et la culture indienne peut opérer une forme de
conditionnement. Le conflit est finalement synonyme de résistance. Plus il y
aura des désaccords, plus je resterai sur mes position et donc en phase avec
moi-même.
Ce malaise
identitaire, évoqué dans « Gare du nord », a fait ses premiers pas durant
l’adolescence, période pour moi confuse ; en effet, j’avais des difficultés à
assumer ma position de Français d’origine indienne. Cette contradiction
permanente peut être source de conflit interne. Quand tu vis en France, la
culture française représente un monopole dont il est difficile de s’extraire.
Parallèlement à ça, t’as beau être d’origine indienne, ta vie ne s’organise pas
autour de l’Inde et encore moins autour de ses coutumes et de ses traditions. En
ce qui me concerne, je me suis construit à travers le paradoxe (je suis
quelqu’un de très timide mais pourtant je m’expose sur scène, je suis indien
mais français, « intégré » mais à la fois rejeté…).
Sheiks
(Idayam) : La double culture
peut effectivement constituer une richesse, tout dépend comment elle est
intériorisée par l’individu. Cela dépend des ressources et des potentialités de
la personne, on n’est pas tous égaux devant ça. Pour d’autres, le métissage
culturel peut carrément être pathogène. Ce qui est encouragé dans une culture
est condamné dans l’autre culture et inversement. En analyse systémique on
appelle cela « les messages paradoxes », ce qui est particulièrement
déstructurant pour un sujet et entraîne parfois la pathologie mentale.
Sheiks
(Idayam) : D’un point de vue
individuel, ce n’est déjà pas toujours évident d’être en accord avec soi-même,
alors imagine avec l’ensemble d’une communauté. Toutefois, si je devais
m’exprimer à ce sujet, je dirais, sans avoir autant de pertinence et de crédit
qu’une étude ethnologique (puisque que je me base sur mon expérience personnelle
et celle de mes proches) qu’il y a au sein de la communauté franco-indienne une
typologie de trois sous-groupes, que j’ai identifiés de la manière suivante
les blédards, les bountys et les génies :
- Les blédards
vivent en
France cependant ils ont l’air de psychologiquement vivre en Inde (ils ont la
télé câblée, ne vont qu’à la Gare du Nord (quartier indien de Paris), ont des
amis uniquement indiens…). Les blédard vivent à travers ce que je qualifierai de
« fantasme indien », sorte d’affirmation identitaire qui constitue, en quelque
sorte, un mécanisme de défense notamment quand la France, ses institutions les
renvoient à leur (supposée ou avérée) différence et font parfois preuve d’une
attitude discriminatoire à leur égard.
- Les bountys quant à
eux ont le sentiment qu’ils ne sont que français, ils sont souvent dans le déni
et le rejet de la culture indienne. Ils optent donc pour l’assimilation et
considèrent, pour les plus radicaux d’entre eux, que la colonisation de l’Inde
fut une bonne chose. Ils semblent, toutefois, ignorer que cette attitude ne les
protége en rien du racisme vu qu’ils sont identifiés par autrui comme Indiens.
- Les génies. Ces
derniers tirent intelligemment profit des deux systèmes culturels qui leur sont
proposés et ils sélectionnent, de manière subjective, les meilleurs aspects des
deux cultures. Ils font, généralement, preuve d’une impressionnante qualité
d’adaptation et d’une grande ouverture d’esprit. Ils emportent l’adhésion et le
respect de la communauté indienne, aussi bien que « la communauté française ».
J’ai
volontairement généralisé les aspects de ces trois sous-groupes. Cette typologie
de la communauté indienne de France ne relève pas de la science exacte et peut
sembler caricaturale ; elle constitue seulement un outil de compréhension.
-
IR : Toujours dans "Gare
du Nord", une voix féminine dit "Je ne veux pas que vous fassiez de l'Inde un
parc à thème". Je suppose que vous vous êtes rendus en Inde : avez-vous ressenti
ce danger ? L'Inde, qui
entre de plus en plus dans la société de consommation,
est-elle en train d'y perdre son "âme" ?
Sheiks
(Idayam) : « L’âme indienne »
reste à définir. Les représentations que l’on peut se faire de l’Inde peuvent
sensiblement différer d’un individu à l’autre, compte tenu de son parcours, de
ses influences et de sa personnalité. Je ne peux pas répondre de manière
tranchée à cette question. Le pragmatisme est de rigueur.
Cependant, je
pense que l’Inde pour exister (culturellement) aux yeux du monde a besoin de
visibilité et cela passe incontournablement par l’aspect mercantile.
De plus, si
l’influence de l’occident permet de combattre la domination masculine (dix
millions de filles tuées par leurs parents en vingt ans), si elle permet de
rompre avec le système de caste (qui maintient les inégalités)... je considère
alors qu’elle n’a pas que des points négatifs. Toutefois, je reste opposé à
toute forme de colonisation, y compris les plus insidieuse et non-violentes
comme la colonisation culturelle (par exemple l’influence de l’Amérique sur le
reste du monde).
L'Inde, entre de plus en plus
dans la société de consommation, ça profite à qui finalement ? Aux Indiens et
par extension, directement à l’Inde. Faut-t-il s’en plaindre ? Je sais pas.
Sheiks
(Idayam) : Je connais des
personnes qui ont connu la prison et il est vrai qu’une personne très chère à
mes yeux a tenté de mettre fin à ses jours. Ça bien sûr, je n’étais pas obligé
de le dire…
Quand j’évoque des
choses très personnelles, j’essaye, autant que faire se peut, de ne pas faire un
copier/coller de la réalité. Je transforme cette réalité pour, d’une part,
préserver l’anonymat de ces personnes et d’autre part, rendre le propos, le
message universel.
Sheiks
(Idayam) : On ne va plus
démarcher les labels indépendants, on l’a suffisamment fait dans le passé, on
n'a jamais eu une once de retour. En même temps, je trouve ça normal, compte
tenu de ce qui marche auprès du grand public. Le rap reste, pour nous, une
passion. Les mecs qui arrêtent le rap parce qu’ils ne vendent pas, on trouve ça
déplorable. Par ailleurs, on trouve ça ridicule d’orienter sa plume pour flatter
un directeur artistique ou bien un auditoire ou devrais-je dire des
consommateurs.
Le fait d’être
signé nulle part ne nous empêche pas de subsister en tant que groupe et d’avoir
une actualité très dense.
On va continuer
de privilégier l’outil Internet en continuant d’exposer quelques-uns de nos
morceaux sur notre site (la V2 est en préparation).
Le clip de « Gare
du nord » a été tourné l’été dernier et devrait être mis en ligne bientôt.
La mise en ligne
de notre « my space », avec quatre morceaux inédits, devrait elle aussi avoir
très prochainement lieu.
La prochaine webtape devrait suivre dans la foulée, proposant une thématique bien précise
pouvant paraître comme légère mais je vous rassure le fond n’a pas disparu (et
d’ailleurs, ce n’est pas un mal de s’ouvrir à des choses plus légères).
De plus, il est à
préciser que le groupe Idayam fait partie d’une entité plus grande nommée
« Anonymes citoyens », constituée des rappeurs Dark Spirit, Dockta, Shanabi et
Dafefx. Avec l’arrivée d’Anonymes Citoyens (Anci) dans la vie d’Idayam, il a
fallut reconsidérer les orientations du groupe Idayam. Idayam va donc devenir un
espace d’expression où je vais exclusivement évoquer ma position de français
d’origine indienne, où je vais également faire tout un travail sur mes racines.
Anci, c’est une
démarche groupale, on est plusieurs à réfléchir sur les concepts des morceaux,
ça donne parfois lieu à des concessions mais surtout à des débats riches et
stimulants. Plus on est nombreux, plus on partage et donc plus on rit. Dans Anci,
j’ai alors pris le parti de ne pas faire référence à mon indianité.
Les deux démarches
sont intéressantes et complémentaire pour moi.
On va également se
préparer à remonter sur scène, on ne sera pas seuls, on va naturellement ramener
les Anonymes Citoyens avec nous.
Sheiks
(Idayam) : On n'y a pas pensé
d’emblée mais si tu organises ça, je pense que ça devrait pouvoir se faire
(rire). Plus sérieusement, on n'a pas de contact particulier basé à la Réunion.
Mais bon, si on nous sollicite pour un événement et si on a de l’argent pour le
billet d’avion, le temps pour venir, ça ne posera vraiment aucun problème.
Sheiks
(Idayam) : Je connais très
peu de choses de la Réunion hormis le fait que c’est une contrée merveilleuse
aux multiples reliefs (volcan, plage, forêt tropicale…). Tgh comme moi, on est
très sensibles à la beauté des paysages. J’ai un cousin et sa famille qui ont
vécu deux ans là bas, je n’ai pas encore eu l’occasion de pointer le bout de mon
nez. C’était pourtant prévu (rire).
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