Interview
- IR : Dominique Ramassamy, pourriez-vous tout
d'abord vous présenter aux visiteurs du site Indes réunionnaises ?
DR : Je suis né à lîle de la Réunion et jy
ai fait ma scolarité, ainsi quune partie de mes études universitaires. Très
intrigué par la beauté de laventure scientifique, qui a réussi à changer la face
du monde en si peu de temps, je me suis nourri de différentes sources, des mathématiques
à la médecine. Au final, je suis entré dans la fonction publique et je réside en
métropole depuis presque vingt ans.
En 1979, jétais encore étudiant à la Réunion. Motivé par une
recherche spirituelle libre, jai vécu une fantastique expérience intérieure, qui
ma fait découvrir la présence du cur subtil (ou chakra du cur).
A partir de là, je lai intégré à ma vie quotidienne, en essayant de mieux saisir
son sens et son fonctionnement. Aujourdhui, jai souhaité partager cette
expérience originale
- IR : Votre dernier livre s'intitule Coeur
subtil et intuitions naturelles ; vous y écrivez notamment : "le chakra du
coeur est une porte d'accès à des merveilles en nous. Un espace réel, un continent
intérieur, évidemment étranger aux habitudes d'un monde moderne entièrement tourné
vers l'extérieur, le matériel, le superficiel de l'immédiat" (p.91).
Quel est donc ce "continent intérieur"
dont vous parlez ?
DR : Dans la société actuelle, nous vivons généralement
dans une certaine superficialité desprit, alternée de moments plus profonds,
venant de « lintérieur ». Lorsque nous en prenons conscience, alors
nous pouvons diriger notre énergie vers ce lieu inhabituel et découvrir sa richesse
insoupçonnée : il est tellement vaste, que jai choisi le terme de
« continent » - et plus loin « dunivers » - pour le
décrire.
Lintérieur du coeur nest pas lémotion (ce qui est
une erreur habituelle) mais lâme, le Moi, cest-à-dire notre être
véritable, grandiose et magnifique. De plus, lespace qui englobe cet univers
est essentiellement lAmour. Un Amour dont nous avons tout à découvrir
Si les
yeux sont les organes de la vision, les oreilles ceux de laudition, alors le chakra
du cur est lorgane dévolu au Souffle de lAmour. Telle est notre
constitution naturelle.
- IR : Faut-il interpréter votre vision critique du "monde moderne" comme
un rejet radical de celui-ci et une incitation au repli sur soi ?
DR : La critique du monde moderne vise à identifier sa part dillusion, qui nous
fait passer à côté de nous-mêmes : lavoir du matériel et la vanité
du paraître (du statut social), au détriment de lêtre
Cela dit, je
ne propose pas du tout le repli sur soi au sens dune fuite. Au contraire, je
suggère de chercher laide du Soi ! Car nos ressources spirituelles sont
toujours prêtes à nous aider à faire face aux difficultés de la vie moderne. Les gens
à qui sadressent mes ateliers à Paris, apprécient que je partage leur quotidien
brassé de stress, et réalisent quils peuvent intégrer cet enseignement
immédiatement, de façon simple, en espérant améliorer leur cheminement en terme de
bien-être, de paix, de joie, de bonheur, et daction constructive.
- IR : "Conduire sa vie par
soi-même... s'affranchir de l'influence de la société... mener sa barque sans
s'inféoder à une voie religieuse ou spirituelle" (p.151), tel est l'objectif de
l'apprentissage que vous proposez lors de vos stages : voici semble-t-il, une nouvelle
fois, une revendication de la liberté personnelle, voire de l'individualisme, associée
à un surprenant rejet du religieux et du spirituel.
Les voies religieuses et spirituelles sont-elles donc incompatibles avec la
liberté ? Celle-ci constitue-t-elle le bien suprême ?
DR : Je serais désolé que ces paroles soient prises comme
des critiques à légard des voies religieuses et spirituelles, car je les respecte
sincèrement. Je considère en effet que toutes les voies sont bonnes pour celles et ceux
qui sy sentent bien.
Jai seulement voulu dire que ce patrimoine merveilleux (du coeur
subtil) nous est tellement naturel et intrinsèque, quil nest nul besoin
de souscrire à une voie religieuse ou spirituelle codifiée pour y atteindre. Par
ailleurs, les participants qui viennent à mes stages peuvent être chrétiens, musulmans,
juifs, hindous, bouddhistes, athées, cela ne pose aucune difficulté et nous ne parlons
même pas de leur pratique personnelle. Les gens apprécient dailleurs cette
neutralité respectueuse, et réalisent quil sagit tout simplement de notre
héritage universel.
Parallèlement, dans un passage du livre, je cite les références implicites
au coeur subtil que lon trouve dans les grandes religions, à travers les
paroles de Jésus-Christ, de Mahomet, de Bouddha, de Krishna. Car tous ces grands Initiés
ont évidemment développé et utilisé cette faculté naturelle qui sommeille en nous.
En conséquence, pour répondre à votre question, la liberté nest pas
le « bien suprême », mais une alliée précieuse pour y atteindre avec
simplicité
Et, à y regarder de près, nous sommes rarement libres, tant nous avons
été conditionnés par la famille, léducation, les valeurs de la société, la
pensée dominante.
- IR : Que sont ces intuitions naturelles
évoquées dans la seconde partie de votre titre ?
DR : Jai choisi le terme de « naturelles »
pour les distinguer des intuitions forcées, un peu divinatoires, où lon cherche à
deviner une carte cachée ou une pensée de lautre, et autres tentatives. Les
intuitions que jévoque sont naturelles, si bien que nous les recevons en
permanence : elles viennent de différentes parties de notre conscience, parfois
sombres, parfois lumineuses. A propos de ces dernières, il nous reste à les identifier
pour nous en servir au mieux dans la vie quotidienne.
En particulier, il existe des intuitions nayant rien à voir avec
lintellect et le mental, contrairement aux normes de la société. En effet, le
chakra du coeur engendre des intuitions spécifiques, qui nont également rien à
voir avec les émotions. Ce sont ce que jappelle des « intuitions de
vie », car le coeur a le privilège dêtre relié à lâme et au
Moi, qui détiennent les clés de notre cheminement, vers un bonheur accessible.
Là encore, par ignorance de nous et de nos facultés latentes, nous passons
à côté. En permanence, je vois nombre de gens recevoir des messages très clairs en
provenance de leur âme, de leur Moi. Sur le coup, ils sentent quil y a un souffle
magnifique, mais bien vite limpression sémousse au fil des jours, ou
seffrite face à la critique des autres. Alors ils renient volontiers leur intuition
lumineuse, et nosent plus sen servir pour conduire leur vie. Dès lors, un
mal-être sinstalle volontiers : par exemple, la personne a préféré une vie
rangée selon les critères de la société, mais une certaine frustration sommeille en
elle, et risque fort déclater un jour. Car lâme chercher à sépanouir
et non à sendormir.
Nos intuitions naturelles peuvent se manifester sous différentes formes.
Cependant, les rêves représentent le moyen le plus habituel pour recevoir des messages
intérieurs
Le livre propose une variété dexemples et témoignages, invitant
chacun à reprendre confiance en lui, en dépit dune société ahanant la
supériorité du « rationnel », sans trop en saisir les limites et les
faiblesses
- IR : Vous avez suivi une formation scientifique, de celles qui souvent conduisent,
dit-on, à la construction d'un esprit rationnel et cartésien ; pourtant, vous semblez
considérer avec la plus grande méfiance le "mental",
l'"intellectuel", le "raisonnable" ("osons trancher les liens du
raisonnable", écrivez-vous page 92) : que faut-il en penser ?
DR : Tous nos outils sont bons lorsquils restent à
leur place. Or, la société actuelle, influencée par lactivité scientifique,
donne la prééminence au mental-intellect. Mais, justement, il existe plusieurs niveaux
de mental : le mental supérieur, le mental illuminé, le Surmental. Alors que la
version qui domine actuellement est plutôt le mental ordinaire, qui ne voit pas
très loin, et na guère dinspiration. Dans mon parcours, je me suis
passionné pour lépistémologie, cest-à-dire la critique des sciences, où
lon voit bien les limites et les erreurs troublantes dun mental livré à
lui-même. (Jai publié en 2001 un livre intitulé Science et médecine :
laudace dun nouveau départ ! )
Cest en saffranchissant du carcan étroit du mental ordinaire
que lon découvre la grandeur du mental supérieur ! Voilà ce que
jessaie de dire à ce sujet. Et les méditations du cur sont un moyen simple
de passer outre les barrières de la conscience ordinaire pour découvrir un horizon de
perspectives fascinantes.
Le « raisonnable » relève du même risque de limitations :
on nose même plus croire en soi (ni en Soi), en ses capacités inédites, en une
autre manière de penser le monde, la vie, lexistence ! Pourtant, il suffit de
regarder les siècles et millénaires : toutes les avancées majeures de
lhumanité ont nécessité de laudace, pour sortir du
« raisonnable ». Alors, faisons attention aux pièges des mots, qui deviennent
des prisons gentillettes
- IR : Pour passer à un sujet sensiblement
différent, vous écrivez dans votre ouvrage que c'est seulement vers l'âge de vingt ans
que vous vous êtes intéressé à votre culture ancestrale, indienne et hindoue :
pouvez-vous nous dire quels étaient auparavant vos rapports à cette culture ?
DR : Auparavant, à lîle de la Réunion, nous étions
pris dans lillusion de la supériorité de lOccident, avec ses valeurs et
surtout ses canons ! De plus, la société était très assimilationniste : on
était mieux vu en parlant de Voltaire que de Gandhi et en partageant les pratiques
dominantes... Si bien que lon voyait lhindouisme, cest-à-dire
essentiellement les rites malabars, comme des survivances dun passé à bout
de souffle.
- IR : A partir du moment où vous vous y êtes
intéressé, qu'est-ce que cela a pu vous apporter ?
DR : Jai découvert quil y avait une
profondeur majestueuse derrière des rituels semblant folkloriques. Par exemple, en
écoutant mon père relier la marche sur le feu à lhistoire du Ramayana,
épreuve où Sita veut montrer sa pureté à son époux, en traversant les flammes,
intacte.
- IR : Quelle est aujourd'hui votre vision de
la culture indienne ?...
DR : A laune de ses dix ou vingt mille ans
dexistence, lInde a préservé un patrimoine exceptionnel, que lon nomme
le Yoga, résultant dune observation minutieuse de lintérieur de la
conscience. Après des siècles de domination de la civilisation européenne, ne croyant
quen ses valeurs et les imposant au monde entier, la pensée de lOrient peut
aujourdhui apporter quelque chose aux espérances de lhumanité, en fécondant
une réflexion plus universelle.
- IR : ...Et de la culture
réunionnaise ?
DR : Plus notre monde se tord de racisme et
dextrémisme religieux, plus lexpérience réunionnaise apparaît comme un
message fort et authentique, ayant réussi à rassembler diverses ethnies et religions sur
un si petit territoire. Nous pouvons vraiment être fiers dêtre Réunionnais.
- IR : A la page 55 de votre livre, vous
insistez sur l'importance de la Gîta à vos yeux : qu'en est-il précisément ?
DR : Je ne sais pas si jai un texte majeur ou
« préféré ». Mais il est vrai que dans un monde dominant inspiré par les
enseignements de la Bible, la Gîta, qui est un texte tellement dense et profond,
pourrait aider à un renouvellement de la pensée philosophique et spirituelle. Les
siècles passés nous ayant montré un Occident chrétien tellement désireux du fruit de
ses actions, que ce soit en termes de profit, dexploitation, ou de service pour
« Dieu », que laction désintéressée - préconisée par la Gîta
- laisse espérer un autre genre de société.
- IR : Un de vos chapitres s'intitule, de
façon presque provocante ou paradoxale : "Le yoga n'appartient pas à l'Inde".
Que voulez-vous dire ?
DR : Tout comme les lois de la mécanique
nappartiennent pas à lAngleterre, même si Isaac Newton en est le fondateur.
Tout comme la biologie nest pas réservée aux Français, même si Claude Bernard et
Louis Pasteur en sont les pères historiques. Ces gens illustres ont découvert une
connaissance universelle, relevant du patrimoine de lhumanité. Voilà ce que je
veux dire pour lInde et le Yoga. En préservant ce précieux savoir au long des
milliers dannées, lInde a accompli son rôle et restitue sa richesse à
lhumanité daujourdhui.
- IR : Vous avez, pour la rédaction de votre
livre, délibérément opté pour un style assez léger, teinté d'un humour sans
agressivité et basé sur un apparent dialogue - en fait sans dimension contradictoire :
une sorte de monologue à plusieurs voix.
Pourquoi ce choix de la légèreté sur des sujets
finalement profonds ? Ce choix du rejet de la polémique, sur des thèmes qui pourraient
malgré tout s'y prêter ?
DR : Jai bien souvent constaté que les gens mettaient
trop de distance entre laccès au merveilleux et leur capacité. De même,
écrasés par une éducation dans la culpabilité, ils se sentent trop indignes
pour que louverture à lAmour savère aussi simple et naturelle. Enfin,
la sacralisation du contact avec cette partie de nous quon appelle lâme ou le
Moi profond, a également contribué à créer un fossé excessif. Et tout cela nous prive
de notre trésor intérieur, de notre jouissance du bonheur, de notre aspiration à la
paix, à lAmour.
Voilà pourquoi jai choisi un ton léger, des conversations enjouées.
Afin que chacun puisse se sentir proche de cette Beauté qui réside en lui. Que tout ce
processus lui paraisse familier et accessible de façon simple.
Quant à la polémique, elle me semble inutile. Je nai pas de critiques
à faire, ni de jugements sur ce que font les autres, mais seulement un bonheur à
partager avec celles et ceux qui le voudront.
- IR : Quels sont désormais vos projets ?
Envisagez-vous un avenir réunionnais, ou les liens sont-ils définitivement distendus ?
DR : Mes projets immédiats, relatifs à cet ouvrage, sont
de transmettre cette expérience de vécu en matière de coeur subtil et de
« yoga intérieur », ce que jai commencé à faire ici, en Europe.
Pour mon épouse et moi, les liens ne seront jamais distendus avec notre île
natale. Nous sommes tellement heureux dy revenir séjourner de temps à autre, pour
nous plonger dans la magie de ses reliefs et bénéficier de ses énergies aussi subtiles
que vivifiantes !
Sabéra et Dominique Ramassamy
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