Interview
IR : Monsieur
Daoudjee, pouvez-vous tout d'abord vous présenter aux visiteurs du site "Indes
réunionnaises" ?
AID : J'ai
été médecin généraliste pendant trente ans et suis à la retraite
depuis 1996. Responsable dassociations musulmanes de Saint-Pierre depuis 1969 et
membre de lAssociation Musulmane de La Réunion depuis sa création. J'ai toujours
été impliqué dans la vie culturelle de lîle et de ce fait ai siégé au Conseil
de la Culture de lEducation et de lEnvironnement de la Région Réunion entre
1983 et 1996.
IR : Vous venez de publier
un livre consacré à la communauté indo-musulmane de la Réunion : quel en est, en
résumé, le contenu ?
AID : Le contenu du livre : en douze chapitres
le livre retrace succinctement lhistoire de La Réunion, du Gujarat (Etat de la
République Indienne), doù sont issus les "Zarabes" de lîle
de La Réunion, ainsi que lhistoire de leurs implantations dans lîle.
Sagissant des musulmans, deux chapitres sont consacrés à la religion islamique et
à lIslam réunionnais.
Sont ensuite évoquées lhistoire des Indo-Musulmans de Saint-Pierre et la saga des
grandes familles Gujaratis de la ville.
Deux autres chapitres traitent de la Mosquée Atyaboul Massâdjid et de la Médersa,
chapitres illustrés de magnifiques photos de Sulliman Issop, journaliste bien connu.
La dernière partie du livre est plus destinée à un public de musulmans et fait
uvre de mémoire avec un inventaire du patrimoine "waqaf" de la mosquée
ainsi quun inventaire des associations islamiques de Saint-Pierre.
IR : Quel(s) public(s)
avez-vous particulièrement visé(s) ? Qu'est-ce que, selon vous, cet ouvrage apportera à
ses lecteurs ?
AID : Le public visé par cet ouvrage est large et
concerne tant les musulmans que les non musulmans. Pour les musulmans il sagira
dune meilleure connaissance de la communauté depuis ses origines jusquà nos
jours ; pour les non musulmans ce sera la connaissance de cette composante
"zarabe" dans le "melting-pot" réunionnais.
Louvrage apportera aux lecteurs une vision globale de lIslam et de
lIslam réunionnais et, de ce fait, sera utile aux scolaires et aux lycéens qui
visitent régulièrement le lieu de culte de Saint-Pierre et leur permettra de mieux
appréhender la religion islamique.
Il apportera enfin aux visiteurs de la mosquée des explications agrémentées de photos
sur le sens de leur visite.
IR : Comment avez-vous
mené le long travail d'élaboration qui a abouti à ce livre, et quelles ont été vos
motivations pour entreprendre ce travail de longue haleine ?
AID : La rédaction de louvrage a été faite
essentiellement sur une motivation didactique pour mettre à la disposition du public
réunionnais un ouvrage succinct mais complet permettant de situer la communauté
"zarabe" de lîle. Elle a nécessité près de huit ans de
recherches et de travail, tant au niveau des archives départementales de la Réunion
quà travers la lecture des ouvrages sur lîle, sur les musulmans de
lîle et sur lIslam en général.
Le livre produit aussi des magnifiques calligraphies du grand maître A. Ghani Allani,
dorigine Irakienne, qui a laissé une marque de son passage à la mosquée de
Saint-Pierre en y traçant des calligraphies sur le Mihrab de la mosquée et sur les
portes dentrée.
Sont reproduits également des poèmes de Idriss Issop Banian, qui a gardé intact son
âme gujarati et des poèmes de Mortouza Hamed, ainsi quun magnifique texte en
créole réunionnais de Robert Gauvin qui lavait dit avec beaucoup démotion
sur les ondes de RFO réunion.
IR : Passons à quelques
questions sur cette communauté indo-musulmane qui constitue l'objet de votre livre...
Dans quelle mesure vous semble-t-elle avoir conservé et perpétué sa culture d'origine,
enracinée dans l'État de Gujarat ? Pouvez-vous donner un aperçu de ces traits culturels
tels qu'ils se manifestent aujourd'hui ?
AID : La communauté a conservé de ses origines tout
dabord des liens de fraternité qui réunissent tous les Gujaratis, mais aussi la
tradition culinaire avec le briani et quelques autres plats cuisinés à lindienne
et les samoussas.
Brianis et samoussas sont devenus des plats maintenant connus de tous les Réunionnais
quelles que soit leurs origines.
Malheureusement, la langue gujarati nest pratiquement plus en cours hormis chez les
indo musulmans chiites récemment arrivés dans lîle, venant de Madagascar ainsi
que chez les gujaratis hindous.
Les membres de la communauté "zarabe" se fondent de plus en plus sur le
plan culturelle dans le modèle mondialiste actuel ; seule persiste la pratique
vivace dun Islam ouvert et tolérant en étroite osmose avec lIslam sunnite
professé dans les médersas et universitsé islamiquse de lInde ou issus de
lInde.
IR : Vous semble-t-il que
puisse se dessiner un mouvement de réappropriation culturelle, concernant tel ou tel
aspect oublié des racines indiennes : langue, traditions vestimentaires... ? Un tel
mouvement est-il souhaité et vous paraît-il souhaitable pour la communauté z'arabe ?
AID : Il n'y a pas vraiment chez les
"Z'arabes", contrairement à ce qui se passe chez les Tamouls, de mouvements de
réappropriation culturelle, peut-être du fait que les "Zarabes" ont
toujours pu pratiquer librement leur religion, quils ont pu parfaitement se
structurer et quà partir du moment où leur identité islamique nétait pas
mise en cause, ils ont pu sassimiler avec facilité au mode de vie locale. Ainsi il
ny a pas de revendication culturelle spécifique de cette communauté, bien
quil reste à trouver des solutions à certaines réglementations récentes
(réglementation européenne concernant le sacrifice des bovins à loccasion de
leïd-el-kebir).
IR : Quel est votre point
de vue sur la situation de la communauté indo-musulmane au sein de la société
réunionnaise : son intégration passée et actuelle, ses perspectives d'avenir ?
AID : Lintégration des Indo-Musulmans au sein
de la communauté réunionnaise est un fait objectif. Si au départ la plupart étaient
commerçants, actuellement ils exercent dans toutes les activités économiques et
sociales de lîle médecins, pharmaciens, chirurgiens dentistes, infirmiers,
avocats, huissiers de justice, fonctionnaires de lEtat ou des collectivités locales
et régionales, responsables socio-éducatifs ou sportifs, représentants syndicaux ou
consulaires, etc
- beaucoup donc sinvestissent dans la vie active de la cité
et de lîle.
Un "Zarabe" est maire de la commune à lEntre-Deux, et pour nombre
dentre eux, lavenir nest plus le commerce mais bien limplication
dans toute les branches dactivité de lîle et dans tout le tissu économique,
social, culturel, sportif du pays.
Nombreux sont ceux qui maintenant vivent et travaillent en Métropole ; à linstar
de leurs ancêtres, ils sont eux aussi obligés de migrer à la recherche de situations de
travail.
IR : Quels sont, plus
spécifiquement, les rapports existants entre cette communauté z'arabe et d'une part, le
groupe malbar, originaire d'une toute autre région de l'Inde, d'autre part les quelques
familles de Gujaratis de tradition hindoue ?
AID : Concernant les rapport entre
"Zarabes" et "Malabars", il ny a rien de
spécifique ; la provenance du sous-continent indien de ces deux communautés
nintervient pas vraiment dans le tissage de liens particuliers. Cependant, de grand
événements survenant en Inde, catastrophes naturelles ou autres, entraînent une
collaboration de ces communautés pour des actions communes. A signaler cependant des
relations plus étroites entre les familles hindoues gujaraties et les
"Zarabes" du fait de la provenance de la même région et du partage
dune même culture dorigine.
IR : L'actualité
internationale a mis le Gujarat sous le feu des projecteurs depuis quelques mois en raison
des sanglantes émeutes qui y ont opposé musulmans et hindous ; quel regard portez-vous
sur cette triste situation... ainsi que sur les tensions qui deviennent critiques entre
l'Inde et le Pakistan ?
AID : La situation politique actuelle en Inde où un
parti extrémiste hindou est au pouvoir, tant au gouvernement fédéral quau
Gujarat, inquiète les musulmans qui étaient jusque là habitués avec les gouvernements
laïques daprès lindépendance à une cohabitation pacifique. Mais le
exactions et provocations vis à vis des minorités religieuses non hindoues
catholique et musulmans en particulier sont perçues comme très préoccupantes par
les "Z'arabes" de la Réunion, dautant que les situations de provocation
peuvent engendrer des réactions incontrôléés.
Larrivée des extrémistes actuels à la tête du gouvernement fédéral et à la
tête de certains Etats de lInde ne semble pas plaider en faveur de
lapaisement tant vis à vis des minorité que de létat voisin de Pakistan.
Lorientation culturelle prise par le gouvernement central de New-Delhi est tout à
fait à lopposé de lobjectivité scientifique ou historique et heurte les
intellectuels et universitaires hindous eux-mêmes (refonte des manuels dhistoire
occultant les périodes islamiques de lInde).
Dans louvrage il est reproduit un tableau représentant le Mahatma
Gandhi et le Pendit Nehru accompagné de nombreux militants de la lutte de
lindépendance, sur ce tableau on remarque au second plan la présence de
"Mawlana" Abdoul Kalam Azzad et de Abdoul Gafar Khan qui furent à leurs côtés
tout au long du combat pour la libération de lInde
ce temps me semble bien
loin en cette période sombre de lhistoire de lInde que nous vivons
actuellement.
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