Interview
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IR
: Inderjit Badhwar, French readers know your novel La Chambre des
parfums ("Sniffing Papa") : is it your first novel ? What did you write
before ?
Inderjit
Badhwar, les lecteurs français connaissent votre roman La
Chambre des
parfums : est-ce votre premier roman ?
Qu’avez-vous écrit auparavant ?
IB
: As a teenager I wrote
short stories for India’s English language Sunday papers. For 35 years
of my life I tried writing novels and then tore up the manuscripts
because they seemed imitative and I was unable to establish a style of
my own. Unable to muster up the courage of a true artist and to live in
poverty and pursue the novelist who lived in me, I took the easiest
shortcut and made a compromise : I became a journalist, a very bourgeois
and I might add, a successful journalist, first writing for American
papers, and then becoming Editor of India Today, this country’s most
famous and powerful weekly news magazine. The closest I came to creative
writing during this phase of my life was when I wrote a series of
literary reality short biographies of the Great Masters of Indian
classical music – among them Ravi Shankar, Hari Prasad Chaurasia, Bhim
Sen Joshi, Malik Arjun Mansur, Alla Rakha and several others. “La
Chambre…” was my first novel written just before I turned 60. But it was
embryonic within me for many decades.
Durant l’adolescence j’ai écrit des
nouvelles pour des journaux indiens en langue anglaise. Pendant
trente-cinq ans j’ai tenté d’écrire des romans : je déchirais les
manuscrits à chaque fois parce qu’ils sentaient l’imitation, j’étais
incapable de trouver mon propre style. J’étais incapable de trouver le
courage d’être un véritable artiste, vivre dans la pauvreté, suivre le
romancier qui vivait en moi ; j’ai choisi la solution de facilité, un
compromis : je suis devenu journaliste, un véritable journaliste
bourgeois et, je dois le dire, un journaliste à succès. J’ai d’abord
écrit pour des journaux américains, puis je suis devenu rédacteur en
chef de India Today, le plus connu et le plus influent des
magazines d’information en Inde. Durant cette période de ma vie, ce qui
m’a rapproché le plus de la création littéraire est une série de courtes
biographies des grands maîtres de la musique classique indienne, parmi
lesquels Ravi Shankar, Hari Prasad Chaurasia, Bhim Sen Joshi, Malik
Arjun Mansur, Alla Rakha et plusieurs autres. La Chambre des parfums
est bien mon premier roman, je l’ai écrit juste avant d’avoir soixante
ans, mais il était en gestation en moi depuis plusieurs dizaines
d’années.
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IR
: Your own life inspired you for this book, even though it is not an
autobiography : when you wrote it, what was your genuine purpose ? Had
it something to do mostly with yourself ? Was it a way to pay homage to
the ones you love, and maybe mainly to your father and to "Serita" ?
Vous vous êtes inspiré de votre propre vie pour écrire ce livre, même
s’il ne s’agit pas d’une autobiographie : lorsque vous l’avez écrit,
quel était votre intention profonde ? Etait-ce une affaire purement
personnelle ? Etait-ce une façon de rendre hommage à ceux que vous
aimez, peut-être principalement à votre père et à « Serita » ?
IB
: No matter what authors may
state in their disclaimers about “…resemblance to any living or dead
person is purely coincidental..blah…blah…” the truth is – and I agree
with Erica Jong – that all novels come out of the author’s womb. As you
write you cut the umbilical cord and the characters start flying in all
directions and you literally have to keep reining them in to stay within
your framework. Compared to pure science fiction or mystery novels
where characters can be invented, literature can only invent situations
not people. The people in my book are not invented – they are
imaginatively morphed. They are composites of people I have known.
I do not know
why people write except for the love of writing or to satiate some
inner psychic compulsion. Not always for money, no, unless you write
Harry Potter and Enid Blighton and Agatha Christie kind of stuff. I do
not think Colette wrote for money, nor did Anais Nin, nor Camus nor
Henry Miller. Of course, most literary novels stem from
autobiographical experiences. If I describe a forest I cannot do so
unless I have seen it myself – that is autobiography. How can I describe
an intense orgasm unless I have experienced it myself ? — that is
autobiography. An author cannot fake the intensity of experience. If he
does he will sound shallow and fraudulent. The truth will go out of his
voice.
In my book, the locales are those of my childhood, some of the
situations are grounded in reality and then extended in metaphorical
imagination. Yes the book is a homage to all who are in it – most of
them are composites of different characters who peopled India and the US
when I lived in both countries. The father could have started out as my
father but readers tell me they see their own fathers in him. Women
identify with Serita’s cold, mathematical, yet sentimental independence
and her ability to balance her life and ensure that there are no losers
in the battle of the sexes. Above all the book is an unapologetic
celebration of the Indian hybrid – the multi-lingual, multi-cultural
Indian mongrel, a most powerful and resilient combination of East and
West, a combination that is possible only because of the all-absorbing
mystical tradition of Vedantic thought which is all absorbing,
all-inclusive.
Peu importe ce que vous diront les auteurs
prétendant que « … toute ressemblance avec des personnes vivantes ou
décédées ne serait que coïncidence fortuite, et tout ce bla bla » ; la
vérité – et je rejoins là Erica Jong – est que tout roman sort du sein
même de son auteur. En écrivant, celui-ci tranche le lien ombilical et
les personnages prennent leur envol en tous sens et il doit réellement
faire effort pour en tenir les rênes et pour qu’ils ne s’échappent pas
des limites du cadre qu’il veut leur imposer. A la différence des romans
de science-fiction ou de mystère, où l’on peut inventer des personnages,
la littérature ne peut inventer que des situations, pas des gens. Les
personnages de mon livre ne sont pas inventés, ils sont simplement
modifiés par l’imagination. Ce sont des composés de personnes que j’ai
connues.
Je ne crois pas qu’il y ait d’autre raison d’écrire que l’amour de
l’écriture, ou quelque pulsion psychique que l’on doit satisfaire. Il
n’est pas question d’argent, non, à moins que vous écriviez des choses
du genre Harry Potter, ou des livres comme ceux d’Enid Blighton ou
Agatha Christie. Je ne crois pas que Colette ait pu écrire pour
l’argent, ni Anaïs Nin, ni Camus, ni Henry Miller. Il est évident que la
plupart des romans littéraires naissent d’expériences vécues. Si je
décris une forêt, je ne peux le faire que si je l’ai vue moi-même.
Comment pourrais-je décrire un orgasme intense si je n’en ai pas fait
moi-même l’expérience ? – il s’agit là d’autobiographie. Un auteur ne
peut pas faire semblant, il faut qu’il se fonde sur l’intensité de la
réalité. S’il fait semblant, cela va sonner faux et superficiel. Il ne
saura plus dire la vérité.
Dans mon livre, les lieux sont ceux de mon enfance, certaines
situations sont enracinées dans la réalité, puis extrapolées par
l’imagination et ses métaphores. Oui, mon livre est un hommage à tous
ceux que l’on y trouve – la plupart d’entre eux sont des composés de
diverses personnes qui vivaient en Inde et aux Etats-Unis lorsque j’ai
vécu dans ces deux pays. Le père aurait pu être le mien, mais des
lecteurs me disent qu’ils retrouvent en lui leur propre père. Des femmes
s’identifient à l’esprit indépendant, froid, mathématique, et pourtant
sentimental de Serita, à sa capacité de trouver l’équilibre dans sa vie
et à s’assurer que la guerre des sexes ne fasse pas de perdants.
Par-dessus tout, le livre célèbre sans complaisance l’hybride indien –
le métis linguistique et culturel qu’est l’Indien : un mélange puissant
et résistant d’Orient et d’Occident, un mélange possible seulement en
raison de la pensée védantique, traditionnelle et mystique, qui a le
pouvoir de tout intégrer, de tout inclure.
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IR
: You write in your book that violent feelings are the essence of
literature [according to the French translation - if it is wrong, please
correct] : could you tell us more about the meaning of it ?
Vous
écrivez dans votre livre que les sentiments violents sont l’essence de
la littérature : pourriez-vous nous en dire plus sur ce que cela
signifie ?
IB : That should perhaps have
been translated as “the lava of passion.” Without passion there is no
literature. Without passion all you have is comic books and science
fiction. We all have violent feelings. We often secretly wish our loved
ones tortured and killed in bouts of anger. If all of us were to speak
with unadulterated expression we would become monsters to one another.
That is why the book stresses the civilizing influence of speech and
language, and what passes off as the lies we tell every day is really
the filters of cultured minds that work to prevent the physical violence
that would surely erupt from the uncontrollable evil that the mind
creates in all of us.
L’expression à laquelle vous faites référence
traduit peut-être « the lava of passion ». Sans passion, il n’y a pas de
littérature. Sans passion, on n’aboutit qu’à la bande dessinée ou à la
science-fiction. Nous éprouvons tous des sentiments violents. Il nous
arrive souvent, dans de accès de colère, de souhaiter secrètement de
voir torturés et tués ceux que nous aimons. Si nous devions tous nous
exprimer en termes crus, nous deviendrions des monstres les uns pour les
autres. C’est pour cela que le livre souligne l’influence civilisatrice
du discours et du langage, et ce qu’écarte au jour le jour le filtre de
nos petits mensonges d’esprits cultivés : ils oeuvrent à prévenir la
violence physique qui surgirait à coup sûr du mal incontrôlable créé
dans chacun de nos esprits.
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IR
: Your main character says that good books have to be read twice : first
time for the story, second time for the spirit... I just finished to
read it once, and because I am a lazy guy, would you please give a clue
about its hidden spirit ?
Votre
personnage principal dit que les bons livres doivent être lus deux
fois : la première pour l’histoire, la seconde pour l’esprit… J’ai à
peine fini de lire votre livre une fois, et comme je suis paresseux,
j’aimerais que vous me donniez un aperçu de l’esprit qui s’y cache…
IB
: Actually, my book lacks the conventional “narrative drive” that
caused many American literary agents to reject the original manuscript.
And I refused to modify it to make it more commercially saleable for
them. The French understood it perfectly !
In fact
Le Monde called it “Les Moments Fondateurs d’Inderjit Badhwar.”
That was not a bad
description. The book proceeds in moments, and each moment turns into a
revelation that determines the spiritual evolution
of the protagonist. It’s like you never see a film by Truffaut, or
Bergman, or Godard, or Louis Malle just once. I saw Bergman’s
Scenes From a Marriage and
The Seventh Seal a
dozen times. I think what the protagonist meant was that in the first
reading of a good work of literature
you tend to appropriate the experience.
In the second reading you actually enter into the experience. Try it
yourself. Read Miller’s
Rosy Crucifixion
series once and you merely skim. Read it again and you swim. Read it the
third time and you begin to drown
in it. That is the power of literature. Its ultimate test is its
longevity and survival.
En réalité, mon livre est
dépourvu de la « conduite narrative » habituelle, ce qui a poussé bien
des éditeurs américains à refuser le manuscrit original. Quant à moi,
j’ai refusé de le modifier , d’en faire un produit plus commercial. Les
Français l’ont parfaitement compris. Le Monde a appelé cela « Les
Moments Fondateurs d’Inderjit Badhwar ». Ce n’est pas une mauvaise
description. Le livre est constitué de moments, et chaque moment devient
une révélation déterminante pour l’évolution spirituelle du personnage
principal. C’est comme pour un film de Truffaut, de Bergman, de Godard
ou de Louis Malle : on ne peut pas se contenter de le voir une seule
fois. J’ai regardé une douzaine de fois des films de Bergman : Scènes
de la vie conjugale, le Septième Sceau. Je pense que ce que voulait
dire mon personnage, c’est qu’à la première lecture d’une bonne œuvre
littéraire, on a tendance seulement à s’approprier l’histoire. A la
seconde lecture, on fait vraiment sienne cette histoire. Essayez
vous-même. Lisez la série de Miller, Rosy Crucifixion, une fois et
vous resterez à la surface des choses. Relisez-la et vous serez un
nageur dans son eau. Lisez-la une troisième fois et vous commencerez à
en être complètement submergé. Là est le pouvoir de la littérature. Le
test le plus significatif est celui de la longévité et du passage à la
postérité.
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IR :
"Sniffing Papa" shows us a traditional India fading and dying with its
forests
and its "jheels" during the Sixties and the Seventies : when looking
back at this period, what do you feel ? Your main character says that he
hopes that at his father's death he will get signs that would say
ancient India will be born again. Do you wait for it too ? Are you
confident it will happen ?
La Chambre
des parfums nous montre une Inde traditionnelle qui se perd et qui
meurt, en même temps que ses forêts et ses « jheels », au cours des
années 60 et 70 : lorsque vous vous retourne vers cette époque, que
ressentez-vous ? Votre personnage principal dit qu’il espère voir, à la
mort de son père, des signes disant que l’Inde ancienne renaîtra. Est-ce
aussi votre attente ? Y croyez-vous vraiment ?
IB :
In a sense “Papa” is a human manifestation of the forests and the “jheels”.
Each tree that is felled
is a body bow to him.
The seasons are his breathing cycles. He has weather in his blood. His
hunting – and teaching his family to hunt – are his way of making
himself and his offspring wallow in and mingle with the blood of the
land so that they remain creatures of the mud and dirt and trees and
waters and the wretched of the earth. At every cremation ceremony
ancient India is reborn. That is why I describe the macabre last rites
with so much detail – and so much love. By the rebirth of ancient India
I do not mean simply the ethical values created by systems and
rationalists and humanists and reformers. I Mean, rather, the spark
that ignited this rich and most ancient of all civilisations – the quest
for the real self, the ability to work in the real world and yet flirt
with oblivion, the
absence of anomie,
the great wisdom of India’s sages that spawned transcendentalism,
existentialist philosophy, inspired Spinoza and Thoreau; gives prime
importance to mathematics, economics, and astronomy and yet rates these
studies lower in the attainment of wisdom than philosophical and
metaphysical inquiry.
Dans un certain sens, le
personnage du Père est une manifestation humaine de ces forêts et de ces
« jheels ». Chaque arbre abattu est un corps qui s'incline devant lui.
Les saisons sont ses cycles respiratoires. Le temps qu’il fait coule
dans son sang. Chasser, et apprendre à chasser à sa famille, voilà sa
façon de se mêler au sang même de la terre, et d’y entraîner les siens,
pour qu’ils restent créatures de la boue, de la terre, des arbres, des
eaux, de la lie de la terre. A chaque crémation d’un mort, l’Inde
ancienne renaît. C’est pour cela que je décris avec autant de détails –
et avec autant d’amour – les derniers rites macabres. En parlant de
renaissance de l’Inde ancienne, je ne veux pas seulement évoquer les
valeurs éthiques créées par les
systèmes, les humanistes, les rationalistes, les réformateurs. Je fais
plutôt référence à cette étincelle qui a embrasé cette riche et si
ancienne civilisation – la quête du vrai Soi, la capacité à travailler
dans le monde réel tout en flirtant avec l’oubli,
l’absence de l’anomie,
la grande lumière des sages indiens qui ont donné naissance au
transcendantalisme, à l’existentialisme, qui ont inspiré Spinoza et
Thoreau, qui accorde une importance majeure aux mathématiques, à
l’économie, à l’astronomie, tout en considérant ces domaines inférieurs
aux questions philosophiques et métaphysiques lorsqu’il s’agit de
chercher à atteindre la sagesse.
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IR :
Your
book also draws the profile of the States, especially of New York during
the same years : students having open conversations about politics,
literature, sexual life... people driving up to the mountains, up to
their dreams... You put States and India in the balance, without really
choosing, as it seems : what does it mean ? Both of these countries are
accepted as parts of yourself ?
Votre livre
propose aussi une image des Etats-Unis, plus particulièrement de New
York au cours des mêmes années : étudiants discutant à bâtons rompus de
politique, de littérature, de sexe… personnages poursuivant leurs rêves
en voiture dans les montagnes… Vous soupesez les Etats-Unis et l’Inde,
sans choisir entre eux semble-t-il : qu’est-ce que cela signifie ? Vous
assumez que ces deux pays fassent partie de vous ?
IB : Yes, yes, absolutely a
correct assumption. If I were to ascribe a historical reason for writing
the book it was with the purpose of capturing permanently the passing of
an era that shaped the lifestyles and destinies of so many Indians. It
is essentially an Indian book. It is about a strange breed of Indians
who were shaped and molded by the Vedas, Islam, the British, European
literature and America. This breed remains largely unknown to the West
even though it owes its literary and social evolution to Marx,
existentialism, Rousseau, Lincoln, Kennedy, Dany Conhn-Bendit, Brigitte
Bardot, Superman and the Beatles and Presley. The narrator is a bridge
between two vanishing worlds – the India of the British legacy and the
America of the 1960’s. He accepts both and is part of both sans regret,
sans guilt, sans bitterness. He is not mal-adjusted because underpinning
his existence is the all-pervasive yet non-interfering soul of the
Sanskrit Civilization that has proven impervious to dogmatic or cultural
aggression.
Oui, c’est tout à fait cela. Si je devais
donner une raison historique à l’écriture de ce livre, ce serait
l’intention de fixer le déroulement d’une époque qui a modelé les modes
de vie et les existences de si nombreux Indiens. Ce livre est
foncièrement indien. Il parle d’une étrange génération d’Indiens modelés
et façonnés par les Védas, l’Islam, les Britanniques, la littérature
européenne et l’Amérique. Cette génération est encore très méconnue en
Occident même si elle doit son évolution littéraire et sociale à Marx, à
l’existentialisme, à Rousseau, à Lincoln, à Kennedy, à Dany Cohn-Bendit,
à Brigitte Bardot, à Superman, aux Beatles et à Presley. Le narrateur
est un pont entre deux mondes qui s’évanouissent – l’Inde telle que
l’avaient laissée les Anglais et l’Amérique des années 60. Il accepte
les deux et fait partie des deux sans regret, sans culpabilité, sans
amertume. Il ne se sent pas marginal, parce que le fait de consolider
son existence est le propre de cette âme qui pénètre tout sans
interférer : l’âme de la civilisation sanskrite qui a su rester intacte
face aux agressions idéologiques ou culturelles.
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IR :
Your characters in the novel love to read American and
European authors, from Joyce to Sartre, from Thomas Mann to Henry
Miller... Indian literature seems to be quite forgotten : why ?
Vos
personnages aiment lire des auteurs américains et européens, de Joyce à
Sartre, De Thomas Mann à Henry Miller…
La
literature indienne semble oubliée : pourquoi ?
IB :
India’s finest
literature and poetry resides in the Vedas and the Upanishads and the
two great Epics the Ramayana and Mahabharata that also draw their
inspiration from the 3000-year old texts. Their iambic pentameters,
couplets, verses, slokas, parables deal with infinity, rage, jealousy,
violence, divorce, sexual relationships, loyalty, hatred, wisdom, war,
justice, revenge, compassion, sorrow, ecstasy, nihilism… I strongly
believe that what is not in there is nowhere else to be found. So
exhaustive and so rich is this literature and its philosophical
yearnings, that its profundities have yet to find a parallel in Western
literature. I found that Miller, Kerouac, Ginsberg, Algren, deBeauvoir,
Tolstoi, Dostoievsky, Mann, Philip Roth to name a few were groping for
meaning and direction in their books and inspiration and meaning led
then to the teaching of the Vedas. Purely co-incidental perhaps but
true. Jewish writers like Bellow and Singer ultimately allowed their
neurotic heroes to find succour in the Talmud.
It is impossible for an Indian born in India to “forget” Indian
literature. The Vedic and Puranic teachings are sung and interpreted for
us since birth. The Ramayana is enacted at every village corner and the
heroics of the Mahabharatha and its philosophy of “desireless action and
conquest of the ego” are the essence of the Bhagwat Gita that is recited
in every home. The Sufi couplets and transcendental, irreverent verses
of Iqbal, Fayaz, Bulle Shah, Kabir – that blend Islamic faith with
“Hindu mysticism”.. What I am saying is that the poetry and literature
of the ancient and medieval bards is so powerful, so all-encompassing,
so comprehensive that there have been few modern writers who can hold a
candle to them. Indian literature is not forgotten, as you say, but
Indian writers simply cannot compete for the public’s attention against
the great verses that descended on the soil of this land from the
UNKNOWN.
At a less philosophical level, the answer is that literature and
poetry have remained an oral tradition because of a high rate of
illiteracy in India. Also, India has some 16 different languages that
are different as French is from Dutch ! I am multi-lingual. I speak
English, Hindi and Punjabi. But I cannot read or speak Sanskrit in which
India’s true literature resides. Sanskrit is now as dead as Latin and I
have to depend on English translations. Nor can I read the Punjabi or
Urdu scripts in which so much of the modern and medieval literature of
Punjab and Pakistan is written. There are brilliant writers in Bengali (Tagore
etc), the Malayalam language of the South (that’s where Arundhati Roy is
from) and the Marathi language spoken around Mumbai…But this literature
remains largely confined to people who understand, speak and read those
languages. I do, however, speak in the book of several Hindi poets and
writers like Siya Ram Sharan Gupt, Subhadra Kumari Chauhan, and Nirala.
But I confess to not been overwhelmed by them as I was with Maupassant,
or Victor Hugo or Anatole France’s “Le Naufrage.” In any case, I
strongly believe that literature, no matter in which language, belongs
to the world. And Indian writers in English, as I am, are part of the
worldwide literary phenomenon.
La meilleure littérature et la meilleure
poésie de l’Inde se trouvent dans les Védas, les Upanishads et les deux
grandes épopées que sont le Ramayana et le Mahabharata,
qui puisent eux-mêmes leur inspiration dans des textes vieux de 3000
ans. Leurs pentamètres iambiques, leurs strophes, leurs versets, leurs
slokas, leurs paraboles traitent de l’infini, de la rage, de la
jalousie, de la violence, du divorce, des relations sexuelles, de la
loyauté, de la haine, de la sagesse, de la guerre, de la justice, de la
vengeance, de la compassion, du chagrin, de l’extase, du nihilisme… J’ai
la profonde conviction que si une chose ne se trouve pas dans ces
textes, elle ne se trouve nulle part ailleurs. Cette littérature et ses
aspirations philosophiques sont si exhaustives et si riches que leur
profondeur ne trouve pas encore d’équivalent dans la littérature
occidentale. Je trouve que Miller, Kerouac, Ginsberg, Algren, de
Beauvoir, Tolstoï, Dostoïevski, Mann, Philip Roth – pour ne citer que
quelques noms – tâtonnent dans leurs livres à la recherche de la
signification et du sens des choses, et l’inspiration, la signification
les ont conduits jusqu’aux enseignements des Védas. Ce n’est peut-être
qu’une coïncidence, mais c’est un fait. Des écrivains juifs tels que
Bellow et Singer ont fait trouver de l’aide à leurs héros névrosés dans
le Talmud.
Il est impossible, pour un Indien né en Inde, d’ « oublier » la
littérature indienne. Les enseignements des Védas et des Puranas nous
sont chantés et récités dès notre naissance. Le Ramayana est
représenté dans les villages les plus perdus, la geste du Mahabharata
et sa philosophie – agir sans le désir du fruit de l’action, maîtriser
son ego – sont l’essence même de la Bhâgavat Gîta que l’on récite
dans chaque foyer. Sans oublier les strophes soufies et les vers
transcendants et irrévérencieux d’Iqbal, de Fayaz, de Bulle, de Shah ou
de Kabir – ce mélange de foi musulmane et de « mysticisme hindou ». Ce
que je veux dire, c’est que la poésie, la littérature des bardes
antiques et médiévaux est si puissante, si complète et englobante qu’il
n’y a que peu d’écrivains modernes qui puissent leur tenir la dragée
haute. La littérature indienne n’est pas oubliées, pour reprendre vos
termes, mais le fait est que les écrivains indiens, aux yeux du public,
ne peuvent soutenir la comparaison face aux grand poèmes qui sont
descendus sur le sol de cette contrée depuis l’INCONNU.
Sur un plan moins philosophique, la réponse est aussi que la
littérature et la poésie sont demeurées à l’état de tradition orale en
raison du taux très élevé d’analphabétisme en Inde. De plus, l’Inde
compte quelque seize langues différentes, aussi différentes entre elles
que le sont le français et le néerlandais ! Je suis polyglotte. Je parle
anglais, hindi et Penjâbi. Mais je ne sais pas lire et parler le
Sanskrit, langue dans laquelle est rédigée la vraie littérature de
l’Inde. Le sanskrit est aujourd’hui une langue morte, comme le latin, et
je n’y accède qu’à travers des traductions anglaises. Je ne sais pas non
plus lire le Penjâbi ni l’urdu, ces langues dans lesquelles sont écrits
tant de textes modernes et médiévaux du Pendjab et du Pakistan. Il
existe aussi de brillants écrivains en bengali (Tagore, etc.), en
malayalam (langue du Kerala, d’où est originaire Arundhati Roy) et en
marathi, la langue parlée dans la région de Mumbai. Mais cette
littérature est accessible seulement à ceux qui comprennent, parlent et
lisent ces langues. Dans mon livre, j’évoque cependant plusieurs poètes
hindis tels que Siya Ram Sharan Gupt, Subhadra Kumari Chauhan et Nirala.
Mais j’avoue qu’ils ne m’ont pas aussi impressionné que Maupassant,
Victor Hugo ou Anatole France dans Le Naufrage. Quoi qu’il en
soit, je suis fermement convaincu que la littérature, quelle que soit la
langue, appartient au monde. Et les écrivains indiens de langue
anglaise, comme moi, appartiennent à la littérature mondiale.
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IR
:
Indian family life in "Sniffing Papa" does not appear like people in the
western world imagine : the father is an atheist, the daughter has many
lovers... Nowadays family life in India is the same as in Europe or the
States ?
La
famille indienne, dans La Chambre aux parfums, n’apparaît pas
sous le jour auquel on l’imagine en Occident : le père est athée, la
fille a de nombreux amants… De nos jours, la vie familiale en Inde est
identique à ce que l’on trouve en Europe ou aux Etats-Unis ?
IB
: Many Indias exist side by
side : tribal, rural, slum, petit bourgeois, bourgeois, lumpen,
super-rich, superstitious, scientific, agnostic, fervent believers,
ancient, medieval, modern, super-modern, sexually-repressed,
chauvinistic, feminist, sexually liberated….The family in my book is
exactly as I have described it to be and there are millions like it -
aristocratic/feudal roots, love-hate relationship with Britain and
Europe, multi-lingual, convent educated, multi-cultural, well-read,
despising the nouveau riche, defying yet rooted to tradition…
Il coexiste de nombreuses Indes : tribale,
rurale, misérable, petite bourgeoise, bourgeoise, prolétarienne,
richissime, superstitieuse, scientifique, agnostique, croyante, antique,
médiévale, moderne, ultramoderne, sexuellement inhibée, chauvine,
féministe, sexuellement libérée. La famille de mon livre est exactement
comme je l’ai décrite. Et il y en a des millions de semblables : racines
aristocratiques/féodales, relations amour-haine avec les Britanniques,
plurilinguisme, éducation chez des religieux, pluriculturalisme, culture
, mépris des nouveaux riches, rébellion contre la tradition mais
attachement à elle…
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IR :
What
is your opinion about modern India economically becoming one of the most
powerful countries ? What about Indian culture finding it's way in the
world culture ?
Quelle est
votre opinion sur l’Inde moderne, en voie de devenir une des plus
grandes puissances économiques ? Et que dire de la culture indienne,
cherchant sa voie dans la culture planétaire ?
IB : India has pulled more
than 300 million people out of poverty in the last 50 years which is a
record possibly unparalleled in world history given the fact that more
than 90 percent of Indian lived below the poverty line as subsistence
farmers. Today India boasts among the highest milk, fruit, and foodgrain
production in the world, a high-tech industry that is leading the
world, scientists and corporate chiefs who are heading almost every
large multi-national corporation. The Indian peasant has survived
disasters, wars, pestilence, famines and survived with his dignity in
tact. We have never had a dictator since we became a Republic. There is
little or no neurosis of the Western kind in Indian villages. They
believe that all life on earth is a cosmological, constant process of
recycling and humans are just part of it. All that a human being should
strive for is to become conscious of the fact that the forces that
perpetuate eternal life have given him a sacred weapon : a higher
consciousness that he should use to ask himself who he really is, to
differentiate between eternal reality and maya, to be able to become an
“independent witness” of his own ego and thought processes and discover
the joys of non-attachment and renunciation and thereby evolve into an
even higher state of consciousness. As the protagonist in my book says,
“The difference between Indians and the West is that you spend your
entire life fighting off and delaying death while we spend our lives
trying to understand death, to court death, and to defeat death.”
Indian culture has already heavily influenced world culture as I
have mentioned before. French born Mirra Alfassa became the famous
“Mother” of Sri Aurobindo’s Pondicherry Ashram and took the Vedic
message of Consciousness Beyond Mind, or “Supramind” to the rest of the
world. The whole practice of “consciousness raising” is firmly rooted in
India’s Sanskrit literature and culture. It was popularized in the West
by Ravi Shankar, Osho, Maharishi Mahesh Yogi. Yoga originated in India –
it is part of the physical preparation of the ultimate release of the
soul to become one with the universe. Indian classical music has found
champions in Yehudi Menuhin and Jean Pierre Rampal.
Au cours des cinquante dernières années,
l’Inde a tiré de la misère plus de trois cents millions de personnes, ce
qui est probablement un fait unique dans l’histoire du monde sachant que
plus de 90% des Indiens, cultivateurs, vivaient sous le seuil de
pauvreté. Aujourd’hui, l’Inde peut s’enorgueillir d’être un des plus
importants producteurs de lait, de fruits ou de céréales, d’avoir une
industrie leader dans les technologies de pointe, des scientifiques et
des hauts responsables parmi les responsables de presque toutes les
grandes multinationales. Les paysans indiens ont survécu aux
catastrophes, aux guerres, aux épidémies, aux famines, et survécu avec
dignité. Nous ne nous sommes jamais donné de dictateur depuis que nous
sommes une république. Il n’y a pas ou il y a peu, dans nos campagnes,
de névroses comparables à celles de l’Occident. Ils croient en ceci, que
toute vie sur terre est un processus cyclique, constant et cosmologique,
et l’être humain n’en est qu’un rouage parmi les autres. Une seule chose
mérite que l’on fasse effort pour l’atteindre : la conscience du fait
que les forces qui perpétuent la vie éternelle lui ont donné une arme
sacrée, une conscience plus élevée, qu’il devrait utiliser pour se
demander qui il est réellement, pour faire la différence entre la
réalité éternelle et la maya pour être capable de devenir un « témoin
distancié » de son propre moi et des mécanismes de sa pensée, découvrir
les joies du non-attachement et du renoncement, et ainsi évoluer vers un
état de conscience encore supérieur. Mon personnage principal dit ceci :
« La différence entre les Indiens et l’Occident est que vous passez
toute votre vie à lutter contre la mort et à la retarder, tandis que
nous passons nos vies à comprendre la mort, à courtiser la mort et à
vaincre la mort. »
La culture indienne a déjà exercé une influence profonde sur la
culture du monde, comme je l’ai déjà dit. La Française d’origine Mirra
Alfassa est devenue la fameuse « Mère » de l’Ashram Shri Aurobindo à
Pondichéry, et a transmis au reste du monde le message védique de
« Conscience Au-delà de l’Esprit » ou de « supramental ». Toute la
pratique de l’ « Eveil de la Conscience » est profondément enracinée
dans la littérature et la culture sanskrites de l’Inde. Ce sont des gens
tels que Ravi Shankar, Osho, Maharishi Mahesh Yogi qui l’ont popularisée
en Occident. Le yoga est né en Inde – il fait partie de la préparation
physique à l’ultime libération de l’âme fusionnant avec l’Univers. Et la
musique classique indienne a trouvé des champions dans des personnes
comme Yehudi Menuhin and Jean-Pierre Rampal.
IR :
Personally,
what are your projects as a writer ?
Quels sont
vos projets personnels d’écrivain ?
IB
: “La Chambre des parfums”
has now been bought by leading publishing houses in Spain, Portugal,
Germany and Holland. I am working on a new, tighter, shorter and more
closely cropped version of the original work for the British and US
markets. Even though it is available in English on the net through
Amazon and eBay, my publishers are negotiating new publishing rights for
English speaking countries. Currently, I am working on some short
stories about the triumph of the human spirit.
La Chambre des parfums a été acheté par
des éditeurs majeurs en Espagne, au Portugal, en Allemagne et aux
Pays-Bas. Je travaille sur une nouvelle version, plus resserrée, plus
brève de l’œuvre originale pour les marchés britannique et américain. Le
livre est déjà disponible en anglais sur la toile, en vente sur Amazon
et eBay, mais mes éditeurs sont en train de négocier de nouveaux droits
pour les pays anglophones. Actuellement, je travaille sur des nouvelles
évoquant le triomphe de l’esprit humain.
Remerciements à Mme Annie Mouity-Nzamba pour son aide
concernant la traduction.
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