Interview
SA :
Bonjour. Je suis danseuse. Je vis actuellement près de
Toulouse, dans le sud ouest de la France où je danse et enseigne la danse
kalbelia.
SA : Passionnée par les cultures
nomades, j’ai d’abord découvert la danse kalbelia à travers le film Latcho
Drom de Tony Gatlif, qui retrace la route des gens du voyage de l’Inde vers
l’Espagne. Puis j’ai eu l’occasion de la découvrir réellement lors du
festival de danse de Montpellier, où se produisait un groupe de musiciens et
danseuses du Rajasthan. Je l’ai enfin redécouverte avec le musicien Titi Robin
et la danseuse kalbelia Gulabi Sapera à l’occasion d’un spectacle.
Très attirée par les
danses gitanes, à ce moment-là je faisais beaucoup de flamenco et de danse
orientale. Lorsque j’ai vu pour la première fois cette danse, j’ai été fascinée
par sa virtuosité. Pour moi c’était justement à la fois le flamenco et la danse
orientale, et j’ai tout de suite eu le désir de l’apprendre.
SA : C’est une danse populaire (ou
« folkloric dance » au sens anglais du terme), dans le sens où elle donne une
place à l’improvisation, c’est à dire à l’inspiration du moment, aux émotions
qui traversent les danseuses et danseurs. Tout comme les danses de chez nous,
certes peut-être moins présentes aujourd’hui, qui permettent d’exprimer la vie
quotidienne, avec ses joies et ses peines, et de transcender le quotidien. En
même temps, l’improvisation se fait à travers une technique de danse, liée à la
culture kalbelia précisément et à la culture indienne plus généralement. La danse
kalbelia, ou danse sapera (danse du serpent) est une danse très dynamique,
expressive, joueuse et gracieuse, où chaque partie du corps est à la fois isolée
et accentuée sur le rythme de la musique. Elle trouve également beaucoup de
virtuosité dans les tournoiements.
SA : Pour
moi, il existe réellement des liens avec les danses classiques indiennes,
puisqu’elles sont issues de la même culture. On peut trouver des similitudes
notamment entre le kathak et la danse kalbelia à travers la finesse de la
gestuelle et la virtuosité des tours. Les
danses populaires évoluent perpétuellement à travers les personnes, les
générations et l’histoire du pays puisqu’elles reflètent la vie quotidienne qui
se transforme au fil du temps. La danse kalbelia évolue énormément depuis
qu’elle est présentée sur scène. Développée dans le cadre du spectacle, elle
s’élabore et s’inspire à la fois des danses classiques indiennes, du Bollywood,
mais aussi de la danse orientale et plus généralement des danses occidentales
dites « modernes ». De la même façon que la danse Bollywood s’inspire des
traditions indiennes et de la culture occidentale.
SA : La continuité que je peux retrouver entre toutes
ces danses est leur virtuosité et leur spontanéité, leur côté « sauvage »,
insaisissable, spécifique à la culture gitane, rom, tsigane… On retrouve
beaucoup de similitudes d’une danse à l’autre par le rythme, la gestuelle, et en
même temps chacune a son style, sa particularité, liés à la culture où elle se
développe.
SA : Le Rajasthan est un état indien très particulier et
pourrait être un pays à lui tout seul, tant il y a de diversité culturelle sur
un même territoire. C’est aussi la région la plus colorée que j’ai vue en Inde,
où les tenues traditionnelles sont très colorées et très originales, où il y a
encore beaucoup de « tribus » et de populations rurales, où l’histoire est riche
de migrations de peuples. Le Rajasthan c’est aussi le désert : le Thar,
désert le plus habité au monde. J’avoue que le désert m’a toujours procuré de
fortes sensations, surtout dans ce pays où le dénuement de la terre contraste
avec l’intensité des couleurs portées par ses habitants. Le Rajasthan c’est
aussi une porte vers l’Orient, la route des épices, une terre où cohabitent
hindous et musulmans, et encore plein d’autres choses…
SA : Le
ghoomar est une danse populaire du Rajasthan qui
se danse en cercle entre plusieurs femmes. Elle illustre les atouts de la
féminité, telle une ballade, et a des similitudes avec la danse kalbelia qui
utilise les mêmes mouvements, bien que dans une tout autre énergie. C’est une
danse très esthétique qui se regarde globalement, tel un kaléidoscope.
Le tera taal est une danse rituelle pratiquée par
la communauté kamad au Rajasthan, qui permet d’honorer le saint des pauvres, Baba Ramdéo. Danse de prouesse par le maniement de cymbales qui tournoient et
s’entrechoquent au son de la musique, elle se diffuse depuis quelques années sur
scène pour son aspect spectaculaire.
Ces deux danses esthétiques sont très différentes
et témoignent de la richesse culturelle du Rajasthan.
SA : Le fait de danser cette danse me donne beaucoup de
plaisir, car elle me renvoie avant tout à une expérience vécue en compagnie des Kalbelias. Elle me donne de la bonne humeur, de la légèreté, de la spontanéité
et une envie de m’amuser !
Ce qui me nourrit le plus dans la danse kalbelia
est le fait de pouvoir, à partir d’une technique transmise, improviser au gré de
l’inspiration. Elle me permet donc de trouver peu à peu une danse plus
personnelle car, n’étant pas indienne, mon envie est d’utiliser cette gestuelle
pour créer quelque chose d’autre. C’est une certaine liberté que l’on peut
trouver dans les danses populaires, à condition de ne pas les figer. A mon sens,
la danse est faite pour évoluer constamment à travers le mouvement de la vie. Ma
démarche personnelle est donc de voguer entre la danse telle que je l’ai apprise
au Rajasthan et la danse telle que je peux la transformer, entre tradition et
création.
SA : L’objet de l’association KAMLI est de « promouvoir
la culture et les arts indiens, nomades et plus généralement les échanges
interculturels et les pratiques artistiques, par le biais de l’ethnologie, de la
pédagogie, des pratiques de danse et de la création artistique ».
Elle propose
différents types d’interventions régulières ou ponctuelles : cours, ateliers et
stages de danse kalbelia ; démonstrations de danse dans diverses structures
(culturelles, scolaires, hospitalières…) ; spectacles de musiques et danses du
Rajasthan ; conférences à caractère ethnologiques et diaporamas sur le Rajasthan
et les Kalbelias. Actuellement
elle propose des cours réguliers sur toute l’année scolaire, des stages mensuels
et quelques interventions ponctuelles pour des conférences ou des spectacles.
SA : A Toulouse, il y a quelques personnes seulement qui
pratiquent des disciplines indiennes et qui l’enseignent, mais cela reste très
restreint. Selon moi il manque réellement une structure culturelle qui permette
de lancer une initiative, de fédérer ces pratiques et de tisser un réseau
culturel indien plus important. En même temps je pense que l’Inde devient à la
« mode » et que cela peut se développer rapidement, à Toulouse comme ailleurs.
SA : Mes projets sont très variés et se dessinent pas à
pas. Je souhaite continuer à enseigner la danse kalbelia et pense peut-être
donner davantage de cours et de stages en région toulousaine, en France et à
l’étranger. Je souhaite également, parallèlement à la transmission, continuer à
explorer cette danse à travers la création artistique, en m’inspirant du
flamenco, de la danse orientale, mais aussi de la danse contemporaine, vers une
danse plus personnelle. J’ai déjà pensé à venir à La Réunion pour donner
des stages de danse kalbelia ou pour prendre des vacances, mais je n’ai pas
encore eu l’occasion de m’y rendre. Pourquoi pas l’année prochaine ?
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