Interview
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IR
: Alokapari, voudriez-vous tout d'abord vous présenter à nos
visiteurs et expliquer le choix de votre nom de scène ?
Alokapari : Je suis danseuse et professeur de
danse indienne style Odissi (style du nord-est de l’Inde) à Marseille. Je
suis chorégraphe de la Cie de danse Bollywood la Cie Indian Style et
également professeur de danse diplômée en modern’jazz, Alokapari signifie
« fée de lumière » ; c’est mon mari qui m’appelle ainsi et quand je l’ai
fait traduire en hindi j’ai trouvé que çà sonnait bien et je l’ai gardé en
nom de scène.
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IR :
Quand a débuté votre intérêt pour la danse indienne, et en quelles
circonstances ?
Alokapari
: J’ai découvert la danse indienne en 2000 lors d’un stage à Thonon les
Bains où la danseuse Tarikavalli donnait des cours de Bharata Natyam. Dès la
première minute du cours j’ai su que cette danse faisait partie de moi et qu’il
me fallait l’approfondir.
Alokapari
: A l’époque j’enseignais le modern’jazz à Montpellier, ville du sud de la
France, et Tarikavalli connaissait Flora Devi qui est professeur d’Odissi là-bas. Elle m’a donc conseillé de débuter avec elle afin d’avoir un maître
plus près de chez moi. Le choix de l’Odissi a donc été d’abord un choix
pratique mais il n’y a pas de hasard dans la vie et je sais que ce style me
correspond tout à fait.
Alokapari
: J’ai travaillé une année avec Flora Devi et très vite j’ai décidé
d’organiser mon premier voyage en Inde. Je n’ai pas pu obtenir la
bourse du ministère, alors je suis partie seule pendant l’été et j’ai eu la
chance d’être acceptée dans l’école du grand maître Guru Kelucharan
Mohapatra. J’y ai reçu tout l’enseignement des bases et j’ai commencé à
apprendre les pièces du répertoire. De retour en France j’ai continué à
travailler avec Flora puis avec Devasmita Patnaïk à Paris. J’ai enchaîné
ensuite plusieurs voyages en Orissa et à Pondichéry où enseigne la sœur de Devasmita. Dès que je peux je pars les étés en Inde pour me perfectionner.
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IR :
Les danses classiques indiennes supposent tout un arrière-plan non seulement
esthétique et artistique, mais aussi spirituel, voire religieux : que
diriez-vous à ce sujet ? Comment ressentez-vous cette dimension spirituelle
?
Alokapari
: C’est cette dimension qui fait toute la force de cette danse et qui fait
la différence avec la danse modern’jazz que je pratique, par exemple. J’ai
toujours été en grande recherche spirituelle, et le bouddhisme m’a apporté ce
que je cherchais, puis j’ai rencontré la danse indienne et là j’ai pu allier
mon art, la danse, avec le spirituel, et c’est merveilleux. Sur scène, la
danse prend un sens tout particulier.
Alokapari
: L’Odissi a cette particularité qui fait tout son charme : le Tribanghi. Il
s’agit de cette position déhanchée qui trouve son origine dans les poses des
statues des temples d’Orissa. Cette position donne un côté rond, sensuel,
féminin. D’un autre côté on a la positon en Chauk, position carrée qu’on
retrouve sur la statue de Jagannath, divinité de l’Orissa. Le style Odissi
allie les côtés féminin et masculin ; il est donc très agréable de sentir ces
deux énergies alternativement dans la danse.
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IR :
Une partie de votre apprentissage s'est effectué en Inde, et vous retournez régulièrement dans ce pays : quelle image en avez-vous ?
Quelle image de sa culture, de ses habitants ? Quelle image de l'Orissa ?
Alokapari
: Dans une autre vie je devais être en Inde, c’est sûr ; quand j’y retourne
je me sens chez moi, même si je sais que j’aurais sûrement du mal à y vivre
complètement. Aller en Inde c’est faire un retour sur soi, un retour à la
simplicité, un retour à l’essentiel, chose que nous perdons ici avec tout le
côté matériel de la vie. Quand je suis en Inde, je porte la tenue indienne,
le bindi, et le sindoor (marque rouge sur la raie des cheveux indiquant
qu’on est mariée), et les Indiens sont très respectueux vis-à-vis de moi. Je
les trouve toujours très accueillants, curieux de voir des gens passionnés
par leur culture, et ça crée des échanges très sympathiques. Je suis
retournée en Orissa cet été après une longue absence, et je suis très
surprise de voir à quel point la capitale, Bhubaneswar, se modernise à vue
d’œil ! Mais toujours très peu de touristes là-bas, donc ils sont toujours à
porter des regards curieux sur moi quand j’y suis.
L’Orissa est
un joyau : on trouve là -bas des temples magnifiques où est gravée sur la pierre
l’histoire de la danse Odissi. Tous les grands maîtres sont là-bas. Pas très
loin de la capitale se trouvent le superbe temple du soleil de Konark, et la
ville sainte de Puri avec le temple à Jagannath et sa célèbre fête annuelle
des chars.
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IR : Vous
pratiquez également la danse "Bollywood" : est-ce par nécessité de se plier à un
phénomène de mode, aux exigences du public, ou bien est-ce par goût personnel ?
Quel regard portez-vous sur ce type de danse ?
Alokapari
: Avec la
danse Bollywood, j’ai trouvé le moyen de relier le modern’jazz et la danse
indienne. En 2006 on m’a commandé un spectacle Bollywood pour le réveillon de
l’hôtel Martinez à Cannes, et j’ai donc monté une troupe avec mes danseurs de
modern’jazz, et nous avons à l’heure actuelle huit chorégraphies Bollywood à notre
répertoire. La demande en spectacle est très forte et je prends vraiment
beaucoup de plaisir à chorégraphier sur les musiques de films.
En ce qui
concerne les cours, j’ai assez rapidement aménagé mon enseignement de la danse Odissi, pour répondre aux attentes du public occidental que je connais bien.
L’accès à la danse traditionnelle est difficile : rigueur du travail,
répétitions des exercices, accompagnement des cours uniquement au rythme des
bâtons, et accès au répertoire uniquement après des années de pratique. Pour
permettre à mes élèves de pratiquer leurs pas d’Odissi, j’ai commencé à
chorégraphier sur des musiques Bollywood, et mon cours est toujours
accompagné en musique. Je pense que c’est en cela que ça répond à la demande des gens. Mes
cours affichent complet. Une fois par mois je donne un stage uniquement
Bollywood, je supprime juste les exercices techniques Odissi et j’oriente la
chorégraphie sur des mouvements plus modernes, et ça fonctionne bien. C’est à la
fois avec plaisir et pour la demande que je propose ces cours. Et puis souvent
ça ouvre l’accès à la pratique de la danse Odissi. A l’heure actuelle, les gens
sont en train de faire l’amalgame entre danse Bollywood et danse indienne.
J’essaie de bien leur faire comprendre la différence.
Alokapari
: Je donne
des cours aux enfants à partir de sept ans et dans mon cours adulte on trouve
des jeunes de dix-sept ans comme des adultes de cinquante ans avec ou sans pratique précédente en
danse. Tout le monde prend le même plaisir.
En ce qui
concerne les spectacles, j’ai chorégraphié plusieurs spectacles qui s’adressent
aux enfants : je les ai dansés en solo ou à plusieurs dans des écoles,
bibliothèques…Les spectacles traditionnels regroupent un public plus adulte,
regroupant occidentaux et indiens parfois. Le 29 mars nous allons donner avec
la Compagnie un spectacle autour de la danse en Inde, de la danse sacrée à la danse
Bollywood, et je pense que ça va amener un public un peu plus jeune. A Marseille
la communauté Maghrebine est très fan de films Bollywood également ; nous avons
souvent de la demande pour des animations lors de mariages.
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IR : Comment
expliquez-vous, de votre point de vue, l'engouement des Français pour l'Inde et
sa culture, son cinéma, ses danses... ? Simple mode exotique ?
Alokapari
: A l’heure
actuelle je pense que si les gens se tournent vers l’Inde c’est d’abord grâce
aux films Bollywood que l’on peut voir un peu partout, et grâce au passage du
show Bharati sur les scènes françaises. Bollywood = rêve, costumes, bijoux,
sensualité. Je vois comme mes élèves prennent plaisir à porter le Salwar, le
bindi, les bracelets, les grelots, c’est l’évasion et la beauté du geste. Par les films Bollywood, les gens découvrent la danse, les coutumes, la culture
et se prennent de passion pour l’Inde.
Alokapari : Les projets avec la Compagnie Indian Style sont nombreux :
beaucoup de spectacles prévus dont le plus proche sera le 29 mars à Marseille.
Nous avons un producteur qui va faire tourner notre spectacle la saison
prochaine. Donc il n’est pas exclu que nous passions à la Réunion, ça sera avec
beaucoup de bonheur.
Je pense que je vais ouvrir de nouveaux cours de danse à
la rentrée de septembre vu l’engouement général, et puis je projette d’emmener
mes élèves d’Odissi niveau avancé en Inde pour les deux semaines de vacances de
février 2009. Je serai moi-même à Pondichéry en juillet prochain toujours pour
approfondir cet art millénaire.
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