Interview
SG : Avec plaisir ! Je suis une des femmes indiennes
ayant eu la chance d'avoir les parents libéraux et ouverts, qui m'ont donné des
ailes pour aller voir ailleurs et faire ce que j'avais envie de faire. J'ai
grandi dans un milieu où la culture était à l'honneur, avec des cours de chant,
de musique, d'art, de danse... à coté de mes études. Je pense que si aujourd'hui
je suis une artiste plasticienne, c'est grâce à cette ouverture, cette
initiation à l'art dès le plus jeune âge. Vivre loin de l'inde m'a beaucoup rapprochée de mon pays, m'a aidée à me
connaitre et à connaitre ma culture.
SG : Quand j'étais étudiante en art à Delhi, j'ai été
marquée par l'Impressionisme, l'art européen, plus particulièrement l'art de Van
Gogh, Monet, Vuillard, Toulouse-Lautrec... Donc j'ai étudié en profondeur, mais
j'ai vite compris que pour bien voir l'art et le comprendre, il faut être
réellement devant les œuvres d'art, en personne.
Donc
mes parents m'ont permis d'aller faire une visite pour découvrir les grands
musées et centres d'art à Paris. J'ai été impressionnée et cela m'a beaucoup
influencée. Même dans mon travail artistique, mes professeurs ont remarqué les
impressions laissées en témoignage des grandes œuvres. Je me suis sentie
connectée à cet art, cette ambiance artistique parisienne. Alors j'ai commencé à
apprendre le français à Delhi et à partir de là tout s'est déroulé sans
encombre. J'ai été acceptée à l'ENSAPC pour la suite de mes études, plus
tournées vers l'art contemporain.
-
IR/LNRI
: Au cours de vos études, ou en d'autres circonstances, quels sont les
artistes, présents ou passés, qui ont le plus retenu votre attention et à qui va
votre admiration ?
SG : Après avoir été intriguée par de Impressionnistes,
cela a été le tour des Expressionnistes, de l'Art Minimal... Quand j''ai visité
les USA, l'art américain à son tour m'a marquée : American Abstracts, Minimal
Art, Pop Art, Colour Field ont retenu mon attention au cours des dernières
années. Mon travail a donc reçu ces influences là, directement ou indirectement. Pour citer quelques artistes, je dirais : George Rousse, BMPT
(artistes français), Louise Bourgeois, Richard Serra, Anish Kapoor, Frank
Stella, Ellsworth Kelly, etc.
J'ai
été boursière-apprentie chez Anjolie Ela Menon à Delhi. À Paris, j'ai croisé
beaucoup d'artistes aussi. J'ai rencontré plusieurs fois Raza, c'était très
intéressant. Mais avant tout, ce sont mes expériences qui m'ont dirigée dans
l'art, ces influences sont aléatoires. Ce sont les actualités dans le monde qui
m'inspirent. Fukushima, les inondations, les guerres civiles, la
commercialisation, ma culture indienne, les technologies de pointe, tout cela,
c'est ce qui me marque.
-
IR/LNRI : Lorsqu'on observe vos créations, on est frappé par la diversité : des toiles
aux accents de pop art, des installations très contemporaines, des vidéos
oscillant entre tranches de vie et clins d’œil à Bollywood... Comment
interpréter cette variété, déroutante d'une certaine manière ?
SG : Quand je ne peins pas, je dessine. Quand je
voyage, je fais des vidéos, des photos et des croquis. Quand je suis dans mon
atelier, je peins et réfléchis à des projets, au montage des vidéos,
j'expérimente... Cela me permet de faire des expériences diverses des
différentes situations de la vie et je reste dans le dynamisme de la création. Ce sont mes études à l'ENSAPC et mon expérience artistique à Paris
qui m'ont permis d'acquérir de la maîtrise et d'être polyvalente. Les
professeurs nous encourageaient à nous ouvrir à diverses médiums et à
expérimenter. Mais tout les médiums d'expression sont importants pour moi. Cela
demande le même investissement, la même sincérité et la même dévotion. Quant à
la vidéo, je suis très influencée par Bollywood.. En Inde, en général, on
grandit avec le cinéma dès le plus jeune âge. Et cela reste dans l'inconscient,
et chez moi cela se traduit par l'envie de créer une comédie, voire une comédie
musicale et une parodie, tout en gardant ma touche personnelle, d'humour et
ironie.
Les
installations, elles, sont très différentes des peintures, l'approche est
différente. L'installation est in-situ, en 3D, dans u un vrai espace, les
spectateurs peuvent tourner autour, parfois toucher, sentir et se balader
dedans... donc c'est conçue différemment.
SG : Hahaha !... Vous trouvez ? Cela me fait plaisir de savoir que les spectateurs
peuvent sentir la même chose que moi. Il faudrait demander à un critique d'art de faire
de la psychanalyse sur mon travail. Ce
n'est pas une décision consciente. Mais il y a assez de problèmes et de malheur dans le monde,
peut-être cela fait
du bien un peu de diversité et de divertissement. Qui sait ? un jour je ferai des
œuvres plutôt tragiques.
SG : Méta-physique... quand on peut pénétrer un espace par notre esprit... une
connexion de spiritualité et de méditation. Physique... quand les gens peuvent traverser mes installations, pénétrer un
nouvel espace dans l'espace... Les gens, la psychologie m'inspirent beaucoup. Plus je rencontre les gens, plus je voyage, plus cela m'enrichit dans ma
réflexion. Je pense que l'art est pour les gens, ce n'est pas quelque chose
qu'un
artiste fait juste pour se faire plaisir. Alors dans ce cas là, c'est un hobby,
un passe-temps. Un artiste fait partie de la société et a des responsabilités,
comme un activiste, un musicien, un ministre.
Pour moi, c'est important de représenter les sentiments humains, les relations
et de créer une dialogue entre l'œuvre et le spectateur.
SG : Oui, le public est très différent en Inde et
ici. Lors de ma dernière
exposition personnelle à Delhi, je suis restée dans la galerie tout le temps pour pouvoir interagir avec le public.
J'ai été ravie. Déjà, retourner en Inde pour montrer mon travail et voir les
réactions des gens... Je les ai trouvés très ouverts, bavards, curieux ! J'adorais.
D'ailleurs, j'ai enseigné dans l'école d'art et animé des ateliers avec les
enfants autour des expositions d'art contemporain à Delhi. C'est de l'espoir,
l'avenir pour la nouvelle génération.
Ici en France, il y a plus de gens qui fréquentent les lieux d'art et ont des
connaissances artistiques de base, et puis les musées existent depuis longtemps en France. Cela a éduqué les
gens.
Donc je pense que les dialogues ne sont pas les mêmes et les réactions non plus.
Mon travail reçoit une réponse très positive en France en ce moment et depuis
quelques années, donc j'y suis. Le milieu artistique en Inde est très différent
d'ici, incomparable ! même si on a tendance à penser que les artistes
contemporains les plus connus (comme Subodh Gupta, Atul Dodiya, Anita Dube...)
ont tout changé en Inde. Non, c'est un mythe. Seulement la vie de ces
artistes-là a changé et celle des leurs
galeristes, grâce à une circulation de leur travail à l'étranger.
C'est difficile pour les artistes d'être
reconnus par les galeristes en Inde. Le grand public commence petit à
petit apprécier l'art et cela va changer quand ils se mettront à acheter
des œuvres d’art. Pour l'instant l'art circule seulement dans les
galeries, les fondations et les foires d'art contemporain, ou les
collections privées.
SG : Je pense que les nationalités sont tout d'abord pour les papiers, les
passeports. Cela reste une question très problématique pour moi. Difficile de se
définir, même si je suis Indienne. Heureusement que je suis une artiste et je
peux mélanger mes êtres et mes pensées, fusionner l'art, créer un art métis,
plutôt. Je n’arrête pas de vivre des différences culturelles en permanence entre
l’Inde et la France, mais c’est cela qui me donne de la force et des idées pour mon
travail.
Dans ma cuisine aussi, je fais des mélanges. Je suis quelqu'un de facile, je peux
vivre dans n'importe quel pays et dans n'importe quelle culture. J'aime les cuisines
française,
japonaise et du Moyen orient, les danses des îles, la langue espagnole, les films
britanniques et l'art américain... Mais l'Inde reste au cœur de tout. C'est pour
cela, maintenant que je vis la moitié du temps là-bas, la moitié ici, à Toulouse, avec
mon compagnon.
SG : Nous, l’association Saison Indienne, lançons
la première édition d'un Festival
sur l’Inde à Toulouse en avril 2013. Il va y avoir des spectacles vivants avec
quelques musiciens venant de l’Inde, des expositions (des artistes contemporains, dont
je ferai partie), des conférences (d'indianistes, d'experts...), avec une programmation
importante de films (fiction, art et essai, animation, drame...), pour faire
connaitre la culture indienne, l’Inde telle qu’elle est aujourd’hui, différente
de ce que montrent les films Bollywood ou de l'image de pauvreté, différente
du Nan-fromage et du Punjabi MC (haha !).
SG : C'est motivant d'avoir des projets en vue, quand les gens me contactent
pour dire que mon travail leur plait et qu'ils veulent m'exposer. C'est rassurant
pour un artiste. Depuis que je suis rentrée de l'Inde en avril 2012, je travaille sans
arrêt sur des projets. Par exemple : Cow Parade : une installation de vaches peintes par
des artistes toulousains, du 30
août au 20 octobre ; une exposition de peintures à Paris du 6 au 29 septembre ;
le festival Couleurs de l'Inde à Balma, du 6 au 10 octobre, le festival
Couleur Asia à l'INALCO, à Paris, du 4 au 10 novembre... Tout est la :
http://swati-gupta.com/invitation.html.
Et après les vacances seront pour moi !
|