Interview
OL : Je
suis pianiste, compositeur de formation, mon vrai nom est Ollivier Leroy
et j’habite à Rennes depuis plus de vingt ans. Je me suis orienté dés
l’âge de dix-sept ans vers le travail de la voix et je me suis produit
très rapidement sur scène en tant que chanteur dans différents ensembles
musicaux.
Mes expériences musicales sont diverses et
variées. Depuis 1994, je me suis produit avec
Pandip, une formation «world music» (pour
l'album Parfums chez Keltia Musique et deux mini L.P), avec
Shafali, une formation composée de
musiciens traditionnels bretons. J’ai participé à de nombreuses
créations (René Madec, le Nabab, un conte musical avec entre
autres le chanteur Yann-Fanch Kemener, Shafali et le quatuor à cordes
Mishra...). J’ai enregistré avec le groupe de world-jazz Mukta
(Warner music), avec le percussionniste breton Dominique Molard pour
Stock an dans (Keltia musique), avec le groupe de chanson française
La Tordue (Sony music) pour son single "Pétrin" contre la double peine.
J’ai également six créations de
ciné
concerts
à nom actif depuis 2001 en étroite collaboration avec des festivals, des
distributeurs de films, des villes.
Enfin en
2006 , j’ai été lauréat de la bourse Villa Médicis hors les murs,
décernée par Culturesfrance (actuellement Institut Français, opérateur
du ministère des affaires étrangères).
En 2002, je suis tombé sous le charme de l’univers Bollywood, j’ai
décidé après plusieurs tâtonnements de créer un spectacle en 2004,
Olli and the
Bollywood Orchestra.
Ce projet , c’est le fruit et le hasard d’une rencontre avec des
musiciens et instrumentistes indiens
de Calcutta.
Toute
l’année, ces derniers enregistrent des musiques pour les fameux films de
Bollywood, contraction de Bombay et Hollywood désignant l’industrie
cinématographique d’un pays où la réussite d’un film repose avant tout
sur le succès de ses chansons et de ses chorégraphies.
Ce premier spectacle musical et vidéo est créé durant l’été 2004
grâce au soutien commun des festivals bretons
Les
Vieilles Charrues
et
Les
Tombées de la nuit.
En 2005, une version remix est créé lors du festival des
Transmusicales de Rennes avec la nouvelle scène indo-pakistanaise
londonienne.
Suivront de nombreuses tournées en Europe et en Afrique dans de
prestigieux festivals et salles. Deux albums seront distribués à travers
l’Europe (Kitch’en en 2005 et Tantra en 2008), enregistrés
en partie en Inde et peaufinés aux studios Real World (UK) de Peter
Gabriel par Marco Migliari (Afro Celt sound System, Ananda Shankar,
Massive Attack…).Le
projet a été soutenu par de nombreux organismes.
OL : J’ai
découvert la musique Indienne vers 1987 grâce à Bob Coke, un musicien
américain de renommée internationale. J’ai démarré un travail de voix
autour des échelles Indiennes auprès de lui. Puis j’ai travaillé à Paris
avec Gilles Petit, où j’ai appréhendé simultanément le chant lyrique,
le chant du raga indien, le théâtre musical.
J’ai
entrepris en 1992 un premier voyage en Inde. Là-bas, je me suis
perfectionné dans le chant classique de l’Inde du Nord (genre Dhrupad)
en suivant l’enseignement d’Ustad Fahiddudin Dagar à Bombay.
A Paris,
j'ai travaillé avec une chanteuse indienne de Calcutta ; j’ai appris
l’aspect plus populaire de la musique indienne à travers des bhajans
(chants dévotionnels) en hindi, bengali, penjâbi.
Dans la
continuité d’une licence de musicologie orientée vers la musique
classique occidentale, j’ai présenté à l’Université de Rennes 2, un
mémoire sur le thème de "L’influence de la musique indienne chez les
compositeurs français après 1945".
Enfin, j’ai abordé aussi le chant qawwali, style populaire du Pakistan
auprès de Shuaïb Mustaq.
La
musique indienne a été comme un aimant musical pour moi, un focus
permanent qui m’a nourri dans ma réflexion artistique et mon rapport à
la musique. C’est avant tout une passion qui petit à petit s’est invitée
dans mon processus compositionnel.
Ce qui
m’a séduit de suite dans la musique indienne, ce sont les sons étirés,
l’usage de la voix comme instrument, toutes choses qui se retrouvent à
travers les ragas, les chants bhajans dévotionnels, les cordes indiennes
et l’extrême complexité des rythmes de la musique indienne. J’ai alors
commencé à chercher des hybridations qui reflètent ma culture
occidentale et cette culture d’adoption.
Je pense que la Bretagne a été pour moi, une région propice à mon
parcours. D’abord il y a l’intérêt des musiciens traditionnels bretons
pour cette musique (les modes indiens, les instruments…), un public
curieux, les possibilités de fusionner mon travail autour de cette
musique avec d’excellents instrumentistes. L’implantation de nombreux
festivals (Les Tombées de la Nuit, les Vieilles Charrues, Les
Transmusicales…) et d’un milieu professionnel curieux de nouveautés a
été essentiel pour me faire connaître.
OL : Bien
sûr. Au début, un artiste comme Nusrat Fath Ali Khan a été pour moi une
révélation ; sa façon de chanter, d’improviser a été pour moi un exemple
à suivre. Puis, j’ai découvert d’autres grands artistes indiens (L.
Subramaniam, Shankar le violoniste, Ali Akbar Khan, Parveen Sultana,
Jasraj…)
Avec le début du projet Olli and The Bollywood Orchestra, je me suis
tourné vers des chanteurs comme Rahat Fateh Ali Khan, Udit Narayan,
Shankar Mahadevan où des chanteuses comme Shreya Ghosal.
J’ai aussi beaucoup écouté la scène Asian anglaise des années 90, le
label londonien Nation Records, Fundamental, Sun Of Arqua, Barmarsh and
Shri avec lequel nous avons collaboré pour un remix en 2008, Talvin
Singh, bien sûr, Nitin Sawhney, …La chanteuse Sheila Shandra… les
projets indiens de Real World… J’ai toujours été curieux et à l’écoute
de projets qui fusionnaient musique / sons Indiens et électro.
OL :
J’essaie de réinterpréter de façon personnelle la musique de Bollywood.
Mes marges de manœuvre ne sont pas évidentes. Il faut éviter les pièges
du mimétisme exotique. Les chansons pour ce dernier album sont
originales, construites comme des tubes bollywoodiens revisités à la
sauce occidentale, mâtinées de rythmes et sons électroniques. Sur les
précédents albums, certains « tubes » de Bollywood avaient été
revisités de façon moderne. La basse, les guitares électriques, les
claviers se mariant aux tablas, mridigam, santur, sitar, et autre
sarangi de la musique traditionnelle indienne. Il s’agit avant tout pour
moi de rendre accessibles aux oreilles occidentales, une musique et une
culture complexes et lointaines.
Si, on veut résumer, on pourrait dire qu’il s’agit de World music où
de Fusion, mais je n’aime pas tellement ces termes car ils sont très
réducteurs et péjoratifs.
OL : Non,
plutôt , d’une musique festive et moderne, le but étant de donner à
l’auditeur occidental une vision plus actuelle de cette musique, de
prendre le meilleur de Bollywood et d’essayer de gommer les préjugés
pour faire découvrir la richesse culturelle et musicale de ce pays.
OL : "Pyar
Ho Joua" est une chanson d’amour ("Je t’aime" en hindi) , "Sapena" aussi
("Rêve" en hindi), ces deux titres parlent de l’amour impossible, thème
récurrent dans la musique de Bollywood, ce sont des chansons plus
émotionnelles bien sûr parce que la façon de chanter doit être très
intériorisée et onirique.
OL : J’ai
commencé à chanter de façon phonétique. Au début, les Indiens eux-mêmes
trouvaient que je prononçais bien et me comprenaient, je me suis dis que
j’avais sans doute quelque chose à creuser en chantant dans cette
langue. En 1997, j’ai rencontré Aparna Narayan, une Indienne du Bengale,
artiste peintre et poétesse, je me suis alors plongé dans
l’apprentissage de l’écriture du sanskrit et de la langue hindi.
Celle-ci m’a ensuite écrit plusieurs textes originaux que j’ai mis en
musique pour nom répertoire et le projet Olli and The Bollywood
Orchestra.
Mon idée est d’être plus précis pour pouvoir chanter en hindi et
d’être plus crédible auprès des Indiens, mais je ne parle pas vraiment
hindi.
OL : Pour
moi, le cinéma indien est le reflet du peuple indien : on y trouve
toutes les facettes de la société indienne, c’est pour cela que le
cinéma est si important en Inde.
C’est un art très populaire qui véhicule tout, la musique, la mode…
l’esthétique visuelle, dénonce les inégalités sociales, et est
accessible à tout le monde.
Je trouve que c’est un cinéma très mal connu en
France et dont la plupart des gens ont une idée fausse et stéréotypée.
On parle toujours d’un cinéma kitch, à défaut de le connaître
réellement dans sa globalité.
OL :
Souvent, les gens nous disent, après le spectacle, que si l’Inde est
comme cela, ils n’hésiteront pas à y aller, donc le pari est gagné. En
France, L’Inde fascine, les clichés sont très forts, mais nous essayons
de donner une image plus moderne de ce pays, plus accessible, moins
exotique.
J’ai fait en Inde de nombreuses rencontres professionnelles à
Kolkatta, Chennai, Mumbai, qui me permettent aujourd’hui de pouvoir
monter mes projets facilement.
Olli and The Bollywood Orchestra n’a pas encore tourné là-bas, cela
devrait se faire l’année prochaine avec ce dernier spectacle qui me
paraît plus abouti.
Les Indiens, en particulier Asad Khan, le sitariste qui joue avec A.R
Rahman sur Slumdog millionaire, me dit que je dois venir à Bombay
car, pour lui, mon projet correspond à ce qu’attendent aujourd’hui les
Indiens.
-
LNRI/IR :
Pouvez-vous nous parler plus précisément de votre dernier album, et
notamment de cette étonnante reprise du tube de Frankie Goes to
Hollywood, "Relax", que l'on doit bien sûr rapprocher du titre de ce
dernier opus ?
OL : Il
s’agissait avant tout de faire un clin d’œil au titre du spectacle bien
sûr. Nous avions sur le précédent album Tantra réalisé un remix
Bollywood du titre "A forest" de The Cure, l’idée étant d’accrocher
l’oreille de l’auditeur occidental sur des reprises que les gens
connaissent bien, mais aussi pour se faire plaisir.
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LNRI/IR : Que
pensez-vous d'artistes tels que Pascal Héni, qui évolue dans un univers
musical comparable au vôtre, ou Rashmi Kant, dans un registre un peu
différent ?
OL : Si
Pascal Héni évolue dans la même "niche" (Bollywood) que nous, la
comparaison s’arrête là, à mon sens, en particulier sur ce dernier
spectacle. Nous avons créé et conçu la musique et la vidéo pour en faire
une vision très personnelle de Bollywood. De mémoire, Pascal Héni a
simplement réinterprété des standards de Bollywood. Son parcours musical
et artistique n’est pas basé sur l’apprentissage de la langue et de la
musique indienne, je crois qu’il a juste eu une passion pour l’univers
de Bollywood.
Par contre, je ne connaissais pas Rashmi Kant,
vous venez de me le faire découvrir.
OL : Pour
le moment, il s’agit pour moi de faire connaître le troisième volet
auprès d’un public le plus large. Nous serons de retour en octobre, puis
en 2014 sur le printemps où l’été et nous travaillons sur le montage
d’une tournée en Inde en 2014 dans les Alliances Françaises.
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