Kunal Basu :

"want to die writing"

      
  

   Les éditions Philippe Picquier, une nouvelle fois, publient en traduction française un romancier indien anglophone : Kunal Basu. Son livre Le Miniaturiste, est paru dans sa version originale en 2003. L'histoire nous entraîne dans l'Inde moghole, sur les traces d'un artiste miniaturiste, comme le laisse deviner le titre. Kunal Basu nous en dit davantage sur ce roman et sur sa vocation d'écrivain...


Interview  -  Site Internet  -  Extrait du Miniaturiste


Interview

  • IR : Kunal Basu, you wrote on your website that writing came to reign over your life in the manner of a grand obsession. Could you please tell us when and how this liking for writing entered your life ? And how did it become this "grand obsession" ?
       Kunal Basu, vous dites sur votre site Internet que l'écriture a fini par exercer une emprise telle sur votre vie qu'elle constitue une véritable obsession. Pourriez-vous nous dire quand et comment ce goût pour l'écriture est entré dans votre vie ? Et comment il est devenu cette obsession ?

KB : I was born in a bookish family.  My father was an independent publisher and my mother an author, who at 85, is still quite prolific. So I grew up reading, arguing, and discussing books, as well as evesdropping on conversations between my parents and their literary friends.  I was set for a literary life - there was no choice !  I had started writing quite early in Bengali - poetry, short stories and essays - but really found my feet writing my first novel - The Opium Clerk - in English, much later as an adult.  That novel changed my life - I began to see everything else as being inconsequential, and the act of writing overcame the daily obstacles of life and livelihood.  Looking back, I didn't quite forsee how obsessive I'd become about my writing, but the bonding of a childhood passion with a lifelong desire to tell stories created a lethal combination from which I couldn't escape.

   Je suis né dans une famille passionnée par les livres. Mon père était éditeur indépendant et ma mère est écrivaine : à l'âge de 85 ans elle produit toujours beaucoup. Ainsi j'ai grandi en lisant des livres, en discutant de livres, en écoutant en cachette les conversations entre mes parents et leurs amis du monde littéraire. Je ne pouvais que devenir écrivain - pas d'autre choix possible ! J'ai commencé très tôt à écrire en bengali - de la poésie, des nouvelles, des essais - mais ce n'est qu'en écrivant, en anglais, mon premier roman - The Opium Clerk - que j'ai réellement trouvé mes marques, beaucoup plus tard, à l'âge adulte. Ce roman a changé ma vie - j'ai commencé à voir comme futile tout ce qui ne se rapportait pas à son écriture, et l'acte même d'écriture m'a permis de surmonter les obstacles de la vie quotidienne et matérielle. Quand j'y repense, je me rends compte que je n'avais pas prévu le degré obsessionnel qu'atteindrait pour moi l'écriture, mais la conjonction d'une passion d'enfance et du désir toujours éprouvé de raconter des histoires a abouti à une combinaison fatale à laquelle je n'ai pu échapper.

  • IR : And what about acting and painting ? Being younger you used to practice both : later, why did you forget about it ?
       Qu'avez-vous à dire sur la comédie et la peinture ? Plus jeune, vous les pratiquiez toutes deux : pourquoi y avoir renoncé par la suite ?

KB : Painting was indeed my primary passion, one that preceded even writing.  But I didn't have the luxury of going to art school, which at the time I was growing up in India, was seen as a sure ticket to unemployment.  I made the bad choice of not struggling through to become a  professional artist.  I would like to think that my love for images has mutated into my writing - which is why I tend to paint with words, enthralled by the visual sensuality of language.
   Theatre was fun - a collective catharsis.  But I realised early on that I couldn't flourish working with others, that for me the creative act had to performed in private, and as much as I love the stage, the bright lights, the thrill of performing, I draw a greater pleasure in conjuring up my stories from behind my desk.
   But life is unpredictable, you see... I might still lapse back into art or performance someday.  In any case, I have stolen heavily from both of these to fertilise my writing.

   En réalité, la peinture a été ma toute première passion, avant même l'écriture. Mais je ne pouvais pas me permettre le luxe de fréquenter les écoles d'art qui, en Inde, à l'époque où j'étais en âge de faire des études, étaient considérées comme aboutissant à coup sûr au chômage. J'ai fait le mauvais choix de renoncer à lutter pour devenir artiste professionnel. J'aime à croire que mon amour des images s'est transposé dans l'écriture - raison pour laquelle, fasciné par la sensualité visuelle du langage, j'ai tendance à peindre avec des mots.
   Le théâtre, c'était pour le plaisir - une sorte de catharsis collective. Mais je me suis vite rendu compte que travailler avec d'autres ne me permettait pas de m'épanouir ; pour moi, l'acte créatif est du domaine du privé. Même si j'adore la scène, les projecteurs, le frisson de se produire en public, je retire un plaisir plus grand encore à faire surgir mes histoires de derrière mon bureau.
   Mais la vie, voyez-vous, est imprévisible... Qui sait si un jour je ne me retrouverai pas sur scène ou les pinceaux à la main ? Quoi qu'il en soit, j'ai beaucoup emprunté à ces deux modes d'expression pour en nourrir mon écriture.

  • IR : Why did you chose to write in English ? Why not in Bengali or Hindi ?
       Pourquoi le choix d'écrire en anglais plutôt qu'en bengali ou en hindi ?

KB : My early writing was all in Bengali.  But, like some other Bengalis, I am a strange bilingual creature to whom English is as much a native language as my mother tongue.  I didn't consciously choose to write in English by banishing Bengali - the words simply flowed out of my pen.  There is another secret pleasure as well : to write in a foreign dialect of English - like The Miniaturist, which I think was written in an Urdu dialect of English.  It's the cross-pollination between languages and dialects that enrich a literary work, and writing in English allows me to engage in acts of deliberate crossovers.

   Mes premiers écrits étaient tous en bengali. Mais, comme d'autres Bengalis, je suis une étrange créature bilingue pour qui l'anglais est, autant que ma langue maternelle, une langue première. Je n'ai pas fait le choix conscient d'écrire en anglais en bannissant le bengali - ce sont les mots qui sont tout naturellement sortis ainsi de ma plume. Mais il faut que j'évoque un autre plaisir secret : écrire dans une forme dialectale étrangère de l'anglais - comme dans Le Miniaturiste, écrit dans une forme dialectale urdu de la langue anglaise. C'est la fécondation croisée des langues et des dialectes qui enrichit le travail littéraire, et l'écriture en anglais me permet de m'engager délibérément dans de tels croisements.

  • IR : The Miniaturist was your second novel, you published it in English in 2003... But could you tell us something about your first novel, The Opium Clerk ? What was it about ? As a first novel, were you satisfied with it ?
       Le Miniaturiste est votre deuxième roman, publié en anglais en 2003... Mais pourrez-vous nous parler de votre premier roman, The Opium Clerk ? De quoi parlait-il ? En tant que premier roma, vous a-t-il satisfait ?

KB : The Opium Clerk, my first novel, tells the story of a young Brahmin boy who works in the British opium factory in Calcutta in the 19th century.  He is innocent of the effect of the drug but gets embroiled in the affairs of his British superior and his opium addicted wife.  An unlikely hero, the opium clerk travels to China and is caught up in rebellion and war, in love and dangerous intrigues. 
   As my first novel, it has a special place within me.  I often find myself 'measuring up' other novels I have written or am planning to write in terms of my first one : 'Will it be as broad and sweeping as 
The Opium Clerk ?  As ambitious and expansive ?  As densely populated with characters?  Although my other novels are distinct from my first, Opium still serves as a curious reference point of sorts.
   It is the first novel written by an Indian on the opium trade, and the first English novel set in the 19th century by an Indian author - both of which give me some degree of pride.

   The Opium Clerk, mon premier roman, raconte l'histoire d'un jeune brahmane travaillant dans l'usine d'opium que les Britanniques avaient créée à Calcutta au XIXe siècle. Il ne sait rien des effets de la drogue, mais est entraîné dans les affaires de son supérieur, un Anglais, et de sa femme, qui s'adonne à l'opium. Héros improbable, "l'employé de l'opium" voyage jusqu'en Chine et se trouve pris dans le tourbillon de la révolte, de la guerre, des intrigues amoureuses et dangereuses.
   En tant que premier roman, ce livre est très important pour moi. Je me surprends souvent à "mesurer" mes autres romans - ceux que j'ai écrits ou que je projette d'écrire - à l'aune de celui-ci : sera-ce aussi large et riche que The Opium Clerk ? Aussi ambitieux et exubérant ? Aussi grouillant de personnages ? Même si mes autres romans sont différents, The Opium Clerk reste pour moi, curieusement, une sorte de référence.
   C'est le premier roman jamais écrit par un Indien sur le commerce de l'opium, et le premier roman en anglais, d'un auteur indien, dont l'action se situe au XIXe siècle - ce dont je suis plutôt fier.

  • IR : Then you wrote and published another novel, Racists (2006) and a collection of short stories, The Japanese Wife (2008) ; you also wrote poetry and screen plays... What is the most interesting and fulfilling as a writer ?
       Après Le Miniaturiste, vous avez publié en 2006 un autre roman, Racists, et un recueil de nouvelles, The Japanese Wife, en 2008 ; vous êtes aussi l'auteur de poèmes, de scénarios... Qu'est-ce qui vous comble le plus, en tant qu'écrivain ?

KB : I have practised different genres - poetry, short stories, essays, screenplays, journalistic articles and academic works - but the writing of novels give me the most excitement.  I was infected by the classical novelists when I was growing up : Voltaire, Dickens, Dostoevsky, Zola, Hugo.... Nothing gives as much pleasure as a completed novel that has grown from a sudden impulse into a life consuming experience, covering several months and travels to many locations.  I tend to mark years by my novels : 2001 was the year of Opium, 2006 that of Racists.

   J'ai en effet pratiqué divers genres - la poésie, la nouvelle, l'essai, le scénario, l'article de presse, la littérature universitaire - mais c'est l'écriture des romans qui m'enthousiasme le plus. Durant la période de ma formation, j'ai été contaminé par les romanciers classiques : Voltaire, Dickens, Dostoïevski, Zola, Hugo... Rien ne procure autant de plaisir qu'un roman achevé, né d'une impulsion soudaine et qui a fini par embraser notre vie des mois durant, nous entraînant en voyage de lieuen lieu. J'ai tendance à me repérer dans les années passées grâce à mes roman : 2001 fut l'année de The Opium Clerk, 2006 l'année de Racists...

  • IR : In which circumstances did you start to write The Miniaturist ?
       Dans quelles circonstance avez-vous entrepris Le Miniaturiste ?

KB : Under very curious circumstances.  The story of The Miniaturist came to me on millenium eve (December 31, 1999), close to midnight as I was strolling in Central London among partygoers.  While the world was welcoming the 21st century, my mind kept returning to the 16th, and I saw images of vast Central Asian plains, minarets, forts, and a team of artists bent over their paintings in a medieval atelier.  The story seemed to form by itself in my mind and I was possessed by an almost frightening desire to write it.  Of course, the novel was not written impulsively - it took months of researching miniature arts, the Moghuls, etc, but the story seeemed to appear in my mind quite magically.

   Dans des circonstances très curieuses. L'histoire du Miniaturiste m'est venue le soir du millénaire (le 31 décembre 1999), aux environs de minuit, alors que je flânais au coeur de Londres parmi les gens qui célébraient ce moment particulier. Tandis que le monde fêtaient l'entrée dans le XXIe siècle, mon esprit s'obstinait à se tourner vers le XVIe siècle : je voyais des images des vastes plaines d'Asie Centrale, des minarets, des forts, et un groupe d'artistes penchés sur leurs peintures dans un atelier médiéval. C'était comme si l'histoire se formait d'elle-même dans mon esprit ; j'étais possédé par le désir presque effrayant d'écrire cette histoire. Bien sûr, je n'ai pas écrit ce roman sur ce coup de tête - j'ai pris des mois à effectuer des recherches sur l'art de la miniature, les Moghols, etc., mais l'histoire semblait se former dans mon esprit de façon tout à fait magique.

  • IR : Can we say that being yourself fond of painting was a reason why you decided to write about your main character, Bihzad ?
       Peut-on dire que votre propre passion pour la peinture a été une raison déterminante pour écrire au sujet de votre héros, Bihzad ?

KB : I am sure my enduring love of painting drew me to the story and its main character.  As I began writing, I saw in Bihzad the same primal passion for painting as I had when I was very young.  I became envious of him - he, after all, had pursued his art while I had abandoned it like a fool.  I suffered at this failure, and was as perplexed as Bihzad about his artistic future.  Of course, I realised that Bihzad's journey wasn't simply the journey of an artist, but that of all creative people including authors.

   Je suis persuadé que ma passion indéfectible pour la peinture est ce qui m'a entraîné à écrire cette histoire et à créer ce héros. Lorsque j'ai commencé la rédaction du livre, j'ai retrouvé en Bihzad la même passion déterminante qui m'habitait quand j'étais un jeune garçon. J'ai fini par l'envier - après tout, lui était allé au bout de son art, tandis que j'y avais renoncé, comme un imbécile. J'ai souffert de cet échec, et cela ma rendu aussi perplexe que Bihzad pensant à son avenir d'artiste. Bien sûr, je me suis rendu compte que le voyage de Bihzad n'était pas seulement celui d'un peintre, mais celui de tout créateur, écrivain y compris.

  • IR : Do you consider you wrote a historical novel ?
       Considérez-vous que vous avez écrit un roman historique ?

KB : I hope The Miniaturist is read as a historical novel, which evokes contemporary sensibilities, crises, and experiences.  After all, the life of my imaginary Bihzad could reflect too a contermporary life in the arts. 
   I researched all sorts of thin
gs in order to write this novel - Moghul history, Persian and Indian art, Sufism, harems, perfume making, elephant fights, gems and jewellery, slave markets, earthquakes...

   J'espère qu'on lit Le Miniaturiste comme un roman historique, mais qui évoque aussi les sensibilités, les crises, les expériences de notre époque. Après tout, la vie de mon héros imaginaire, Bihzad, peut aussi être un reflet de la vie artistique contemporaine.
   J'ai mené toute sortes de recherches pour écrire ce livre - l'histoire des Moghols, l'art persan et l'art indien, le soufisme, les harems, la parfumerie, les combats d'éléphants, le travail des pierres précieuses et des bijoux, les marchés aux esclaves, les tremblements de terre...

  • IR : In this novel was your main purpose to tell a great story, or is there something else, like giving food for thought about painting and art ?
     
     Votre principale intention dans ce roman était-elle d'écrire une grande histoire, où y avait-il autre chose : donner à réfléchir sur la peinture, sur l'art... ?

KB : I think both.  But story first - a strange and heartrendering story, which perhaps says something meaningful about art and the human condition.

   Je pense qu'il y a des deux. Mais il s'agissait avant tout de proposer une histoire - une histoire étrange et déchirante, ce qui peut-être nous délivre un message signifiant sur l'art et la condition humaine.

  • IR : Still we did not talk about your academic career : marketing, management, business studies... Is there any link between this academic life and your author's work ?
       Nous n'avons pas encore parlé de votre carrière universitaire dans les domaines deu marketing, de la gestion, des affaires... Existe-t-il un lien entre cette facette universitaire de votre vie et votre oeuvre ?

KB : I don't think there is a secret corridor between my writing life and that of an university professor in management.  The first reflects my passion and the second the accidents of life that have led me to this particular profession.

   Je ne crois pas qu'il y ait de couloir secret entre ma vie d'écrivain et ma carrière de professeur d'université en gestion. La première est le reflet de ma passion, la seconde n'est que le résultat des hasards de la vie qui m'ont conduit à ce métier en particulier.

  • IR :  As a writer, what are your plans ? Could we know anything about your next book ?
       En tant qu'écrivain, quels sont vos projets ? Pourrions nous savoir quelque chose de votre prochain livre ?

KB : I have just finished writing a new novel about a young Portuguese doctor who goes to China in the 19th century to find a cure for syphilis.  It's a Sino-European novel of sorts.
   My plan is to keep writing novels, because there isn't anything else worth doing with as much passion.  Want to die writing.

   Je viens d'achever la rédaction d'un nouveau roman sur un jeune médecin portugais qui se rend en Chine au XIXe siècle, en quête d'un traitement de la syphilis. C'est un roman sino-européen en quelque sorte.
   Mes projets sont de continuer à écrire des romans, puisqu'il n'y a  rien à quoi je puisse me consacrer avec autant de passion. Je veux mourir en écrivant.

  

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Site Internet

  

   Le site officiel de Kunal Basu est bien sûr en langue anglaise. Il propose cinq rubriques principales, consacrées à des éléments biographiques, aux livres publiés, aux "opinions" et aux "événements" relatifs à la carrière de l'écrivain. La rubrique "Films" vous permettra de découvrir une autre facette du travail de K. Basu puisqu'elle évoque deux productions dont celui-ci a écrit ou co-écrit le scénario : The Magic Loom, réalisé par Sanjeet Chowdhury, et The Japanese Wife, réalisé par Aparna Sen.
   Le site se trouve à cette adresse : www.kunalbasu.com.

     

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