UN EXEMPLE DE LITTERATURE SACREE
A LA REUNION

Conférence de Sully Santa Govindin

                
  
     A l'occasion du Nouvel An tamoul 2002, Sully Santa Govindin, président du Groupe d'Etudes et de Recherches sur la Malbarité et auteur de l'ouvrage de référence Les engagés indiens, donne une conférence, le 17 avril, 18h30 à Saint-Denis,  au CNR et le 19 avril à 18h30 à la salle de Badra Karli à Saint-Pierre. Son thème : « Un exemple de littérature sacrée à la Réunion :Surya Vanom’ (chant premier) de l’ouvrage Pandja Pandavar Vanavarson du poète Pougajéndi Poulavar, XIIè siècle ».
     Je vous propose ici les grandes lignes de cette conférence, communiquées par le conférencier lui-même.
     Vous pouvez également accéder à une interview exclusive de S. S. Govindin.

Introduction Histoire littéraire  Contexte de production  Un patrimoine moribond  Conclusion

Informations pratiques


Introduction

   1) Dans quelle mesure cet ouvrage illustre-t-il la littérature tamoule ? Peut-on le caractériser et le rattacher à un genre particulier ?
   2) Quelle relation privilégiée entretient-il avec l’hindouisme à la Réunion ?
   3) Dans l’espace du koïlou, sa légitimité n’est-elle pas contestée ? Du coup, les mutations en cours ne s’accompagneraient-elles pas de dérives malencontreuses ? 
   4) En corollaire, quelles solutions envisagées afin d’infléchir l’ évolution de ce patrimoine dans le paysage littéraire, artistique et religieux réunionnais ?

 

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Histoire littéraire

     A - Le poète

   1 - Biographie : nom énigmatique ; on lui attribue la paternité de plusieurs ouvrages écrits à différentes époques.
   2 - Bibliographie : œuvres liées à l’épopée de la "Grande Bataille", majeures en poésie formelle avec le (nala venba) - karna moksam (forme théâtrale/narlégon)...
...et œuvres mineures : des récits en prose, des ballades (chant accompagnant certaines danses-poème de forme libre comportant des refrains sur un sujet familier/fantastique) de type (kadaï)
- Nalla tankal : histoire tragique d’une mère qui tue ses sept enfants à cause de la pauvreté.
- Aravali suravali : histoire d’un prince pandya en lutte avec des magiciens de Nellore.
 - Kattavarayan : histoire du fils de Parvati qui doit se reéincarner dans des castes différentes.
 - Alli araçani malaï : histoire de la reine de Maduraï, Alli, intégrée aux thèmes du Mahabharata.
 - Decingou rajan : ballade historique sur le roi Tej Singh, roi de Cenji  en lutte contre les Moghols, au XVIIIè siècle. Etc.
   3 - Intérêt : lecture vernaculaire de la grande tradition sanskrite, voire celle du tamoul épique dont des tranches de vie locale et des préoccupations populaires. Traits de civilisation sudistes et tamouls  s’articulant savamment grâce à  l’ingéniosité du poète : -description de la flore et de la faune (vanam) ; -personnages héroïques ; -mode de vie, etc..     
   4 - Ouvrage de référence : Panca Pandavar Vanavarson poème épique en douze chants, doté de certains traits redondants avec l’épopée : une poésie empreinte de merveilleux et contant des actes héroïques. 

    B - Surya vanom

   1 - Enjeu du chant premier : on expose les circonstances de l’exil en relation avec l’épopée de la "Grande Bataille" ; et surtout Darlmèl, l’aîné des fils de Pandu, évoque les malversations de Tilordilèn : multiples tentatives pour les exterminer, tricheries de Sakuni au jeu de dés, et la tentative miraculeusement échouée pour dénuder  Dolvédé.
   2 - Enjeu de l’exil : ‘premier lanné’ première épreuve qu'il est impératif pour les fils de Pandu de surmonter afin de s’attirer les bienfaits et la protection des forces adjuvantes : Pèlmal et en l’occurrence ici Durvasa rishi.
   3 - Durvasa rishi : un personnage énigmatique, ambivalent tant dans son aspect (sadhu/divin) que ses qualités(terrifiant/bienfaiteur), craint et convoité autant par les Kauravars que les Pandévèls. Cf. la représentation du rishi selon sakuni marmin oncle maternel de tilordilèn ( vers 52 à 87) et   par le narrateur : « irascible, pied aussi précieux que l’or, splendeur indescriptible, invaincu des dévar, grand pénitent », voir les 26 occurrences dans le corpus : « grand connaisseur, ascète sivaïte, tresse emmêlée,  toile ocre et réceptacle et bâton à la main, orné de vibhuti et de santal ».

 

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Contexte de production

     A - Généralités

   1 - Littérature sacrée : le texte est récité dans son intégralité ou presque durant les dix-sept jours précédant la marche sur le feu ; la récitation se produit selon des contraintes liées aux pénitences et aux purifications de ce rituel. Un espace réel matérialise la hiérarchie entre le public et les récitants souvent marcheurs eux-mêmes.
   2 - Défi aux contraintes spatio-temporelles : littérature médiévale puisque le poète appartient au trio de la littérature tamoule médiévale, avec Kambar et Ottakuttar. Elle a migré avec l’engagisme indien des villages du sud de l’Inde vers les camps. La continuité semble remarquable et l’étude comparative et synchronique avec les aires concernées par l’engagisme aussi bien en amont qu’en aval  et surtout sur les lieux de travail situés dans les espaces d’accueil des zones Caraïbes/Pacifique/Océan indien semble prometteur et riche sur l’évolution de cette littérature. Celle-ci se caractérise autant par  la continuité que la rupture par rapport au modèles ancestraux.
Dans une perspective de mise en exergue de la spécificité réunionnaise qui se situerait en rupture par rapport aux modèles ancestraux, il serait pertinent d’exhiber les traits saillants de cette innovation malbar. En s’appuyant sur le corpus de la tradition orale et écrite, des études comparatives menées de front et en synchronie avec les espaces concernés mettraient certainement en évidence les divergences. Celles-ci embrasseraient-elles tant les champs phonétiques, musicaux et sémantiques ?

     B - Exécution

   1 - Au sein du champ religieux son mode opératoire  dissuade toute fantaisie liée à la recherche musicale et aléatoire.  Sa structure mélodique et rythmique sommaire facilite la mémorisation et la transmission. On observe au cours des prestations musicales des phases alternées de déclamation et de chants rythmés suivies de la répétition des phrasés à l’aide des voix auxiliaires.
   2 - Prestation : après une invocation au dieu de l’intelligence, Vinaryéguèl,  le narrateur du Mahabharata, nous allons entendre le septième épisode de ce premier chant à savoir la venue du Rishi Dourvasa au palais de Tilordilèn. Une quarantaine de vers chantés par Marimoutou Alexis au tarlon et accompagné d’un percussionniste, son frère Axèl, au matalon ; ou éventuellement un groupe local composé de deux intervenants : - chanteur et joueur de tarlon, percussionniste et soutien vocal.

  

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Un patrimoine moribond

     A - Du Barldon vers l’explosion des baguettes 

   Constats et Paradoxes 
La marche sur le feu est un rituel en essor constant contrairement à la littérature du Barldon censée l’accompagner, et il y a autant de marches sur le feu que de semaines du calendrier, et elles sont de surcroît étalées sur toute l’année.
Nous pensons que son  expansion est favorisée par les ‘Sapèl marmay’. Malheureusement cette expansion du rituel se fait au détriment des savoirs littéraires et artistiques. Le processus s’est enclenché depuis des décennies et cette tendance s’observe de part et d’autre :
   L'amenuisement de la tradition littéraire se fait au profit des percussions ; mais aussi parfois en substituant la déesse Maliémin à   Dolvédé. L’épopée du Barldon est oubliée au profit du Vanavarson puis le privilège des «composition s» face à l’explosion des baguettes, le raccourci est impressionant. Un indice révélateur sont les roulements de tambour incessants au cours des cérémonies et qui prennent de l’ampleur d’année en année, que ce soit pour le ‘mariaz bon dié’ ou le karmon ; et par ailleurs,  la création du groupe intitulé ‘les tambours sacrés’ : groupe de percussions jouant hors du cadre religieux à des fins ludiques et lucratives, au carnaval dans la rue de Saint-Gilles ou artistiques sur un podium ou dans un studio d’enregistrement, vient confirmer notre hypothèse.

    B - Des traditions orales aux  mandrons védiques

   Transmission : un des objectifs visés par l’enseignement du tamoul  consiste à appréhender la civilisation et le langage oral et grammatical certes ; mais dans quelle structure associative à vocation religieuse ou culturelle, voire pédagogique, aborde-t-on l’étude de la littérature sacrée ? la motivation des élèves ne s’appuie-t-elle pas essentiellement sur l’étude des textes visant à la connaissance du rituel et des litanies, donc vers un apprentissage orienté vers le savoir orthodoxe et brahmanique :  rites mantras et bhajans. Aussi les modalités des transmissions des savoirs littéraires et artistiques nous interpellent.  Nous faisons allusion au patrimoine afférent aux activités strictement artistiques telles que les narlégons certes, mais aussi et surtout aux textes concernant les rites domestiques : naissance, accompagnement de l’enfance et protection de la déesse Pétiaye/Kartéli ; et des rites des ancêtres (sambrani) et funéraires (kalmadi) ; sans omettre les offices religieux (servis) aux ptit bon dié masculins : Mini, Mardévirin, Kattarayin, Pavadérayin, etc..

    C - Proposition et valorisation du patrimoine

   a - Chants du Vartial : cette collection audio-numérique inaugure la volonté de diffuser le patrimoine artistique légué par les engagés indiens. L’ambition consiste à présenter au public créolophone, des poètes dont les œuvres ont migré des villages indiens aux bitasyon insulaires ; et en corollaire de mettre en exergue, voire en parallèle, artiste indien et vartial du monde créole.
   b - Surya Vanom : "un outil remarquable de valorisation et de transmission du patrimoine". C'et un produit original inédit, à savoir un disque compact de 75 minutes, découpé en 16 plages musicales en cohérence avec la structure narrative du premier chant et agrémenté d'un ouvrage didactique : texte tamoul référencé, translittéré, traduit en regard, illustré, et doté d'un appareil critique : annotation, index général, bibliographie et annexe sur les "Chants du Vartial".

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Conclusion

    A - Récapitulatif

   Vanavarson illustre parfaitement l’exemple d’une littérature tamoule se caractérisant par un genre poétique en vers libres,  cependant ce sont des vers chantés car rythmés et mélodiques afin de favoriser la répétition et la mémorisation. Ce genre d’ouvrage, dit kadaï louant d’illustres personnages, est empreint d’héroisme et de merveilleux.
   De même que les Pandévèls, c’est une littérature en exil, mais en terre réunionnaise. Du coup saura-t-elle défier le temps et par là même éviter son érosion qui  semble se précipiter ? Des regards interrogateurs se portent sur son évolution immédiate et future ; de surcroît évacuée des kovils urbains, sa légitimité même se trouve remise en cause au sein de certains koïlous dédiés, pour combien d’années encore ? à la déesse Pandjalé.

    B - Ouverture

  1 - Perspective méthodologique. Puiser dans le corpus de la littérature orale afin d’affiner les recherches sur les origines des Malbars : il s’agirait d’une nouvelle approche pour cerner l’origine ethnique des engagés indiens : à  savoir faire émerger des traces de cultures autres que tamoules : maléalon, télinga voire kalkutta et lascar, en conformité aux témoignages oraux véhiculé par  la mémoire collective et les archives manuscrites.
2 - Perspective de recherche relative au patrimoine littéraire et artistique. Inventorier la littérature orale :
    a - dont les ‘morceaux composés’ fortement liés à l’oralité à l’instar des chants à Alvan, Kartéri ou même Nargoulan, et de ce fait souligner la spécificité de la tradition orale et sa complémentarité avec l’écriture.
    b - forme de résurgences dans l’imaginaire. Ne faudrait-il pas alors se rabattre sur l’imaginaire créole qu’elle façonne  depuis plusieurs siècles déjà   à partir des koïlous et calbanons.  L’analyse nous permettrait certainement de déceler à l’instar des épices de la cuisine créole et des structures musicales du maloya traditionnel (de par sa thématique et ses structures musicales : rythmiques et mélodiques ; id.est. Waro et son ‘mariaz réyoné, Lélé, Viry, et tutti quanti.) issues des camps, des formes inédites de résurgences de cette littérature villageoise. Ferments de l’imaginaire insulaire, ceux-ci confirmeraient ainsi d’autant plus l’articulation du patrimoine indien avec la société globale créole et réunionnaise?

 

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Informations pratiques

  • Pour visiter le site du GERM sur Internet, rendez-vous à l'adresse suivante : http://www.studio-internet.com/germ

  • Pour contacter le GERM, notamment si vous êtes intéressé par l'achat des ouvrages ou du cédérom Surya Vanom :
    Sully Santa Govindin
    Association Germ
    28, lot les tamariniers
    Etang-salé les bains Réunion 97427
    [email protected]

 

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