Nourjehan Viney :

"C’est une histoire de quête. On peut dire que nous sommes tous à la quête d’un idéal..."

      
  

   Les éditions Babel - Actes Sud ont publié Les Contes du roi Vikram, un recueil de récits traditionnels indiens revisités par la jeune écrivaine Nourjehan Viney. Celle-ci nous parle ici de son livre, mais aussi de son histoire familiale et personnelle à laquelle il est intimement et indissociablement lié...
   © photographies : Roald Cassez


Interview  -  Le livre  -  Extrait


Interview

  • IR : Nourjehan Viney, pourriez-vous commencer par vous présenter à nos visiteurs ?

NV : Mes deux parents sont indiens et sont arrivés en France dans les années 70. Je proviens d’une fratrie de dix enfants dont six (les six premiers enfants de mon père) ont grandi en Inde dans la ville de Karikal, ancien comptoir français. Pour ma part, je suis la numéro 8 de cette immense fratrie. Je suis née sur le sol français et je travaille dans le milieu de la Communication depuis plus de treize ans.

  • IR :Vous venez de publier Les Contes du roi Vikram, version personnelle de contes traditionnels indiens : quelle est l'origine ancienne de ces contes ?

NV : Ces contes remontent au VIème siècle. Ils ont été probablement écrits par un certain Gunadhya. Comme toute histoire, ces dernières ont été diffusées par voie orale aussi bien qu’écrite et dans les différentes langues de l’Inde (il y a près de quinze langues officielles en Inde en plus de l’anglais et près de quatre mille dialectes non reconnus). Ils prennent également un nouvel essor à partir du XIème siècle, à travers le Kathasaritsagara (L'Océan des rivières de contes) de Somadeva, qui comprend près de trois cent cinquante contes de vingt-et-un mille shlokas (un shloka équivalant à quatre demi-lignes de huit syllabes).


© photographie : Roald Cassez

  • IR : Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la teneur narrative de ces contes ?

NV : C’est une histoire de quête. On peut dire que nous sommes tous à la quête d’un idéal, ou d’une personne, ou d’un sentiment, ou de l’accomplissement d’un désir, ou de retrouver les sensations de son enfance, ou de se retrouver soi tout simplement. Dans ces contes, tout commence par la quête du Roi Bojarajan qui, soucieux de protéger les sujets de son royaume d’Ujjein, part à la chasse aux tigres jusqu’au fin fond de la jungle. Ses hommes et lui finissent par se perdre mais le roi voit, dans le bec d’un oiseau, un épi et le suit. Il se retrouve alors aux abords d’un immense champ sur lequel est disposé un tertre. En haut de ce tertre, un vieillard est assis dans un fauteuil en osier. Le vieillard les accueille à bras ouverts tout en haut de son piédestal mais lorsqu’il descend de son perchoir et que ses pieds touchent terre, son attitude change et il devient mesquin en cherchant à congédier le roi et ses hommes de façon vile et cupide. Pourtant, parvenu en haut, le vieillard change de tempérament et de nouveau, devient charitable. Bojarajan pense à quelque sortilège tant il est étonné par le revirement du vieillard et lui-même le rejoint en haut du tertre. Là, une paix incroyable le submerge complètement. Il se sent juste, il se sent bon, il se sent idéaliste et se jure d’être le roi le plus serviable du monde. Et comme il est curieux, il cherche également à découvrir ce qui se cache sous ce monticule de terre et fait creuser l’endroit. Et bientôt, il découvre un trône magnifique gardé par de splendides statues d’or qui se trouvent sur chaque marche menant au fameux trône de l’Empereur Vikramadittan. Pour pouvoir y accéder, le roi Bojarajan devra écouter chaque statue raconter les glorieuses aventures de Vikram. Encore une autre histoire de quête…

  • IR : Au-delà du contenu narratif, ces contes ont une saveur riche, où le merveilleux côtoie l'humour, où la monstruosité voisine avec les beautés sublimes... Qu'avez-vous ressenti en rédigeant votre texte et quelles réactions supposez-vous chez votre lecteur ?

NV : Je connais ces contes depuis mon enfance et j’ai dû les lire et les relire au moins une centaine de fois. Comme mon père qui les avait publiés à compte d’auteur dans les années 70 (c’est une adaptation de la version tamoule des histoires de Vikramadittan, assez connues en Inde), j’avais envie de les partager avec le plus large public puisque, en outre, chaque histoire comporte une forme de sagesse universelle. J’avais comme lui, une envie de perpétuer cet héritage culturel pour mes enfants, pour mes nièces et neveux afin qu’ils puissent retrouver le souffle de cet homme merveilleux que fut mon père, leur grand-père. C’est ce souffle, son humour, sa personnalité, ma propre vision des choses également, des souvenirs de mon voyage en Inde (qui pour moi est le voyage de ma vie) il y a près de huit ans et qui m’a menée jusqu’à sa maison d’enfance, qui ont guidés mon travail. J’avais également envie de me retrouver dans la peau d’un enfant de dix ou douze ans avec ses idéaux et sa soif de clémence en travaillant sur ce projet. J’espère qu’il plaira aux lecteurs de tout âge. 

  • IR : Votre préface fait référence à votre tendance, lorsque vous étiez enfant, à vous "exiler" dans le monde imaginaire qui était, notamment, celui de ces contes : en quoi était-ce un "exil" ? En est-ce toujours un ?

NV : Je considère les livres comme mes amis, mes compagnons de route, d’éternels alliés, des enseignants commodes et pratiques puisqu’ils peuvent même tenir dans une poche. J’ai toujours eu le réflexe d’y entrer pour pouvoir apprendre, découvrir, rêver, m’évader. C’est dans ma nature et il est très rare aujourd’hui de me voir sans un bouquin à la main. Je ne peux pas vraiment appeler cela un « exil ». Les livres sont plutôt une ouverture vers d’autres mondes, d’autres univers s’ils ne sont pas des outils qui nous permettent de mieux comprendre le nôtre. 


© photographie : Roald Cassez

  • IR : Ces récits ont donc bercé votre enfance et vous vous les êtes appropriés : en quoi les avez-vous infléchis de façon personnelle ?

NV : A travers les lignes de ces contes, je retrouve des souvenirs de mon voyage en Inde, mes idéaux, ma soif d’un monde plus juste, plus humain, plus respectueux des droits de l’homme et de la femme. J’ai rajouté des touches de couleurs, des parfums, des noms et des prénoms là où ils n’existaient pas. D’autres histoires dans les histoires.

  • IR : Votre livre, vous le disiez, se veut aussi un hommage à celui que vous admirez profondément : votre père. Quelle image gardez-vous de cet homme et quel rôle a-t-il joué dans la genèse de votre livre ?

NV : Je vous l’ai dit, son souffle m’a guidé jusqu’à la dernière ligne. Mon père est l’homme que j’ai aimé le plus au monde. Il était d’une douceur et d’une érudition hors normes. Il était d’une gentillesse, d’une modestie et d’un sens de la justice rares. Je l’ai malheureusement perdu à l’âge de quatorze ans mais j’ai compris, en retrouvant ses pas dans les ruelles de Karikal, quel était son rêve d’enfant. Comme il aimait la littérature aussi bien orientale qu’occidentale, il souhaitait faire partager les contes qui ont bercé son enfance (avant la mienne) à un large public. C’est son rêve que j’ai cherché à réaliser. Le mien n’a été que celui de lui rendre hommage. 

  • IR : Vous êtes musulmane, et les contes rassemblés dans votre livre sont d'origine hindoue : alors que l'on met souvent en avant les conflits qui opposent depuis si longtemps hindous et musulmans, votre ouvrage est-il le signe que les deux cultures et les deux religions peuvent parfaitement se respecter et entretenir un dialogue fécond et paisible ?

NV :  Je tiens à préciser que mes racines, ma famille, sont certes de religion musulmane mais que ma foi, elle, est personnelle. Elle vient de mon expérience, de mes lectures, de mes centres d’intérêts, de mes aspirations, de ma sensibilité. Au-delà des mots et des qualificatifs comme « musulmans », « hindous », « chrétiens, « jaïns », « athées » etc., ce qui compte est le respect de la personnalité de chacun, de chaque être vivant, la recherche de la connaissance et une quête qui est commune à tous : le but de chacun n’est t-il pas simplement d’être heureux ? Parmi les penseurs indiens, j’aime beaucoup les enseignements de Gandhi, de Krishnamurti, de Swami Vivekananda et je cite volontiers ce dernier : « Nous devons apprendre à aimer ceux qui pensent exactement à l’opposé de nous. Au sein de l’humanité, chacun doit avoir sa propre individualité et sa propre pensée. Les sectes doivent être poussées à l’extrême jusqu’à ce que chaque homme, chaque femme soit lui-même une secte. Nous devons apprendre que la différence fait vivre la pensée. Nous avons un seul objectif commun, c’est la réalisation de l’âme humaine, du divin en nous. » Dans les Contes du Roi Vikram, il s’agit plus de sagesse universelle que de rites et de croyances.

  • IR : Votre famille est originaire de Karikal, petite ville tamoule et ancien comptoir français, aujourd'hui quelque peu oublié, comparativement à Pondichéry. Quelle image avez-vous de cette terre de vos origines et quel rapport entretenez-vous avec elle ?

NV : Je suis allé en Inde seulement trois fois dans ma vie. Une fois enfant, avec mes parents. La seconde fois, en jeune femme libre de contraintes, en quête de ses racines indiennes et la troisième fois, dans le cadre professionnel. A chaque fois que j’y suis allé, que j’ai humé les parfums de l’Inde, je me suis sentie plongée dans l’âme indienne, je me suis sentie indienne, j’en ai happé les différences et les richesses. Le souvenir que j’ai de Karikal est émouvant puisque j’ai rencontré la nombreuse fratrie de mon père et j’ai pu mieux cerner son histoire.

  • IR : Vous êtes née en France et y avez grandi : la culture indienne a-t-elle été - et est-elle -  malgré tout, au quotidien, quelque chose qui fait sens dans votre vie ?

NV : J’ai de la chance d’avoir une vraie double culture. A la maison, enfant, nous parlions tamoul et nous nous mettions en habit traditionnel après l’école. Ma mère excelle dans la cuisine indienne et, même aujourd’hui, j’aime faire partager à mes amis, à mes proches, cette cuisine riche en épices et au subtil parfum de ghee. L’Inde a une place importante chez moi puisqu’elle figure sur les photos accrochées aux murs, dans les étagères où s’alignent les éléphants, à travers le parfum de l’encens que nous allumons comme par habitude ou dans mes goûts vestimentaires. Oui, elle fait écho dans ma personnalité.

  • IR : Avez-vous d'autres projets littéraires ou culturels ?

NV :  J’en ai pas mal. Pas forcément liés à l’Inde d’ailleurs. Dans mon entourage, il y a une autre personne à laquelle j’aimerais rendre hommage et qui a vécu, elle, dans le Morvan, à une époque aujourd’hui révolue. C’est une autre histoire. Et cette personne est aussi belle que les contes de mon enfance.


© photographie : Roald Cassez

 

Haut de page


Le livre

 
       
  

   Nourjehan Viney nous emmène dans un univers de légendes, celles qui ont bercé son enfance...
   "Bojarajan, vénérable roi d'Ujein-la-Belle, part chasser les tigres qui menacent sa ville : il s'enfonce dans la jungle, accompagné de ses hommes les plus vaillants. Au cœur de la jungle il découvre un champ de millet ; au milieu du champ un tertre ; au sommet du tertre un fauteuil ; sur le fauteuil un vieillard à la sérénité souveraine. Sous le tertre sont enfouies trente-deux marches en or ornées de statues de femmes, conduisant à un trône d'or. Avant que Bojarajan puisse espérer s'y asseoir, il lui faudra entendre les histoires que vont lui raconter les trente-deux statues d'or, vouées à glorifier la mémoire du roi Vikram.
   Le récit des premières années de Vikram, empereur ayant fait courber l'échine à plus d'une centaine de souverains, puise dans la tradition indienne luxuriance, générosité, humour, aventures, fruits miraculeux, bestiaires fantastiques, démons contrariants et dieux bienveillants (et vice versa). Amour, conflits, magie mènent des contes enchâssés les uns dans les autres, selon la tradition orientale, autour de la figure inquiétante du vampire, maître des énigmes" (quatrième de couverture).

   Le livre est publié chez Actes Sud / Babel. ISBN : 978-2-7427-9959-6

 

Haut de page


Extrait


   « Bojarajan voulut en avoir le cœur net et rejoignit le vieillard. Arrivé là-haut, ô merveille, son âme se trouva submergée d’une paix qu’il n’avait, de toute sa vie, jamais connue. Il sentit se détacher de son cœur, comme autant de feuilles mortes, sa vanité, son ambition, son orgueil et mille autres sentiments abominables qui dessèchent toujours plus vite le cœur des grands hommes. Il n’était plus rien d’autre qu’une âme se laissant pénétrer de toute la beauté du monde. Le souverain se sentait bien, heureux, apaisé. Il se sentait libre, enfin ! Son cœur débordait de noblesse, de grandeur, de générosité, de cette paix qu’il n’avait jamais trouvée ailleurs. Alors il se promit que son sens de la justice ne connaîtrait plus jamais aucune limite. Oui, il délivrerait le royaume entier de la misère et de la détresse humaine. Son pays serait tellement paisible qu’il servirait de modèle aux royaumes voisins. Comme dans son enfance, le roi Bojarajan se prit à redevenir idéaliste et à aimer l’humanité plus que lui-même. »

(Prologue et Premier Conte :
« Comment fut découvert au milieu de la brousse, le trône Kanagasimmanasam »,p 20)

 

Haut de page


   

Retour à la page précédente

SOMMAIRE