Jean-Régis RAMSAMY

"Le bal tamoul fut l’espace de liberté pour les Coolies"

    
  

   La publication d'un nouvel ouvrage de Jean-Régis Ramsamy est forcément pour nous l'occasion d'une nouvelle interview. Fin 2009 paraissait Nalgon, un livre abondamment illustré consacré au "bal tamoul" à la Réunion. Pour en savoir plus sur ce nouvel opus et sur le bal tamoul, voyons ce que l'auteur peut nous en dire...


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Interview

  • IR : Jean-Régis Ramsamy, votre nouvel ouvrage porte sur ce que l'on appelle souvent le "bal tamoul", à la Réunion : qu'est-ce qui vous a incité à aborder ce sujet ? Y a-t-il notamment un vécu personnel qui vous attache au bal tamoul ?

JRR : Je veux expliciter dans quelle mesure l’engagé indien bascule dans la société réunionnaise à l’issue de son contrat.

  • IR : Pourquoi, parmi les différentes appellations tamoules, créoles ou françaises de ce type de manifestation culturelle, avoir finalement retenu pour titre le mot "Nalgon" ? 

JRR : On traduit aussi par théâtre de rue, on dit Terou-kouttou au Tamil Nadou ou Nadagam. Mais les histoires s’appellent kadai, sur lesquelles s’appuient le bal tamoul. Quant à Nalgon, il est une « créolisation » du terme Nadagam, on retrouve d’ailleurs ce terme dans certaines chansons. En clair, Nalgon fait l’unanimité. Quant à la version « bal tamoul », il s’agit d’une appellation faussée, qui ne rend pas compte de la réalité, des personnes non averties, pensent encore qu’il s’agit d’une invitation à la danse.

  • IR : Pourriez-vous rappeler, succinctement, pour les non initiés, ce que l'on désigne à la Réunion, sous le nom de bal tamoul ?

JRR : On a dit, ici ou là, que le Bal était en fait du théâtre chanté.
  
Ces traces remontent probablement assez loin, avant l’abolition de l’esclavage, c’est-à-dire avant 1848. La première lettre que nous trouvons date de 1849, où l’on évoque ce divertissement. Le bal tamoul fut l’espace de liberté pour les Coolies, suite au labeur des champs et des usines. Ils trouvaient là un moyen de rébellion contre le système. Un des acteurs de ce bal disait : nous voulions montrer à nos employeurs (les engagistes) que nous possédions aussi des Rajâ et des Râni… Cela  veut tout dire… Après avoir incarné tel vassal ou monarque, l’Indien se sentait pousser des ailes. Il le fallait bien pour affronter les difficultés de la vie.
   Aujourd’hui les troupes de bal tamoul sont au nombre de trois ou quatre. Autrefois il y en avait trois fois plus. Les bals étaient issus des épopées ou des légendes indiennes. Comme à chaque fois, l’hindouisme n’était pas loin. Les bals s’appelaient « Kisna Vilasom », « Ramayana », « Harishandra »…

  • IR : Comment s'est déroulé votre travail d'investigation sur ce sujet : recherches en archives - lesquelles ? -, travail sur le terrain, voyages... ?

JRR : La lettre de 1849 a été justement extirpée des Archives, mais elle recèle peu d’informations sur notre sujet : ce n’est pas une réelle surprise. Nous avons rencontré de nombreux locuteurs, mais aussi des acteurs directs ou anciens, du bal tamoul. Ce public nous a permis de consolider notre recherche. Nous avons constaté par exemple, qu’autrefois on organisait au moins un bal hebdomadaire, le rythme a été ralenti, puisque aujourd’hui deux ou trois manifestations de ce genre ont lieu dans l'année.

  • IR : L'introduction de votre ouvrage débute par une interrogation que, d'une manière, on peut lire comme pessimiste, voire alarmiste : "Que reste-t-il du bal tamoul à La Réunion ?". Voulez-vous attirer l'attention sur le risque d'une disparition de ce théâtre dansé et chanté, à plus ou moins long terme ?

JRR : Nous ne sommes pas dans le domaine du marketing. Je ne suis chargé par quiconque de mettre en valeur le patrimoine tamoul. Le chercheur rend compte de ce qu’il trouve, ou le contraire. Dans notre cas, c’est vrai que nous sommes bien placés pour tenter de dire ce qu’ont été les traditions indiennes dans l’île. Naturellement les engagés s’appuyaient sur certaines ressources, à l’instar du bal tamoul. Mais l’apparition  de ce livre coïncide certes avec la disparition du Nadagam.

  • IR : Actuellement, qui pratique le bal tamoul et qui constitue son public à la Réunion ?

JRR : Nous avons donné la fréquence plus haut, quant aux troupes, elles sont toujours au nombre de deux ou trois. Quelques personnes isolées tentent de préserver la mémoire des bals tamouls, par le biais d’enregistrements (préparation de DVD ou CD), d’autres des études universitaires. Quelques anciens de plusieurs endroits de l’île promettent de perpétuer cette tradition.

  • IR : D'après vos recherches historiques, et dans les grandes lignes, quelles évolutions a connu le bal tamoul depuis son implantation dans l'île ? A-t-il, notamment, perdu de son "utilité" réelle - laquelle ? - pour devenir une sorte de manifestation folklorique ?

JRR : Précédemment j’évoquais l’aspect d’insubordination. Les autorités craignaient que les engagés puisent dans ces pièces les éléments d’éventuels actes de rébellion ou de révolte. Encore une fois, c'est seulement dans le théâtre de rue que l’engagé pouvait se mesurer à son employeur. Ce n’était qu’un jeu, mais le patron craignait toute forme d’insurrection. La révolte des Cipayes était connue des propriétaires réunionnais. Les travailleurs indiens furent les premiers à dénoncer les abus dans l’île, en ce sens ils incarnèrent les premiers mouvements syndicaux.
   Les Hindous de La Réunion ont la Culture qu’ils méritent. Au-delà du raccourci, beaucoup d’associations culturelles existent. Pensez que la fête Diwali rassemble quelques 15 000 personnes dans les rues.
   Le travail de mémoire débute avec les premières études autour des années 80… avec les premiers auteurs, héritiers des engagés. Plus tôt, des personnalités comme Prosper Eve, Sudel Fuma, Hubert Gerbeau, Jean Benoist,  ou d’autres encore en avaient montré la voie.
   On peut dénoncer pêle-mêle l’Internet, la télévision... pour expliquer la diminution du bal tamoul, façon réunionnaise. Plus sérieusement je pense qu’il correspond moins à notre siècle.

  • IR : Dans votre ouvrage, vous établissez bien sûr des liens entre le bal tamoul et des pratiques indiennes, qui constituent finalement des sources, mais aussi avec des pratiques antillaises : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces liens ?

JRR : Par exemple, à l'île Maurice, le bal tamoul est quasiment inconnu... La raison principale se trouve, à mon avis, dans l’importance numérique du groupe tamoul à l’île Maurice. Il y a une corrélation entre le nombre de Tamouls et l’évolution de sa culture. A l’inverse, les Hindi speaking, (nombreux à Maurice) préservent le Maha Shivaratri, et les Marathi le Vinayak Sadurthi…Par ailleurs, ces deux fêtes font l’objet de réelles célébrations chez nous. Nous honorons aussi dignement ces festivités, comme le ‘Chal Pahal Ki Puja’, en grande partie grâce à un soutien des Hindous historiques de l’île Maurice. Je pense à Ramsamy Gopalsamy Naidu, Sanguily Moutoucoomaren, le Swami Harihara (Indien), ou bien d’autres qui furent des guides pour les Hindous réunionnais.
  
Aux Antilles françaises, excepté la Guyane, nous avons à peu près la même évolution des Terru-kuttu. Des mêla, ou festivals, étaient organisés il y a peu en Guadeloupe, pour valoriser cet art.

  • IR : Au cours de vos travaux sur le bal tamoul, quels ont été les grands moments, les surprises, les découvertes particulières qui vous ont marqué ?

JRR : D’arriver à une certaine conscience de cette pratique religieuse, au départ anodine. C’est assez stimulant de découvrir l’impact d’une telle pratique sur la vie sociale des engagés. Ce divertissement  qui se transforme en moyen de résistance…

  • IR : Changeons de sujet avant de conclure : où en sont les activités de l'ODI à la Réunion ?

JRR : L’ODI-Réunion est sur le point de connaître une nouvelle équipe, qui devrait être « cornaquée », par notre ancien secrétaire Gilles Sagodiranapillai. Nous avons tenté une première entrée, qui fut remarquée nous semble-t-il, à Chennai, avec l’expo des visages des engagés l’an dernier. Cette année encore, nous sommes intervenus à la tribune du PBD, (Pravasi Bharitiya Divas) de New-Delhi. Nous avons été présents dans le projet de stèle à Pondichéry et au Colloque. Je pense que nous n’avons pas failli à nos objectifs. Mais le chantier est encore long. La sortie récente de la thèse de Paokholal Haokip (étudiant originaire de Manipur), sur La Réunion, est l’un des fruits de nos actions. Plus sérieusement nous sommes conscients qu’il a commis le plus lourd travail, nous l’avons accompagné.

  • IR : Pour finir, et comme à notre habitude, nous ne nous quitterons pas sans que vous nous ayez dit quelques mots de vos projets : notamment quel autre ouvrage envisagez-vous d'écrire et de publier dans les mois à venir ?

JRR : Je crains de décevoir votre curiosité ou celle de vos lecteurs. Il ne s’agit pas de fausse modestie, mais je n’ai rien qui puisse attirer votre attention. En tout cas, pas directement dans mon « domaine de prédilection ».

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