Soubaya Daly, frère aîné de feu Mani Daly, avait
dix ans à lépoque. Une mémoire déléphant que le septuagénaire installé
à Saint-Gilles-les-Bains depuis 1950 : En ce temps-là, le Blanc donnait 4 jours de
congé juste après la coupe. On marchait sur le feu le 1er ou le 2 janvier et ont rompait
le carême les deux jours suivants. On tuait un petit cabri et les adultes buvaient un
ptit coup de rhum, voilà comment on célébrait le nouvel-an ! Plus âgé et
en jambes, quil désigne dailleurs en les frappant à grands coups de la paume
des deux mains, Soubaya a fêté Pongol que les anciens associaient au nouvel-an chaque 14
janvier.
Ça commençait par une petite cérémonie au temple - jallais au koïl Siva
Soupramanien à Saint-Paul ville - et se terminait par un repas végétarien vers 12h ou
13h, poursuit le vieux monsieur assis au frais sous sa tonnelle. Aidé de son fils,
Jean-Luc, il se rappelle que le Pongol était alors organisé par André Mottagan alias
Tonton Canou qui, lui-même, avait pris la suite de son vieux beau-père
Dix ans, cest également lâge de Rolande après-guerre. Cette jeunesse du
Quartier-Français, à Sainte-Suzanne, de bientôt 65 ans se souvient bien que Pongol
cest-à-dire la nouvelle année des Tamouls, croyait-on alors, commençait
juste après le nouvel-an des créoles.
Toujours pas de jour férié
Papa, quand le jour était venu se levait de bon matin, prenait son bain puis il
allumait la lampe à huile, le katiomanvelkou disait-il, cette lampe
quon avait astiquée la veille. A lépoque, on navait pas de mèche de
coton comme maintenant alors on déchirait un petit morceau de toile de couleur blanche
quon torsadait entre ses doigts. Il me revenait la charge de veiller à ce
quil y ait toujours de lhuile dans le réceptacle. Il ne fallait pas en effet
que la lumière séteigne avant 18h
Après, mon père priait la terre,
leau, le soleil, le ciel, pour le bien et la santé de sa famille, de ses ennemis et
en tout dernier lieu pour lui-même. Puis, il nettoyait ce quon appelait le feu,
cest-à-dire les chenêts sur lesquels reposaient les marmites, il ramassait les
cendres et les jetait sous un grand pied de bananier. Dhabitude, ce travail
mincombait mais ce jour-là mon père sen chargeait. Il buvait son café,
prenait un seau et allait traire une de ses deux vaches afin de donner du lait au
petit-déjeuner pour sa femme et ses enfants.
Mes parents ont eu 16 enfants mais sur ce nombre huit avaient survécu. A
lépoque, il ne leur restait plus sous le toît que 4 enfants dont une fille, moi.
Après avoir tiré le lait de la vache, il versait de leau dans une grande marmite
et la faisait chauffer. Leau chaude devait servir au reste de la famille pour se
laver. Puis, tout le monde prenait son petit déjeuner, café et lait. On sasseyait
sur de petites chaises cannelées en jonc mais il ny avait pas de table et le sol
était de la terre battue recouverte des excréments de buf. Tous les enfants
avaient revêtu des vêtements neufs ou, à défaut, un bon linge pour sortir. Puis mon
père nous donnait de largent, en fait des petits carrés de carton sur lesquels
était inscrit 1 F ou 2 F. Avec 1 F, on allait sacheter deux sucres dorge à
la boutique. Après, mon père sen allait dans la cour tuer une volaille. Ensuite,
maman préparait le cari, le massalé et tout le monde mangeait ensuite dans une feuille
de bananier. Laprès-midi, le travail reprenait comme à laccoutumée. On
élevait des canards, des poules, des cochons, toutes sortes danimaux et il fallait
les nourrir, puis chercher de la paille, du bois, de leau
Du moins, mon père
qui était colon pour Edmond Payet à Bel-Air, Sainte-Suzanne avait-il son temps à lui.
Bien des gens ne fêtaient pas le Pongol tamoul, comme on disait alors, parce quils
devaient travailler. Bien dautres navaient pas les moyens. A cette époque, la
misère était grande. Souvent, on venait nous demander une pinte de maïs, nous emprunter
un peu de piment, jusquà de la braise pour faire du feu
Des temps de misère pour sûr et dignorance largement causée par la politique
dassimilation forcée alors en vigueur. Ne pouvant être transmis, sil
existait !, le savoir sest éteint de lui-même. Non content de confondre
Pongol et nouvel-an, on a également mêlangé le Sankranty qui est la fête de la moisson
dans le Nord de lInde et le Pongol qui, lui, vient du Sud.
Cette dernière confusion remonte aux années 1950 quand on a commencé à se rendre à
lîle Maurice où le Sankranty était fêté. Il a fallu attendre 1968, année
pendant laquelle a été créé le Club Tamoul, pour que tout cela rentre dans
lordre. Jai dailleurs été linitiateur de cette normalisation en
1970 quand jai pris la présidence de lassociation. Je suis entré en contact
avec les Mauriciens qui navaient pas autant souffert de lassimilation
coloniale et étaient plus érudits que nous. A lépoque, jai commencé à
organiser des fêtes tamoules et, pendant un an, jai publié un journal intitulé
Présence. Enfin, jai rétabli la chronologie correcte des fêtes dans
un calendrier
, explique Germain Canaguy, 67 ans. Comme lon
ne sait pas forcément, le jour du nouvel-an tombe le 13 ou le 14 avril dans
lastrologie tamoule quand le soleil est supposé passer dans la constellation du
Bélier
Pourtant, les associations se sont pressées lentement. La première manifestation
publique, en tous les cas dampleur départementale, du nouvel-an tamoul remonte au
14 avril 1990. A lépoque, 4 000 à 5 000 personnes de la communauté ont descendu
la rue de Paris du Jardin de lEtat à la Place du Barachois.
La plupart des associations culturelles tamoules de lépoque ont répondu à
linvitation quon leur avait lancée. Ensemble, nous avons conclu la
manifestation en lançant depuis le kiosque du Barachois une revendication pour que
lEtat français nous accorde une journée fériée chômée, explique le
docteur Selvam Chanemougame, président-fondateur de lassociation Tamij Sangam (lire
le dossier consacré aux Jours fériés dans le dernier numéro de Sangam, le
magazine de lassociation paru hier). Comme lon sait, le jour de lan
tamoul a acquis depuis ces temps héroïques une notoriété presquaussi grande que
le Dipavali, autre création ex nihilo ou presque de Tamij Sangam. Mais de jour férié,
toujours point. Pouttandou Nalvâjttoukkal !