Céline Wadier :

"Il y a dans le dhrupad à la fois un aspect confidentiel et un aspect très ouvert"

      
  

   Le chant dhrupad est une forme musicale classique hindoustani, c'est-à-dire du nord de l'Inde, qui se transmet depuis des époques très anciennes. Son enseignement a maintenant gagné l'Occident, et Céline Wadier, chanteuse et interprète, est aussi la seule femme professeur de dhrupad en France. retrouvez ici ces réponses à nos questions, ainsi qu'un morceau au forma mp3 : "Le Serpent, Shiva Adimada".


Interview - Écouter Céline Wadier


Interview

  • IR : Céline Wadier, pouvez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

CW : Bonjour, je suis une amie de la musique indienne, plus précisément du dhrupad vocal. Je pratique la musique en tant qu'auteur compositeur interprète et vocaliste de dhrupad.

  • IR : Quel itinéraire vous a conduite à pratiquer la musique indienne, et plus précisément le chant dhrupad ?

CW C'est un itinéraire que n'y conduisait pas à priori. Je voulais intégrer un conservatoire de jazz aux Pays-Bas. Ainsi j'ai découvert le conservatoire de Rotterdam et le cursus en musique classique hindustani. Il n'a pas fallu longtemps à Marianne Svasek, mon professeur, et à Pandit Hariprasad Chaurasia, le directeur artistique, pour me convaincre de prendre cette voie étant donné que ma voix intérieure c'est soudain mise à faire un sacré tintamarre joyeux à l'idée que je me lance dans la musique indienne.

  • IR : Comment s'est déroulé votre apprentissage ?

CW : Très bien. C'était assez long.. Au début on ne sait pas trop si on va tenir, mais une fois qu'on met les deux pieds dans le dhrupad on se rend compte qu'on va en avoir pour au moins une vie :-) Mon professeur, Marianne Svasek, s'est beaucoup investi, elle m'a posé des challenges qui m'ont permis de me dépasser, comme de m'envoyer la remplacer sur un stage aux USA ou de m'emmener sur une tournée au Pakistan. C'était un apprentissage un peu hors du temps. Le département indien du conservatoire est un petit univers qui rassemble des gens venus de partout dans le monde dédier une partie de leur vie à l'apprentissage de la musique hindustani. Ça donne des belles amitiés. Au bout de six ans j'ai passé un diplôme qui me permet d'enseigner à mon tour.

  • IR : Quelles sont les caractéristiques majeures de ce type de chant ? En quoi se différencie-t-il d'autres formes ?

CW : Le Dhrupad est considéré comme la plus ancienne forme de musique classique hindustani. La ligne que je suis, celle des Dagar, met un énorme accent sur l'alap (la présentation du raga, introduction à la composition). C'est une ligne qui va chercher l'essence de la musique, un travail qui va vers la profondeur plutôt que vers l'accumulation de matériel. Selon moi le dhrupad est une musique qui est moins dans la démonstration que dans le développement de la musique à l'intérieur de soi. Ceci dit ça reste impressionnant à voir et à entendre. J'ai toujours été subjuguée par les représentations d'Ustad Zia Fariduddin Dadar et Ustad Bahauddin Dagar. Quelle présence !

  • IR : Quelle est la place du chant dhrupad sur la scène musicale indienne : est-il populaire, réservé à une élite, largement diffusé ou confidentiel... ? Et en France ?

CW : Sur la scène musicale indienne, le chant dhrupad n'est pas considéré comme populaire du fait qu'il a surtout été chanté dans les temples et à la cour des Maharajas. Ceci dit, de nos jours, tout le monde peut avoir accès au dhrupad. Il y a dans le dhrupad à la fois un aspect confidentiel et un aspect très ouvert. Auparavant seuls les hommes d'une famille de musiciens vocalistes de dhrupad depuis des générations pouvaient apprendre le dhrupad. Maintenant c'est différent.
   Il y a un certain nombre d'amateurs de dhrupad en France. Un petit cercle sans cesse grandissant. Ceci dit, pour le moment, je ne connais pas d'autre enseignante féminine de dhrupad que moi-même dans mon pays.

  • IR : Personnellement, que vous apporte le chant ?

CW : Le chant m'apporte l'opportunité d'exprimer ce que les mots ou l'absence de mots ont du mal à exprimer. Il me permet de communiquer par-delà la barrière du langage. Le chant m'apporte un enseignement sur comment fonctionne la vie et comment je fonctionne à l'intérieur de cette vie. C'est aussi un peu comme prendre la température de mes propres émotions, la voix ne sortant pas pareil selon ce qu'on ressent profondément à un moment où à un autre.

  • IR : Quels sont les artistes que vous admirez le plus dans le domaine du chant dhrupad et dans la musique indienne en général ?

CW : Ustad Zia fariduddin Dagar, Ustad Bahauddin Dagar,Nirmalya Dey, Uday Bhawalkar, Marianne Svasek, Amelia Cuni
   L'artiste qui m'inspire le plus en dhrupad est Ustad Zia Mohiuddin Dagar, que je n'ai pas eu la chance de connaître. J'écoute son rag yaman à la rudra vina presque tous les jours. Parfois j'entends sa musique, j'oublie que le CD s'est arrêté et je m'apprête à l'éteindre une nouvelle fois. Sa musique est dans l'air.
   En ce qui concerne la musique indienne en général, la liste serait trop longue, il y a tellement d'artistes, et tellement de formes différentes de musique indienne que j'apprécie.. En ce moment je suis assez portée sur les expériences électroniques et hybrides issues du grand mouvement des années 90. J' écoute souvent Talvin Singh, Niraj Chag, Karsh Kale et Nitin Sawhney vis a vis de qui le terme musique indienne n'a pour ainsi dire pas vraiment de sens. Nous sommes à une période de métissage des musiques, il n y a plus de barrières culturelles ou géographiques ou du point de vue des styles.

  • IR : Et au-delà de la musique indienne ?

CW : J'écoute tous les styles et j'ai une préférence pour les musiques qui font du bien à l'âme d'une manière où d'une autre. jJai été élevée à la musique d'Erik Sati et j'ai quitté l'enfance avec Kate Bush puis j'ai atteint la majorité avec Bjork et le jazz m'a emmenée à rencontrer Ella Fitzgerald, Billy Holiday et Nina Simone. Après il y a tellement d'artistes à citer...

  • IR : Vous êtes aussi professeur de dhrupad : que diriez-vous de cette expérience ?

CW : C'est fantastique de découvrir qu'on peut transmettre quelque chose d'agréable. Je suis persuadée que le dhrupad est très agréable pour tout le monde. Ceci dit, après si on veut mettre les deux pieds dedans, là ça devient à la fois agréable et difficile :-)

  • IR : Quelles sont les qualités requises pour aborder l'apprentissage du chant aussi, et que conseilleriez-vous à celui qui veut l'entreprendre ?

CW : Le respect de la musique. C'est tout. c'est aussi ce qu'on peut apprendre à développer.
   Autrement il n'est pas de qualité spéciale requise pour apprendre le dhrupad. je me permets d'insister sur ce point.
   Il me semble qu'il est plus facile d'avancer dans l'apprentissage quand on garde conscience que la musique est plus grande que nous. La musique ça n'est pas juste un moyen de divertissement à mes yeux, et je crois que c'est un peu ce que transmet le dhrupad. C'est important d'être humble vis a vis d'elle si on veut s'améliorer.

  • IR : Quels sont vos projets ? Pourraient-ils vous conduire à vous produire un jour à la Réunion ?

CW : En dehors de l'aventure du dhrupad, je travaille en tant qu'auteur compositeur interprète sur "Divine Animals", un concert de chansons au piano avec Marc Éric Laine, ainsi que sur "Aesh", un duo electro avec Heiko Dijker. Je fais partie d'un septet appelé Hati dirigé par Nicolas Genest. Je participe régulièrement à diverses collaborations à l'étranger. Mes divers projets collaborations et dates de concert figurent sur mes pages myspace.
   Ce serait en effet une merveilleuse idée d'organiser une tournée à la Réunion.

 

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