Bélinda Encatassamy :
Danse Odissi : "
C’est tout simplement la joie d’exister"
      
  

   Lorsqu'on pense à la danse classique indienne à la Réunion, c'est avant tout le style Bharata Natyam, le plus pratiqué, qui vient à l'esprit. La jeune Réunionnaise Bélinda Encatassamy, quant à elle, a opté, par goût, pour le style Odissi, originaire de l'état d'Orissa. Elle en parle ici avec enthousiasme et fraîcheur.


Interview

  • IR : Bélinda Encatassamy, pouvez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

BE : Jeune femme réunionnaise, je suis  originaire des hauts de l’ouest du côté de mes deux parents mais j’ai beaucoup bougé jusqu’à aujourd’hui. Bientôt je me poserai dans le nord, à Saint-Denis.  Je mène une vie trépidante comme toutes les femmes qui  s’organisent pour concilier vie de famille, travail et activité artistique.

  • IR : Comment s'est manifesté chez vous le goût pour la danse classique indienne ?

BE : C’est pendant l’adolescence, alors que je pratiquais un art martial japonais (l’aïkido) à la recherche d’une voie dans laquelle m’épanouir, que j’ai ressenti le besoin d’expérimenter également  une émotion artistique. Dans ma petite enfance, j’avais eu l’occasion d’assister à un spectacle de danse classique  au temple de Saint-Paul, à l’époque du prêtre qu’on a connu sous le nom de « Aya ». Cela m’avait émerveillée mais je n’avais pas bénéficié de cours à ce moment-là. Le souvenir de l’émotion de la danse indienne m’est revenu naturellement.

  • IR : Vous avez débuté par la danse Bharata Natyam, la plus connue à la Réunion, puis avez finalement opté pour le style Odissi : pourquoi ce choix ?

BE : J’ai commencé le Bharata Natyam car c’est la danse classique indienne la plus répandue sur l’île. Lors de mes études en métropole, je continuais le bharata-natyam, j’ai  aussi fait un stage de mohini-attam et je  suis allée voir un spectacle de danse indienne à Paris. C’était le style «  odissi ». Ce fut un coup de foudre, une révélation.

  • IR : L'apprentissage de ces deux danses est-il foncièrement différent ?

BE : L’apprentissage n’est pas différent des autres styles de danse classique indienne : des exercices d’échauffement quotidiens, des séries de pas de base, des séries de moudras (gestuelle des mains et des doigts) avant d’enchaîner des mouvements pour des chorégraphies du répertoire de base.

  • IR : Et en quoi ces deux styles diffèrent-ils eux-mêmes ? On évoque par exemple plus de souplesse et de rondeur dans le style Odissi... que faut-il comprendre ?

BE : Ces deux styles  ont une approche corporelle différente. D’abord toute danse classique demande  de la  souplesse. Puis, en ce qui concerne l’impression de  « rondeur » du style de l’Odissi, cela est dû à un travail spécifique  de buste. En effet, l’Odissi a la particularité de présenter une ligne corporelle qui engage un mouvement de déhanché, de buste sur le côté, de menton  pointé et de rotations des poignets. C’est cette intervention du haut du corps toujours en mouvement après la frappe du pied qui diffère de tous les autres styles classiques indiens.

  • IR : Votre approche de la danse Odissi inclut-elle cette dimension spirituelle qui est un fondement commun aux danses classiques indiennes ? Que vous apporte cette dimension ?

BE : La danse « Odissi » apporte en effet une dimension spirituelle commune aux danses classiques indiennes. C’est une exploration de soi-même pour aller vers le divin, c’est un apprentissage de « ici et maintenant »  à travers la gestuelle dansée.  C’est tout simplement la joie d’exister.

  • IR : Quels grands souvenirs gardez-vous de la partie de votre apprentissage qui s'est déroulée en Inde ? Et quels souvenirs du pays lui-même ?

BE : Ma relation avec mon professeur de danse en Inde, Madhumita Patnaïk, m’apporte beaucoup. C’est elle qui m’a encouragé  et qui m’encourage toujours à continuer. Elle m’offre beaucoup avec générosité et bienveillance. Un souvenir inoubliable : mon premier spectacle solo  à l’école de danse de l’ashram de Pondichéry !
   Pour ce qui est du pays même, il est difficile de choisir un seul souvenir… Je vous en livrerai deux qui représentent pour moi l’Inde aux multiples visages. En passant par la ville de Bangalore, je suis allée boire un verre dans un café qui était une  réplique d’une navette spatiale de la NASA. C’était si branché que je me suis sentie complètement démodée, je n’ai parlé à personne alors que tout le monde parlait anglais ! Une fois à l’époque où je voyageais seule, mon sac sur le dos, à l’autre bout du pays, sur la route menant au Népal, en panne de bus, j’ai rejoint un petit village à pieds avec des Népalais. A  notre arrivée, les villageois, regroupés autour d’un feu, nous ont accueillis avec un bon thé bien chaud et bien épicé. Nous avons essayé de parler avec force gestes, mimiques, moi en anglais, eux en népalais. Puis nous avons partagé un long moment de silence. C’était la meilleure conversation que j’aie jamais partagée !

  • IR : A la Réunion, comment la danse Odissi est-elle perçue ? Existe-t-il une sorte de concurrence - lorsqu'il s'agite de cours, de stages, de spectacles - avec les artistes pratiquant d'autres styles ?

BE : La danse « Odissi » n’est pas très connue sur l’île. A mon avis, il n’y a pas de concurrence entre les styles puisque les associations se regroupent au besoin pour présenter des projets plus variés. Par  exemple, l’association ARC a donné un spectacle  intitulé « Motishow » en 2010 qui présentait quatre styles différents de danse classique indienne, et la ville de Saint-André a présenté « Pays Nataraj » comprenant sept styles différents. Les associations du sud également se regroupent. Le développement du travail partenarial enrichira le paysage de la danse indienne sur l’île.

  • IR : Hormis la danse, d'autres aspects de la culture indienne font-ils partie, au quotidien, de votre vie ?

BE : Je lis  des œuvres littéraires (R. Tagore est celui que je relis à loisir) ou de philosophie indienne (Krishnamurti a été mon premier coup de cœur), j’’écoute de la musique, je fais de la cuisine indienne de temps en temps, je participe à quelques rites religieux familiaux (le semblani) ; j’allume la lampe chez moi le soir.

  • IR : Que pensez-vous de l'éternel débat qui oppose les partisans d'une culture proprement "malbar", métissée, propre à la Réunion, et ceux d'un rapprochement culturel avec des racines culturelles indiennes plus "orthodoxes" ?

 BE : Je fais mien l’adage « La Vérité n’a pas de sentier, et c’est cela sa beauté : elle est vivante » et je choisis de m’exprimer par la voie artistique. 

  • IR : A ce jour, quels sont vos projets artistiques ?

BE : Au mois d’avril, à l’occasion du jour de l’an tamoul, je prépare trois spectacles (à Saint-Pierre, Piton-Saint-Leu et Saint- Denis) à l’initiative d’associations culturelles. Pour dipavali, j’ai le projet de faire venir mon professeur et sa sœur danseuse  pour un spectacle à la salle Guy Alphonsine, et autres selon les possibilités. Je croise les doigts… Pour les projets de l’année prochaine, ce ne sont encore que des ébauches.

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