Sarah Avril :

"Ce qui me nourrit le plus dans la danse kalbelia est le fait de pouvoir, à partir d’une technique transmise, improviser au gré de l’inspiration"

      
  

   Dans notre exploration de l'univers infiniment varié des danses indiennes, nous avons jusqu'ici surtout côtoyé les formes classiques, du nord comme du sud. Je vous invite aujourd'hui à découvrir une danse populaire du Rajasthan, la danse kalbelia, qui tire son nom de celui du peuple qui lui a donné naissance. C'est Sarah Avril, jeune Toulousaine pratiquant et enseignant cette danse, ainsi que quelques autres, qui nous en parle avec toute la passion qu'elle porte à cette forme d'expression.


Interview

  • IR : Sarah Avril, pourriez-vous tout d'abord vous présenter à nos visiteurs ?

SA : Bonjour. Je suis danseuse. Je vis actuellement près de Toulouse, dans le sud ouest de la France où je danse et enseigne la danse kalbelia.

  • IR : Comment avez-vous découvert la danse kalbelia et qu'est-ce qui vous a incitée à l'étudier ainsi qu'à la pratiquer ?

SA : Passionnée par les cultures nomades, j’ai d’abord découvert la danse kalbelia à travers le film Latcho Drom de Tony Gatlif, qui retrace la route des gens du voyage de l’Inde vers l’Espagne. Puis j’ai eu l’occasion de la découvrir réellement lors du festival de danse de Montpellier, où se produisait un groupe de musiciens et danseuses du Rajasthan. Je l’ai enfin redécouverte avec le musicien Titi Robin et la danseuse kalbelia Gulabi Sapera à l’occasion d’un spectacle.
  
Très attirée par les danses gitanes, à ce moment-là je faisais beaucoup de flamenco et de danse orientale. Lorsque j’ai vu pour la première fois cette danse, j’ai été fascinée par sa virtuosité. Pour moi c’était justement à la fois le flamenco et la danse orientale, et j’ai tout de suite eu le désir de l’apprendre.

  • IR : Comment pourriez-vous décrire cette danse ?

SA : C’est une danse populaire (ou « folkloric dance » au sens anglais du terme), dans le sens où elle donne une place à l’improvisation, c’est à dire à l’inspiration du moment, aux émotions qui traversent les danseuses et danseurs. Tout comme les danses de chez nous, certes peut-être moins présentes aujourd’hui, qui permettent d’exprimer la vie quotidienne, avec ses joies et ses peines, et de transcender le quotidien. En même temps, l’improvisation se fait à travers une technique de danse, liée à la culture kalbelia précisément et à la culture indienne plus généralement.
   La danse kalbelia, ou danse sapera (danse du serpent) est une danse très dynamique, expressive, joueuse et gracieuse, où chaque partie du corps est à la fois isolée et accentuée sur le rythme de la musique. Elle trouve également beaucoup de virtuosité dans les tournoiements.

  • IR : Existe-t-il des liens avec les danses classiques, notamment avec celle qui est probablement la plus proche géographiquement, le kathak ?

SA : Pour moi, il existe réellement des liens avec les danses classiques indiennes, puisqu’elles sont issues de la même culture. On peut trouver des similitudes notamment entre le kathak et la danse kalbelia à travers la finesse de la gestuelle et la virtuosité des tours.
   Les danses populaires évoluent perpétuellement à travers les personnes, les générations et l’histoire du pays puisqu’elles reflètent la vie quotidienne qui se transforme au fil du temps. La danse kalbelia évolue énormément depuis qu’elle est présentée sur scène. Développée dans le cadre du spectacle, elle s’élabore et s’inspire à la fois des danses classiques indiennes, du Bollywood, mais aussi de la danse orientale et plus généralement des danses occidentales dites « modernes ». De la même façon que la danse Bollywood s’inspire des traditions indiennes et de la culture occidentale.

  • IR : Vous connaissez donc bien, également, la danse orientale et le flamenco... en quoi consiste la continuité que vous évoquiez entre ces danses et la danse kalbelia ?

SA : La continuité que je peux retrouver entre toutes ces danses est leur virtuosité et leur spontanéité, leur côté « sauvage », insaisissable, spécifique à la culture gitane, rom, tsigane… On retrouve beaucoup de similitudes d’une danse à l’autre par le rythme, la gestuelle, et en même temps chacune a son style, sa particularité, liés à la culture où elle se développe.

  • IR : Vous semblez avoir été particulièrement séduite par cet état indien qu'est le Rajasthan : pouvez-vous nous parler de cette passion ?

SA : Le Rajasthan est un état indien très particulier et pourrait être un pays à lui tout seul, tant il y a de diversité culturelle sur un même territoire. C’est aussi la région la plus colorée que j’ai vue en Inde, où les tenues traditionnelles sont très colorées et très originales, où il y a encore beaucoup de « tribus » et de populations rurales, où l’histoire est riche de migrations de peuples.
   Le Rajasthan c’est aussi le désert : le Thar, désert le plus habité au monde. J’avoue que le désert m’a toujours procuré de fortes sensations, surtout dans ce pays où le dénuement de la terre contraste avec l’intensité des couleurs portées par ses habitants. Le Rajasthan c’est aussi  une porte vers l’Orient, la route des épices, une terre où cohabitent hindous et musulmans, et encore plein d’autres choses…

  • IR : Vous avez découvert au Rajasthan d'autres formes de danse : ghoomar et tera taal : qu'ont-elles de particulier ?

SA : Le ghoomar est une danse populaire du Rajasthan qui se danse en cercle entre plusieurs femmes. Elle illustre les atouts de la féminité, telle une ballade, et a des similitudes avec la danse kalbelia qui utilise les mêmes mouvements, bien que dans une tout autre énergie. C’est une danse très esthétique qui se regarde globalement, tel un kaléidoscope.
  
Le tera taal est une danse rituelle  pratiquée par la communauté kamad au Rajasthan, qui permet d’honorer le saint des pauvres, Baba Ramdéo. Danse de prouesse par le maniement de cymbales qui tournoient et s’entrechoquent au son de la musique, elle se diffuse depuis quelques années sur scène pour son aspect spectaculaire.
  
Ces deux danses esthétiques sont très différentes et témoignent de la richesse culturelle du Rajasthan.

  • IR : Personnellement, qu'appréciez-vous le plus dans la pratique de la danse kalbelia ? Que vous apporte-t-elle ?

SA : Le fait de danser cette danse me donne beaucoup de plaisir, car elle me renvoie avant tout à une expérience vécue en compagnie des Kalbelias. Elle me donne de la bonne humeur, de la légèreté, de la spontanéité et une envie de m’amuser !
  
Ce qui me nourrit le plus dans la danse kalbelia est le fait de pouvoir, à partir d’une technique transmise, improviser au gré de l’inspiration. Elle me permet donc de trouver peu à peu une danse plus personnelle car, n’étant pas indienne, mon envie est d’utiliser cette gestuelle pour créer quelque chose d’autre. C’est une certaine liberté que l’on peut trouver dans les danses populaires, à condition de ne pas les figer. A mon sens, la danse est faite pour évoluer constamment à travers le mouvement de la vie. Ma démarche personnelle est donc de voguer entre la danse telle que je l’ai apprise au Rajasthan et la danse telle que je peux la transformer, entre tradition et création.

  • IR : Vous avez fondé l'association KAMLI : quels sont ses objectifs et son fonctionnement ?

SA : L’objet de l’association KAMLI est de « promouvoir la culture et les arts indiens, nomades et plus généralement les échanges interculturels et les pratiques artistiques, par le biais de l’ethnologie, de la pédagogie, des pratiques de danse et de la création artistique ».
  
Elle propose différents types d’interventions régulières ou ponctuelles : cours, ateliers et stages de danse kalbelia ; démonstrations de danse dans diverses structures (culturelles, scolaires, hospitalières…) ; spectacles de musiques et danses du Rajasthan ; conférences à caractère ethnologiques et diaporamas sur le Rajasthan et les Kalbelias.
   Actuellement elle propose des cours réguliers sur toute l’année scolaire, des stages mensuels et quelques interventions ponctuelles pour des conférences ou des spectacles.

  • IR : Vous êtes basée à Toulouse : existe-t-il une vie culturelle "indienne" importante dans la ville et dans la région ?

SA : A Toulouse, il y a quelques personnes seulement qui pratiquent des disciplines indiennes et qui l’enseignent, mais cela reste très restreint. Selon moi il manque réellement une structure culturelle qui permette de lancer une initiative, de fédérer ces pratiques et de tisser un réseau culturel indien plus important. En même temps je pense que l’Inde devient à la « mode » et que cela peut se développer rapidement, à Toulouse comme ailleurs.

  • IR : Quels sont vos projets ? Avez-vous déjà envisagé de vous rendre à la Réunion pour des spectacles, des ateliers de danse kalbelia ?

SA : Mes projets sont très variés et se dessinent pas à pas. Je souhaite continuer à enseigner la danse kalbelia et pense peut-être donner davantage de cours et de stages en région toulousaine, en France et à l’étranger. Je souhaite également, parallèlement à la transmission, continuer à explorer cette danse à travers la création artistique, en m’inspirant du flamenco, de la danse orientale, mais aussi de la danse contemporaine, vers une danse plus personnelle.
   J’ai déjà pensé à venir à La Réunion pour donner des stages de danse kalbelia ou pour prendre des vacances, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de m’y rendre. Pourquoi pas l’année prochaine ?

 

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