Isabelle Anna :

Le Kathak : "c’est un style très libre, bien qu’il se base sur une technique précise"

      
  

   Nous vous avons déjà à maintes reprises proposé des interviews de danseuses et danseurs de divers styles indiens, mais pour la première fois c'est une professionnelle de la danse Kathak, du nord de l'Inde, qui répond ici à nos questions. Isabelle Anna est française, mais elle est reconnue en Inde même pour ses qualités de danseuse et de chorégraphe, ayant su donner à son art traditionnel une ouverture contemporaine sur d'autres horizons.


Interview  -  Site Internet


Interview

  • IR : Isabelle Anna, pouvez-vous tout d'abord vous présenter aux visiteurs d'Indes réunionnaises ?

IA : Française, née dans un milieu culturel indien à Paris, j’ai commencé ma formation en danse par le Bharata Natyam à l’âge de cinq ans. Parallèlement, j’ai aussi été formée en piano, solfège, harmonie, contrepoint, art dramatique et danse classique pendant de nombreuses années jusqu’à mes études universitaires où j’ai développé mon goût prononcé pour les langues.

  • IR : D'où vous vient votre intérêt ou votre passion pour la danse indienne de style kathak ?

IA : Mes parents ont créé en 1975 le Centre Mandapa, qu’ils dirigent toujours. C’est un centre culturel qui a pour but de promouvoir les arts traditionnels du spectacle, de toute culture. Mais mes parents ont toujours eu une passion pour l’Inde. Les concerts, récitals de danse... ont par conséquent une importante connexion avec l’Inde. Nous avons également une école de danse indienne, où deux styles sont maintenant enseignés, le Bharata Natyam et Kathak (depuis 1993).
   Après de nombreuses années d’études de Bharata Natyam au Centre Mandapa avec différents professeurs, j’ai découvert le Kathak en 1998 avec Sharmila Sharma, disciple de la légende vivante du Kathak Pandit Birju Maharaj. Sharmila enseigne au Mandapa depuis 1993.
   Elle a d’ailleurs participé au festival indien à l’Île de la Réunion, organisé par mes parents avec le soutien de l'ICCR(1) en 1992 à Saint-Denis.

  • IR : Comment s'est passée votre formation ?

IA : Boursière des gouvernements indien (ICCR) et français (EGIDE) en 2001, je suis partie à New Delhi pour étudier le Kathak à la source, à l’institution gouvernementale Kathak Kendra, auprès du maître Pandit Jai Kishan Maharaj, fils aîné du célèbre Pandit Birju Maharaj. La bourse était pour un an, mais étant inscrite dans un cursus de trois ans, je décidai de rester. J’obtins ainsi le Honours Course Diploma (2004), alors réservé aux étudiants indiens, et le Post Diploma (2006). La formation était complétée de cours de chant, tabla et yoga.
   J’ai également été boursière du Ministère français de la Culture en 2003 pour les Études Chorégraphiques, ce qui me permit d’entreprendre des recherches sur l’origine du Kathak, son évolution et ses liens avec d’autres cultures. C’est alors que j’ai commencé à chorégraphier sur des musiques non-indiennes (arabo-andalouses, religieuses, persanes...), montrant ainsi les cultures qui ont influencé le Kathak, et vice versa.
   En 2007, j’ai créé ma compagnie de danse « Kaléïdans’Scop ». Je fais également partie des danseurs de Kathak solistes reconnus par le gouvernement indien (ICCR).

  • IR : Quelles sont les particularités du kathak, et en particulier ce qui le différencie des autres danses classiques indiennes ?

IA : Le Kathak, style classique du nord de l’Inde, est le seul style à avoir une double influence, hindoue et musulmane. Autrefois dansé dans les temples comme bien d’autres styles de danse indienne pour retracer les histoires des dieux du panthéon hindou, c’est vers le XVème-XVIème siècle qu’il prend toute l’élégance et la virtuosité qu’on lui connaît  encore aujourd’hui. Ce moment correspond avec l’invasion du nord de l’Inde par les empereurs Moghols. Le Kathak est alors dansé à la cour des empereurs, et par des femmes, et devient une style tout à fait profane. Un nouveau répertoire se crée, mêlant chants d’amour (ghazal) et virtuosité technique, car son but est de divertir.
   Le Kathak se distingue des autres styles de danse indienne par ses successions de pirouettes, de jeux de rythmes complexes, de frappes de pieds qu’on peut apparenter au « zapateado » du flamenco, et sa manière  unique de scander les onomatopées avant de les mettre en mouvement. Il offre également au danseur une grande liberté d’interprétation des rythmes scandés.

  • IR : Le kathak est-il encore très prisé et très pratiqué en Inde ?

IA : Tout à fait. Principalement dans le nord de l’Inde, à Delhi bien sûr, où il existe plusieurs écoles, la principale étant Kathak Kendra. Mais aussi dans l’Uttar Pradesh, le Madhya Pradesh et un peu au Rajasthan (Jaipur). Il est pratiqué aujourd’hui aussi bien par les femmes que les hommes, et a gardé deux répertoires, hindou et musulman.

  • IR : A-t-il connu dans le passé et connaît-il actuellement des évolutions ?

IA : Pour le passé, l'on peut se reporter à ce que je disais dans l'une des réponses précédentes, en évoquant notamment le tournant du XVème-XVIème siècle.
   Actuellement, il subit encore une évolution, car c’est un style très libre, bien qu’il se base sur une technique précise, mais une grande variété de mouvements et d’interprétation est apportée par les maîtres actuels qui perpétuent la tradition.
   Il existe aussi des compagnies indiennes qui apportent un nouveau souffle au Kathak, basé sur la recherche et le mouvement, la chorégraphie. Un Kathak sorti de son univers traditionnel, plus contemporain.

  • IR : Personnellement, que vous apporte cette danse, que ressentez-vous en la pratiquant ?

IA : Le Kathak est devenu pour moi un moyen d’expression corporelle puisqu’il est à la base de mon travail chorégraphique. Il m’aide à me réaliser en tant que danseuse sur scène, professeur car je l’enseigne aussi, et en tant que chorégraphe.

  • IR : Et quel est votre meilleur souvenir de danseuse ?

IA : Un spectacle que je donnais en Inde, à Chandigarh, lors d’une tournée dans le cadre des Alliances Françaises en 2004.
   A la fin de la représentation, une femme est venue avec sa fille me féliciter dans la loge. Et en me voyant de plus près, elle s’est rendue compte que je n’étais pas indienne. Mon nom et ma peau blanche sur scène ne l’avaient pas surprise pendant le spectacle.

  • IR : Quels sont les danseurs et danseuses, tous styles confondus, que vous admirez le plus ?

IA : Mon maître Pandit Jai Kishan Maharaj, pour sa générosité dans son enseignement.
   Sinon, la liste serait longue !

  • IR : Qu'auriez-vous envie de dire pour inciter un jeune garçon ou une jeune fille à se lancer dans le kathak ?

IA : Le Kathak est, à mon avis, l’un des styles de danse indienne les plus difficiles. Il requiert plus d’une dizaine d’années d’études. Et j’ai l’impression que plus on avance dans son apprentissage et son expérience du Kathak, plus il y a à découvrir et à perfectionner.

  • IR : Quels sont les autres aspects de la culture indienne qui vous attirent ?

IA : La musique, indissociable de la danse ! Le cinéma...

  • IR : Et quels sont vos projets ? Pourraient-ils vous conduire par exemple jusqu'à l'île de la Réunion ?

IA : Danser, faire partager ma passion au plus grand nombre... et pourquoi pas à l’Île de la Réunion... où le Kathak n’est pas aussi populaire que le Bharata Natyam par exemple.


(1) : ICCR: Indian Council for Cultural Relations. Retour au texte.

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Site Internet

  

   Isabelle Anna est présente sur la Toile par un site en anglais qui propose en particulier les rubriques suivantes : biographie, galerie d'images, revue de presse (en particulier des articles au format pdf), projets, partenaires, liens et un chapitre plus original consacré aux coulisses, avec notamment des informations techniques destinée aux organisateurs de spectacles.
   L'adresse du site est : http://www.kathakanna.com

     

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