Martine Armand :

Amitabh Bachchan : "il existe une fascination que la plupart des réalisateurs indiens semblent ressentir à son égard"

      
  

   Événement cinématographique majeur de ce mois de janvier 2009, le 3ème  Salon du Cinéma de Paris a choisi de mettre en vedette le cinéma indien, dans sa diversité. Projections, master classes et autres attractions devraient ravir les passionnés de Bollywood et des cinémas régionaux. Cerise sur le gâteau, la star incontournable de ces trente dernières années, Amitabh Bachchan sera présent ! Martine Armand, programmatrice de la thématique indienne du Salon répond ici à nos questions....
  
Pour la photo de M. Armand, © FICA


Interview  -  Lien vers le site du Salon du Cinéma

Autre interview de M. Armand


Interview

  •  IR : Martine Armand, les visiteurs de notre site vous connaissent déjà et savent quels sont vos liens avec le cinéma indien. Vous avez été approchée par les organisateurs du Salon du Cinéma à Paris pour l'édition 2009 : pouvez-vous nous dire le rôle que vous avez et allez jouer dans le cadre de cette manifestation ?

MA : Notre rencontre s’est faite lors de ma conférence sur les « stars du cinéma hindi » à l’auditorium Guimet dans le cadre de la cinquième édition de l’Été indien.

   Le Salon m’a proposé d’être conseiller pour la thématique Inde, de conduire une master class avec Amitabh Bachchan ainsi qu’une table ronde consacrée aux coproductions franco indiennes. Par ailleurs, je présenterai les films de la soirée dédiée à Amitabh Bachchan en sa présence et en présence des producteurs indiens venus de Mumbai pour l’occasion.

  • IR : L'Inde sera donc invitée d'honneur de ce Salon du Cinéma : quels seront le temps forts de cette "thématique indienne" ?

MA : Les temps forts commenceront dès l’inauguration, le 15 au soir, placée sous les couleurs de l’Inde, et Amitabh Bachchan sera à l’honneur. Deux films seront projetés dans la soirée : un documentaire, Everlasting Light, retraçant sa carrière, ainsi que le film de Rituparno Ghosh : The Last Lear, inédit en France.

   La journée du 16 sera riche en événements et la présence d’Amitabh Bachchan sera quasiment constante jusque tard dans la nuit.

   Le matin, une table ronde Paris-Bombay abordera les enjeux croisés entre Paris et Bombay sur l’accueil des tournages. Des intervenants de marque y participeront  et le débat sera animé par Olivier-René Veillon, Directeur de la Commission du Film en Île de France.

   L’après-midi, après sa rencontre avec les media et le public, Amitabh Bachchan donnera une master class d’une heure et demi.

   En fin de journée une table ronde sera consacrée à la place des coproductions dans le cinéma indien aujourd’hui. Les intervenants seront Nalin Pan, le réalisateur et producteur indien de Samsara, entre autres films. Il y aura les producteurs indiens des films The Last Lear et Sarkar Raj, Michel Amathieu directeur de le photographie et Anne Seibel chef décoratrice qui ont tourné le dernier film de Dev Benegal : Road Movie.

   La soirée continuera avec les projections de Sarkar Raj de Ram Gopal Varma en avant première en France, Black de Sanjay Leela Bhansali et Sholay de Ramesh Sippy, une nuit de cinéma autour d’Amitabh Bachchan, des films de genres et d’époques différentes.
   D’autres événements liés à l’Inde se dérouleront en parallèle, comme une exposition de photos « Camera Kid »,  de huit jeunes enfants de Calcutta, ou encore une exposition « Bollywood à Contre Champ » sur les coulisses des tournages de la plus grande industrie cinématographique du monde.

  • IR : La venue annoncée d'Amitabh Bachchan, à défaut de la famille au complet, est un événement majeur qui devrait réjouir les nombreux passionnés de Bollywood... Mais pouvez-vous nous en dire davantage sur cette présence et sur le rôle que jouera Amitabh Bachchan durant le Salon ?

MA : Oui, en effet de très nombreux passionnés ont déjà envoyé des mails au Salon dès l’annonce de sa venue, et on prévoit une forte affluence pour les événements liés à sa présence.  Il jouera un rôle de catalyseur, car à lui seul il incarne quatre décennies de cinéma indien. Il n’y avait encore jamais eu de rétrospective ou d’hommage à Amitabh Bachchan à Paris.

   Comme nous nous trouvons dans un salon et non un festival de films, bien qu’il y ait des films au programme, les rencontres avec les media mais avant tout le public seront les moments forts. Par ailleurs, le Salon est une plaque tournante réunissant de très nombreux professionnels. Des personnalités de la culture et du cinéma, des producteurs français sont désireux de le rencontrer. C’est ainsi que les projets naissent parfois.

  • IR : Profitons de l'occasion : personnellement, et en tant que spécialiste du cinéma indien, que pensez-vous des quatre acteurs et actrices de la famille Bachchan ? Qu'apportent-il au cinéma bollywoodien ?

MA : Ils sont à présent réunis en une famille de cinéma exceptionnelle sur plusieurs plans, mais ils ont chacun une personnalité et un parcours propres.  Il est intéressant de voir par exemple le père et le fils dans des films comme Sarkar Raj de de Ram Gopal Varma que nous allons présenter, et où nous retrouvons aussi Aishwarya Rai-Bachchan.  Quant à Jaya Bachchan que l’on a retrouvée sur les écrans dans les années 2000 après une longue absence, j’espère personnellement qu’elle tournera davantage car c’est une actrice que j’apprécie beaucoup.

   Amitabh Bachchan, symbole du cinéma populaire indien, a joué quasiment tous les rôles, a tourné dans environ 170 films, il est aussi un phénomène de popularité inégalé ailleurs. Il est certes présent dans les productions récentes, mais l’était déjà bien avant depuis les années 70, lorsqu’on ne parlait pas de Bollywood mais de cinéma populaire indien. D’ailleurs, les réalisateurs avec qui il a travaillé récemment et dont nous montrons les films au Salon du cinéma, Sanjay Leela Bhansali,  Rituparno Ghosh ou Ram Gopal Varma, sont des  cinéastes qui ne se reconnaissent pas dans la définition de Bollywood. Il faudrait poser la question aux réalisateurs eux-mêmes et leur demander ce qu’il leur apporte, mais il semble clair qu’en plus de sa célébrité qui peut aider dans le financement puis le lancement d’un film, il existe une fascination que la plupart des réalisateurs indiens semblent ressentir à son égard.

  • IR : Placeriez-vous Amitabh Bachchan parmi les plus grands acteurs indiens de tous les temps ? Aux côtés de quelles autres vedettes ?

MA : Sans aucun doute le plus populaire de l’histoire du cinéma indien et le plus adulé. Le culte que le public indien lui voue est un phénomène unique au monde. Lorsque l’on évoque par exemple le ferveur de tout un peuple pour l’acteur blessé sur le tournage de Coolie, c’est inconcevable, voire incompréhensible dans un contexte occidental où la célébrité des plus grandes stars de cinéma n’atteint jamais de tels sommets.

   Des analyses assez pertinentes ont d’ailleurs été faites par des intellectuels, écrivains etc sur la place d’Amitabh Bachchan dans la société indienne et ce que cela révèle.

   Nous sommes donc bien au delà d’une simple définition de talent d’un acteur, puisque nous sommes en présence d’un phénomène. C’est pourquoi je ne vois personne d’autre à qui le comparer.

  • IR : Et quelle est l'actrice (quelles sont les actrices)  qui actuellement, selon vous, sont les plus remarquables par leur talent artistique et leurs qualités professionnelles ?

MA : Il y en a plusieurs, dont on parle sans doute moins en France mais qui occupent une place significative dans le cinéma indien. Je trouve que Tabu, Kajol, Seema Biswas ou Konkona Sen, sont des actrices intéressantes, mais j’aime aussi des actrices confirmées comme Madhuri Dixit, ou dans un autre domaine Shabana Azmi. Et ce n’est que pour le cinéma hindi car il faudrait aussi parler du talent d’actrices du sud qui n’ont en fait aucune visibilité en occident…

  • IR : Le Salon du Cinéma rendra-t-il compte de la diversité des cinémas indiens ? Comment ?

MA : C’est une intention qui fut dès le départ exprimée. Ce sont surtout les rencontres, débats, tables rondes qui permettront aux intervenants de rappeler la diversité des cinémas indiens. Par exemple, la table ronde sur les coproductions mettra l’accent sur le cinéma indien aujourd’hui dans son ensemble et abordera en particulier le cinéma d’auteur. Nalin  Pan a accepté d’interrompre la préparation de son prochain grand film pour venir témoigner de son expérience unique de réalisateur et producteur indépendant, il évoquera aussi les autres réalisateurs qu’il a produits. Je compte parler de Satyajit Ray ainsi que des réalisateurs comme Adoor Gopalakrishnan et Shaji Karun du Kerala, entre autres. En dehors des débats organisés, je pense aussi que des échanges se feront  spontanément dans ce bel espace de La Grande Halle de La Villette.

  • IR : Pour prendre un peu de recul à présent, que pensez-vous des dernières tendances bollywoodiennes ? Quels ont été les films récents qui vous ont marquée ? Pourquoi ces choix de votre part ?

MA : Le film indien le plus récent sorti en France fin novembre est Jodhaa Akbar, dans la tradition des grands films historiques que l’on voit peu en occident. Il a été réalisé avec soin. Il est peut-être un peu long, en particulier les scènes de bataille et certaines chansons-danses pour un public français, mais il fonctionne bien et dans l’ensemble il a suscité d’excellentes réactions ici. Parallèlement des films comme Om shanti om qui revisite une époque du cinéma populaire indien (une nouvelle tendance ?) ne m’a pas convaincue. L’année dernière j’ai beaucoup aimé Taare Zameen Par  (Chaque enfant est spécial)  un film réalisé et interprété par Aamir Khan, qui mériterait de sortir en France, d’autant que nous n’avons pour ainsi dire aucun film indien pour jeune public. 

  • IR : Et ailleurs qu'à Bollywood ?

MA : Le cinéma asiatique est riche de surprises, de talents, c’est à l’occasion des sélections du festival Cinémas d’Asie de Vesoul, qui célèbrera ses 15 ans cette année, que l’on se rend compte de la vitalité des cinémas d’Asie, de la Turquie aux confins de la Mongolie.  De jeunes cinéastes des Philippines par exemple font un travail étonnant. C’est aussi l’occasion de renouer le contact avec des cinéastes comme Prasanna Vithanage de Sri Lanka qui viendra présenter son dernier film Flowers in the sky, un film émouvant sur une actrice de cinéma qui sacrifia sa fille à sa carrière. Cette année l’Iran sera représenté par la Makhmalbaf Film House Moshen Makhmalbalf, mais aussi par sa fille Samira qui fut la plus jeune réalisatrice sélectionnée à Cannes (La Pomme en 1998, puis Le Tableau noir…) ainsi que par Marieh. Les derniers films de Moshen et Samira encore inédits en France seront présentés à Vesoul. Une incroyable famille de cinéastes où chaque membre est créatif.

  • IR : Notez-vous une évolution dans le rapport qu'entretient le public français avec le cinéma indien ?

MA : Pendant longtemps le seul cinéma indien véritablement distribué en France fut le cinéma d’auteur, il s’adressait à un public de cinéphiles. Depuis une dizaine d’années c’est surtout les films de Bollywood qui ont remporté un succès en France. Le public semble lui aussi avoir changé, plus large il comprend beaucoup plus de jeunes. C’est un public qui désire surtout rêver, s’évader, se distraire. 

   Si le cinéma d’auteur indien reste  actuellement discret et en retrait de Bollywood, il faut souligner que des films d’auteur continuent à être diffusés, mais ils sont moins nombreux.

  • IR : Que souhaiteriez-vous ajouter, sur vos projets, sur le cinéma indien ou sur le Salon du Cinéma ?

MA : J’espère que le Salon fera découvrir des facettes du cinéma indien à un plus large public, voire à un public nouveau.

   Quant à mes prochains projets, le plus immédiat est donc le FICA, festival international des cinémas d’Asie de Vesoul du 10 au 17 février 2009, avec 75 films parmi lesquels un très joli film en compétition, Gulabi Talkies de Girish Kasaravalli , un réalisateur du Karnataka qui réalise un cinéma d’auteur tout à fait exemplaire depuis plus de vingt ans. Pour rester dans le cinéma indien, nous présenterons Jodhaa Akbar dans la section « plein les yeux » de Martine et Jean-Marc Thérouanne.

   Et nous sommes déjà en préparation de la 6ième édition de l’Été indien à l’Auditorium Guimet en septembre-octobre. Hubert Laot et moi-même pensons mettre l’accent sur le cinéma d’auteur en offrant au public, qui est de plus en plus nombreux, de découvrir des films inédits, principalement contemporains.

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